Réservé à nos abonnés
ReportageLes bateaux siciliens qui pêchent dans les eaux poissonneuses de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque ont souvent maille à partir avec les Libyens. Mais depuis que l’Europe a chargé Tripoli, en 2018, d’empêcher les débarquements de migrants sur ses côtes, la situation est explosive.
Une fois arrivé sur le quai, et après les présentations d’usage, le pêcheur commence à livrer ce qu’il a sur le cœur. Alors que son débit s’accélère, le pur italien des premiers instants se mêle de termes siciliens, d’abord de façon sporadique, puis par phrases entières. La matinée n’est pas très avancée, mais le port de Mazara del Vallo, dans le sud-ouest de la Sicile, est déjà écrasé par la chaleur. Face au soleil aveuglant, qui se reflète sur une mer limpide, il plisse à peine les yeux – force de l’habitude. Ses traits sont tirés, et ses yeux rougis par les nuits sans sommeil ; il enchaîne nerveusement cigarette sur cigarette.
Giuseppe Giacalone a 56 ans, dont quarante-trois passés au large, et il ne veut plus partir en mer. Le 6 mai, dans les eaux internationales au large des côtes africaines, l’Aliseo, qu’il commandait, a été pris pour cible par des forces libyennes. Lui-même a été blessé au bras et à la tête. Il a vu la mort de trop près pour songer à nouveau à tenter le diable. « Ma femme me dit que je crie la nuit, dans mon sommeil », confie-t-il, au détour d’une phrase, épuisé par le souvenir de cette scène de guerre.
Carmelo Addolorato dans son atelier de confection et de réparation de filets de pêche, le 15 juin 2021 à Mazara del Vallo (Sicile), principal port de pêche d’Italie. SAMUEL GRATACAP POUR « LE MONDE »
Tout a commencé le 3 mai, au large des côtes de la Cyrénaïque (est de la Libye). « Nous faisons, d’habitude, des sorties de cinquante jours environ. Là, ça faisait deux semaines que nous étions dehors, à sept ou huit navires, sous la surveillance d’une unité de la marine militaire italienne, lorsque surgit une vedette pleine de soldats libyens. Ils sont montés sur un des bateaux de la flotte et ont menacé l’équipage avec des mitraillettes et même un lance-roquettes », se souvient le pêcheur. La marine italienne s’interpose et permet de dénouer la situation, puis la petite flotte de pêche se disperse, la majeure partie des navires faisant route vers les eaux grecques et turques, tandis que trois autres, dont l’Aliseo, partent vers l’ouest, entre Misrata et le golfe de Syrte.
Giuseppe Giacalone et ses sept hommes d’équipage (trois Italiens et quatre Tunisiens) font halte, puis jettent leurs filets, le 6 mai, vers 5 heures du matin, à un peu moins de 50 milles de la côte. A la mi-journée, une vedette libyenne fonce droit sur l’Aliseo et ouvre le feu. « Plus tard, les Libyens ont affirmé que c’était des salves de sommation, mais ils tiraient à hauteur d’homme et ils faisaient des trous dans les vitres… J’ai hurlé à mon équipage de se mettre à l’abri dans la chambre froide, et je suis parti vers le nord. Ils étaient trois à tirer de la vedette, un de la proue, un du pont et un au milieu, et j’ai continué comme ça, avec le sang qui coulait sur ma tête et sur mon bras, pendant une heure et demie », détaille-t-il d’une voix blanche.
Il vous reste 86.55% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.
L’article Au large de la Libye, les pêcheurs italiens pris dans les filets de la lutte contre les migrants est apparu en premier sur zimo news.