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La gauche portugaise au risque de la division

Editorial du « Monde ». Pour l’opinion européenne de gauche, le gouvernement conduit au Portugal par le socialiste Antonio Costa constituait un exemple et un espoir : depuis 2015, les sociaux-démocrates du PS, alliés à deux partis d’extrême gauche, le Parti communiste portugais (PCP) et le bloc de gauche (Bloco de Esquerda, BE), avaient démontré leur capacité à sortir le pays, très éprouvé par la crise financière de 2008, de l’austérité financière, à relancer l’économie et à engager une politique sociale marquée par l’augmentation des salaires, des retraites et par une réforme fiscale. Leur gestion remarquable de la crise sanitaire due au Covid-19, notamment la première place du Portugal dans le monde pour le taux de vaccination, est largement saluée.

Ce bel équilibre s’est effondré, mercredi 27 octobre, lorsque les députés du PCP et du BE ont abandonné le premier ministre socialiste en votant, avec les partis de droite et d’extrême droite, contre le projet de loi de finances, alléguant d’un manque d’ambition en matière de revalorisation des salaires, de santé publique et de contrôle des loyers. Ce vote, qui marque une rupture après six années d’union des gauches, entraîne la dissolution du Parlement, qui pourrait être prononcée par le président de la République, Marcelo Rebelo de Sousa, dès jeudi 4 novembre, entraînant l’organisation d’élections législatives en janvier 2022.

Depuis l’origine, l’alliance, inédite depuis la fin de la dictature en 1974, des frères ennemis de la gauche, le PCP et le BE, homologue portugais de La France insoumise (LFI), tenait du miracle. En 2015, elle était parvenue au pouvoir grâce à une geringonça, une « astuce » : alors que le centre droit était majoritaire, le soutien sans participation de l’extrême gauche avait permis à M. Costa de former un gouvernement. Reconduite aux législatives de 2019, la formule apportait la preuve qu’une coalition de gauche pouvait gouverner de façon stable un pays de l’Union européenne.

Un scénario hautement risqué

Le divorce actuel, lui, pourrait répondre à de pures considérations de stratégie politique : les deux partis d’extrême gauche, en perte de vitesse, auraient fait l’analyse que leur participation au gouvernement leur aliène des électeurs et qu’ils pourraient se refaire une santé lors d’élections anticipées ; quant au Parti socialiste, critiqué pour avoir trop peu dialogué avec ses partenaires, il espérerait conquérir la majorité absolue en faisant porter la responsabilité de la crise sur des alliés « irresponsables ».

Situation choisie ou subie, l’éclatement de l’alliance des gauches portugaises constitue un scénario hautement risqué. La droite, elle-même en position difficile, pourrait être tentée de s’allier avec une extrême droite qui a le vent en poupe. Déjà, des sondages donnent au parti d’extrême droite Chega (« ça suffit ») la troisième place dans les intentions de vote, derrière le PS et le Parti social-démocrate (PSD, centre droit).

En jouant avec le feu, la gauche pourrait ainsi s’être auto-exclue durablement du pouvoir, mais aussi favoriser l’émergence d’une formation ouvertement xénophobe soutenue par Marine Le Pen. Par leur comportement, les dirigeants de la gauche portugaise semblent adresser a contrario à leurs amis des autres pays européens un message clair sur l’importance de l’unité. Un message qui ne peut laisser indifférents les électeurs français de gauche, au moment où les dirigeants des partis qui prétendent les représenter se livrent à une compétition implacable et potentiellement désastreuse à cinq mois de la présidentielle.

Le Monde

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