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“Jungle de Calais” : le quotidien des migrants se dégrade mais le rêve d’Angleterre persiste

Le 24 octobre 2016, le Ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve annonçait le démantèlement de « la jungle de Calais », le bidonville qui a abrité jusqu’à dix mille exilés. Cinq ans après, le Calaisis est toujours un territoire de passage vers le Royaume Uni, et les conditions de vie des migrants y sont toujours des plus précaires.

Il ne reste plus rien de « l’ancienne jungle », démantelée il y a tout juste cinq ans. Sur le terrain des dunes, à l’extérieur du centre-ville de Calais, la végétation a poussé et les panneaux interdisant à quiconque de s’installer, placardés à la suite de l’expulsion de près de 10 000 personnes, sont toujours là, délavés par la pluie.

Comme tous les deux jours à Calais, dimanche 24 octobre, le convoi de gendarmerie part, sur les coups de huit heures du matin, pour effectuer la tournée des expulsions des lieux de vie. À l’époque de « la jungle », nom donné par les exilés eux-mêmes à ces dunes en périphérie de la ville, plus de dix mille personnes survivaient dans un bidonville qui s’étendait sur plusieurs hectares.

Photo de l’actuel terrain des dunes où était la grande jungle. Le 20 octobre 2021. Crédit : Louis Witter

Expulsions quotidiennes et tentes confisquées

Aujourd’hui, les pouvoirs publics ont un but assumé : éviter l’installation de campements, qu’ils appellent sobrement « points de fixation ». Pour cela ils procèdent à leur expulsion quasi quotidiennement. S’il n’existe plus de bidonville à proprement parler, plusieurs petits campements ont poussé sur les terrains vagues entre Coquelles, Calais et Marck, abritant actuellement deux mille exilés en attente de traverser vers l’Angleterre. Lors de ces expulsions, les tentes sont confisquées et souvent, avec, les effets personnels des exilés.

Emma, coordinatrice du projet Human Rights Observer soutenu par l’Auberge des Migrants, constate un accroissement du rythme des expulsions. « Depuis quelques mois le rythme des expulsions est différent, ils ne viennent plus tous les deux jours comme l’an dernier mais vraiment tous les jours, le matin et parfois même l’après midi », précise la militante qui ne souhaite pas que son nom de famille soit publié.

Lors des démantèlements quasi quotidiens les tentes sont confisquées. Photo prise en janvier 2021. Crédit : Louis Witter

Ce rythme incessant vise à décourager les personnes exilées de s’installer dans le Calaisis, « ça provoque une véritable lassitude et fatigue des personnes exilées, mais les personnes reviennent toujours quelques minutes après l’expulsion, même si elles n’ont plus de tentes. Il n’y a pas toujours de solution d’hébergement et souvent ils ne récupèrent pas les affaires qui leur sont saisies après les expulsions. Cette année, 72 % des personnes n’ont pas pu récupérer leurs effets personnels de valeur », souligne Emma.

« Concrètement, Calais est une zone de non droit », appuie Wela Ouertani de La Cabane Juridique. « Tout ce qui se passe est illégal, mais l’État parvient toujours à tout justifier avec des prouesses juridiques. C’est une machine très bien rodée. Nous, on ne demande à l’État que de respecter le droit ». Et de prendre l’exemple des expulsions quotidiennes, « dans le contexte Calaisien, les mises à l’abri des personnes après expulsions sont forcées, donc illégales. Les expulsions sont réalisées en flagrance et normalement, cette procédure ne permet pas d’expulser un terrain. Mais l’État se justifie en disant, ‘on a constaté un délit, l’occupation de terrain, donc on est partis demander aux personnes de bien vouloir quitter le terrain et les gens sont partis volontairement’. C’est ainsi qu’ils peuvent en faire tous les jours », explique-t-elle.

Explosion du nombre de tentatives de passages en bateau

Conséquence de ce quotidien : depuis le démantèlement de la grande jungle, le nombre de tentatives de passages par bateau a explosé. Loan Torondel, travailleur humanitaire, est l’auteur d’un rapport indépendant sur ces traversées entre 2018 et 2021. « [Les traversées en bateaux] étaient très rares au moment de la jungle, il y avait surtout des tentatives individuelles. En 2018, le phénomène est apparu et a pris ensuite une ampleur considérable », observe-t-il.

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« L’une des causes, c’est la sécurisation de tous les parkings et du port. Les camions sont devenus une voie de passage plus difficile d’accès », explique l’humanitaire. Aujourd’hui, les gens tentent en bateau et en camion, au gré de la météo ou des jours. La dégradation des conditions de vie sur les campements, ça engendre également un grand stress pour les personnes car ils ne se sentent jamais en sécurité. Ça les pousse à prendre des risques pour traverser ».

Visite de Gérald Darmanin le 9 octobre 2021 dans les dunes près de Calais.Crédit : Louis Witter

Éviter les « points de fixation »

Depuis septembre 2020, un arrêté préfectoral polémique est également reconduit chaque mois par les autorités, interdisant toute distribution de denrées alimentaires et de boissons par les associations non-mandatées par l’État dans une très grande partie du centre ville de Calais.

D’autres mesures ont été prises par les autorités pour éviter les « points de fixation ». Sur l’un des campements près de Coquelles, les services de la préfecture ont également installé à plusieurs reprises des rochers de plusieurs tonnes, pour empêcher des distributions alimentaires et le remplissage d’une cuve de mille litre d’eau qui bénéficiait à près de six-cent personnes. Une première fois déplacés par les personnes exilées et quelques associatifs, de plus gros rochers ont été enfoncés dans le sol en une nuit, quelques jours après.

Bénévoles et exilés repoussent les rochers qui empêchent les distributions, le 11 septembre 2021. Crédit : Louis Witter

Aujourd’hui, le quotidien des campements de Calais est bien différent qu’en 2016, à l’époque du bidonville. Les conditions de vie se sont dégradées et les expulsions quasi-quotidiennes ont même été dénoncées dans un long rapport de l’ONG Human Rights Watch paru ce mois-ci. Après sa publication et pour dénoncer ce « harcèlement » des autorités à l’encontre des personnes exilées, trois personnes sont entrées, depuis le lundi 11 octobre, en grève de la faim.

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