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L’Australie veut rester dans la veine du charbon

Parmi les déconvenues du sommet de la COP26 qui touche à son terme figure la décision de l’Australie de maintenir ses mines à charbon ouvertes « pendant des décennies ». Les opposants à cette énergie fossile peinent à se faire entendre dans ce pays, qui entend en profiter jusqu’au bout.

Alors que des dizaines de pays ont annoncé lors de la COP26 l’abandon progressif du charbon, l’Australie a déclaré qu’elle ne fermerait ni ses mines ni ses centrales fonctionnant avec ce combustible, expliquant notamment vouloir défendre les quelque 300 000 emplois que représente ce secteur. Des annonces qui « font honte », en tant que Franco-Australien, à David Camroux, chercheur honoraire au Ceri de Sciences-Po. Car avec un niveau d’ensoleillement parmi les plus élevés de la planète, des espaces immenses et plus de 25 000 km de côtes, l’île-continent « pourrait être la championne du monde des énergies renouvelables », soupire David Camroux.

Pour lui, les intérêts des grandes compagnies minières sont défendus par des lobbies très influents au sein de la coalition gouvernementale composée du Parti libéral et de son allié conservateur du Parti national, lesquels entendent continuer à exporter du charbon au nom de la loi du marché : il s’agit de répondre à une demande mondiale – notamment chinoise – croissante, source de profits immédiats, explique David Camroux.

Le Parti travailliste entretient quant à lui une relation ambiguë avec cette source d’énergie : comme d’autres partis travaillistes dans le monde, l’Australian Labor Party est proche du monde syndical. Or, le secteur minier est traditionnellement très syndiqué, poursuit David Camroux. Le lobby du charbon influence donc aussi le principal parti de gauche australien, le mettant dans une situation délicate : celle qui, à son électorat citadin, « bobo », oppose sa base ouvrière traditionnelle. « L’image du mineur industrieux, suant sang et eau pour le bien-être de la nation, conserve une connotation très positive dans la culture australienne », note David Camroux.

Un lobby carboné dont la puissance au niveau mondial a été rappelée par les investigations menées par une ONG : après avoir parcouru la liste des participants à la grand-messe climatique onusienne de Glasgow, Global Witness a ainsi révélé lundi que 503 lobbyistes du charbon, du pétrole et du gaz avaient obtenu leur billet d’entrée à la COP. Les promoteurs des énergies fossiles représentaient ainsi le double de la délégation britannique, pourtant hôte de la COP26, et constituaient la plus grande délégation, devant celle du Brésil comptant 479 personnes.

Disparités australiennes

La décision de continuer à produire une énergie fossile des plus polluantes pendant « des décennies » a de quoi surprendre l’observateur extérieur : l’ »Australian way of life » alimente dans l’imaginaire collectif l’idée d’une société tournée vers l’océan, éprise de nature. Mais ce choix politique ne saurait masquer des « contrastes immenses » entre les différents acteurs politiques et civils du pays, nuance David Camroux, qui tient à rappeler qu’il s’agissait là d’une décision fédérale.

De son côté, le gouvernement de la Nouvelle-Galles-du-Sud s’est engagé il y a quelques semaines à diminuer ses émissions de gaz à effet de serre de moitié d’ici 2030.

Au sein même des États australiens, on observe, comme en Amérique du Nord, une bien plus forte sensibilité écologique dans des grandes villes – Melbourne ou Brisbane – que dans le « bush », les campagnes australiennes, poursuit David Camroux. Mais la ligne de fracture la plus édifiante est pour lui celle qui oppose la société civile à la coalition gouvernementale actuellement en exercice. Parvenu au pouvoir de justesse, au terme des élections de mai 2019, « Scott Morrisson se positionne aux antipodes des évolutions de sa propre société », explique le chercheur. Il insiste : « Les Australiens sont globalement sensibles aux questions écologiques. »

Un exemple concret : 2,5 millions de foyers australiens sont équipés de panneaux solaires. Un chiffre « énorme » quand on le rapporte à une population de 24 millions d’habitants, se réjouit David Camroux. « Des pratiques qui ont marqué mon enfance, comme récupérer l’eau de pluie en vue d’usages domestiques, reviennent maintenant à la mode. Les Australiens ont compris qu’il fallait économiser l’eau », relève-t-il.

Nouvelles alliances

Pour le Franco-Australien, l’étincelle de cette conscientisation environnementale est à chercher dans les méga-incendies qui ont ravagé le pays au cours de l’été austral 2019-2020. Le traumatisme national infligé par ce désastre écologique, économique et humain (des dizaines de morts dans les incendies, des centaines si l’on inclut les décès par inhalation de fumée) a infligé un sérieux coup au camp climatosceptique, selon lui.

Et pour cause : le réchauffement climatique constitue – a minima – l’un des facteurs de ce type d’incendies.

Sur les 18,6 millions d’hectares partis en fumée, entre 13 et 14 % étaient des terres agricoles. La détresse des agriculteurs dans les États en proie aux flammes (Nouvelle-Galles-du-Sud et Victoria) suscite désormais une convergence d’analyse entre le monde agricole et les « écolos », observe David Camroux. Le chercheur relève un exemple récent : une région connue pour ses vignobles, la Hunter Valley (nord de la Nouvelle-Galles-du-Sud), a ainsi vu ses vignerons s’opposer à l’ouverture de nouvelles mines à charbon, craignant les répercussions sur la viticulture et le tourisme viticole.

L’exploitation du charbon est également en conflit direct avec l’industrie touristique, qui emploie plus d’un demi-million d’Australiens, celle-ci reposant en grande partie sur un environnement préservé. La polémique liée au lancement en 2017 de la mégamine de charbon de Carmichael près de la Grande Barrière de corail est emblématique des intérêts communs à l’industrie touristique australienne et aux écologistes, souligne David Camroux.

Des dizaines de milliers d’emplois touristiques sont menacés par la destruction de la Barrière de corail, aggravée par les rejets toxiques de cette mégamine. Mais comme le secteur des services est beaucoup moins syndiqué que celui du charbon, son impact sur les décisions politiques demeure moindre, regrette le chercheur.

Un nouveau gouvernement ?

Les plus grands bailleurs de fonds internationaux et australiens se préparent tous désormais à tourner la page du charbon, estime David Camroux. Fin 2020, ANZ était la dernière banque australienne à annoncer qu’elle ne financerait plus les mines de charbon thermique ou les centrales électriques au charbon à compter de 2030.

L’époque où Scott Morrison, alors ministre des Finances, s’adressait en 2017 à la Chambre des représentants un morceau de charbon à la main, enjoignant les parlementaires à « ne pas en avoir peur », est révolue, selon David Camroux. Le gouvernement voit la transition post-charbon se profiler malgré lui, mais veut la retarder au maximum pour en tirer le plus d’argent possible.

Scott Morrison, un morceau de charbon à la main face aux membres du Parlement australien, en 2017

Australian Prime Minister Scott Morrison proudly holding a chunk of coal in the parliament, 2017. pic.twitter.com/52DALwd18S

— François Gemenne (@Gemenne) January 3, 2020

Mais le Premier ministre pourrait bien se diriger vers la sortie à l’approche des élections législatives et sénatoriales fédérales prévues au printemps prochain. Une perspective qui inspire à David Camroux un certain optimisme : « Les tractations politiques en vue d’alliances avec le parti des Verts, couplées aux périls économiques que pose la destruction de la planète, poussent les élus travaillistes à devenir de plus en plus ‘écolos’. Une fois ses élites politiques renouvelées, l’Australie pourra alors revenir à la table des négociations climatiques. Canberra sera alors à même de s’engager sur des processus de transition positifs pour l’Australie, comme pour la planète. »

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