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Ivan Krastev : « Un Polexit pourrait se produire, non par stratégie, mais par accident »

Ivan Krastev est politologue et président du Centre pour les stratégies libérales de Sofia, en Bulgarie. Il analyse les racines et les conséquences du conflit persistant entre l’Union européenne et certains pays membres sur l’Etat de droit, au premier rang desquels la Pologne et la Hongrie.

Selon Ivan Krastev, entre Union européenne et Pologne, « le danger est réel d’une escalade des deux côtés, jusqu’à un point de non-retour, sans porte de sortie digne pour l’une ou l’autre des parties ». NADEZHDA CHIPEVA

Les tensions entre Varsovie et l’Union européenne (UE), liées à l’indépendance de la justice, sont au plus haut. Le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a même déclaré au « Financial Times » que l’attitude de la Commission menace de déclencher une « troisième guerre mondiale ». Que révèle cette crise sans précédent au sein de l’UE ?

Il faut d’abord y voir un élément de politique intérieure polonaise. La société est polarisée entre une droite conservatrice et une frange plus libérale de la population, engagées dans une forme de guerre culturelle. Pour les conservateurs, la question de la souveraineté nationale est centrale. Or, le premier ministre entend en être le défenseur, d’autant qu’il ne doit montrer aucun signe de fléchissement à son partenaire de la coalition, plus à droite. Cette crise ne porte pas sur la question de savoir s’il faut quitter l’UE. Les Polonais dans leur grande majorité ne le souhaitent pas, contrairement aux Britanniques lors du Brexit. Elle réside plutôt dans la nature de l’Europe que veulent les uns et les autres.

Or, les deux parties ne semblent pas parler le même langage. D’un côté, le gouvernement polonais – comme celui de Hongrie – veut une Europe des Nations fonctionnant comme un marché commun, mais refuse qu’elle puisse interférer dans ses affaires intérieures. Pourquoi pas. Pour le gouvernement polonais, défendre la souveraineté du pays signifie concentrer entre ses mains des pouvoirs forts, ce qui a mené à la perte d’indépendance problématique du système judiciaire. De l’autre, L’UE entend protéger la liberté et le droit des citoyens et des entreprises européens, où qu’ils se trouvent dans l’UE. Bruxelles devrait aborder le problème sous l’angle du régime politique et non sous l’angle de la souveraineté polonaise. Et poser la question suivante : faut-il être un régime autoritaire pour être un Etat souverain ?

Ces divergences de vues ne soulignent-elles pas une incompréhension fondamentale remontant à l’entrée des pays de l’Est dans l’UE ?

Il faut se souvenir que 1989, contrairement à 1945, n’a pas été une défaite des nationalismes en Europe. Nationalistes et libéraux se sont alliés pour renverser le communisme, alors perçu comme un régime internationaliste ayant supprimé les souverainetés nationales. Les pays de l’Est ont voulu se défaire de ce sentiment postcolonial et accéder à leur indépendance. Aujourd’hui, certains dirigeants essayent de convaincre leurs électeurs que l’UE représente un nouveau colonialisme. Même si les citoyens sont conscients que Bruxelles n’est pas Moscou, les dirigeants jouent sur cette fibre nationaliste.

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