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Pour avoir sa statue à Londres, il vaut mieux être un animal qu’une femme admirable

Inauguration du buste rendant hommage à Noor Inayat Khan, en présence de la princesse Anne, à Londres, le 8 novembre 2012. LEON NEAL / AFP

Où sont les femmes ? De Washington à Paris en passant par l’Inde, leur sous-représentation dans l’espace public n’est plus à démontrer. Mais Londres est la première ville à en prendre la mesure. Sans grande surprise, une étude publiée le 21 octobre par l’organisation culturelle britannique Art UK révélait que l’immense majorité des quelque 1 100 statues ornant l’espace public de la capitale du Royaume-Uni était dédiée à des hommes. Plus surprenant en revanche, alors qu’une cinquantaine d’entre elles rendent hommage à des femmes célèbres, près du double – 8 % – sont consacrées… à des animaux. Les personnes de couleur, elles, ne représentent que 1 % des sculptures de la mégalopole, et les femmes de couleur 0,2 %.

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With over 1,100 of #London’s public sculptures on Art UK, we reveal some of… https://t.co/fwlPGaa1Rg

— artukdotorg (@Art UK)

Les femmes sous représentées

Depuis quatre ans, Art UK s’efforce de dresser un inventaire des statues londoniennes dans le cadre d’un vaste projet de recherche, financé en partie par la mairie travailliste. « Ce sont les hommes qui ont écrit l’Histoire. (…) Les accomplissements des femmes ont été rendus invisibles quand bien même elles réalisaient des choses incroyables », expliquait en 2017, dans un entretien au site Equaltimes.org, Bee Rowlatt, autrice et présidente d’une campagne visant à rendre hommage à Mary Wollstonecraft, l’une des pionnières du féminisme anglais.

Terri Bell-Halliwell, fondatrice d’inVISIBLEwomen, une organisation qui milite pour l’égalité de figuration des sexes dans l’espace public, y voyait une marque subliminale du patriarcat « nous convaincant tous que les hommes sont les seuls à mériter d’être admirés ». D’autant, ajoute-t-elle, que ce manque de représentation de modèles féminins méritants fait en sorte que les femmes et les filles se sentent « marginalisées et peu reconnues ».

Selon les statistiques d’inVISIBLEwomen, les statues d’hommes sont seize fois plus nombreuses que celles des femmes : « Et si l’on excluait la reine Victoria de l’équation, les chiffres seraient bien pires. » En 2020, la Public Statues and Sculpture Association a ainsi commencé à lister toutes les statues de femmes, à l’exception des membres de la famille royale. Pour l’heure, elle n’en a dénombré que 119 statues à travers le Royaume-Uni.

Dans le sillage du mouvement Black Lives Matter (« Les vies noires comptent ») et la mort de l’Afro-Américain George Floyd fin mai 2020, questionnement et introspection ont essaimé au Royaume-Uni autour du passé colonial du pays et de sa représentation dans l’espace public. En juin 2020, à Bristol, des manifestants ont déboulonné la statue d’Edward Colston, un marchand d’esclaves du XVIIe siècle, et l’ont jetée dans la rivière Avon.

Améliorer la diversité

C’est dans ce contexte de crispation que le maire de Londres, Sadiq Khan, a annoncé en février 2021 la création d’une Commission pour la diversité dans le domaine public. Cette dernière dispose d’une enveloppe d’un million de livres sterling (environ 1,182 million d’euros) pour créer de nouveaux monuments qui « reflètent mieux la diversité de la capitale et les réalisations de tous ceux qui ont contribué au succès de la ville ».

Mais pour le conservateur Jacob Rees-Mogg, le leader de la Chambre des communes – le ministre chargé des relations avec la Chambre des communes au sein du gouvernement –, cette commission n’est autre qu’un ramassis de « gauchistes cinglés » déterminé à détruire le patrimoine local. Qu’importe si Aindrea Emelife, historienne de l’art de 27 ans, l’un des membres de la commission, avait bien insisté auprès du quotidien The Guardian : « Il n’est pas question d’abattre des statues. »

Il n’en reste pas moins que, même lorsqu’il s’agit de célébrer des femmes, Londres a longtemps fait preuve de conservatisme. La capitale a certes su évoluer en honorant Mary Seacole, une infirmière jamaïco-écossaise connue pour son engagement personnel au cours de la guerre de Crimée et l’une des rares femmes de couleur à avoir une statue, ou Noor Inayat Khan, musulmane d’origine indienne envoyée en mission en France par le SOE (Special Operations Executive, une branche des services secrets britanniques pendant la seconde guerre mondiale). Capturée, elle a été exécutée au camp de concentration de Dachau.

Depuis 2008, une sculpture représentant le buste de Violette Szabó, elle aussi résistante française et agent du SOE, se trouve à l’extérieur du Lambeth Palace, en face du palais de Westminster. En 2014, trois ans après la mort de la chanteuse, une statue d’Amy Winehouse a été inaugurée dans le marché de Camden en présence de ses parents.

Paris aussi essaie de rattraper son retard

De l’autre côté du Channel, la situation n’est pas meilleure. Paris compte plusieurs centaines de statues érigées dans l’espace public, représentant très majoritairement des personnages masculins.

Pour une Berty Albrecht, l’une des six femmes compagnons de la Libération, ou une Maryse Bastié, aviatrice française, l’essentiel des quelque cinquante femmes illustres représentées dans la capitale est constitué par des personnages historiques – cinq Jeanne d’Arc, deux sainte Geneviève – des figures mythologiques et allégoriques – comme la République ou la justice –, ou George Sand, Sarah Bernhardt, Edith Piaf et Dalida.

Comme Londres, Paris compte rendre justice à des femmes oubliées : le 26 septembre 2020, la maire socialiste, Anne Hidalgo, a inauguré un jardin en hommage à Solitude, héroïne historique de la résistance des esclaves, qui a lutté contre le rétablissement de l’esclavage en Guadeloupe à la fin du XVIIIe siècle. Une statue devrait suivre : la première rendant hommage à une femme noire.

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