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Libye : le retour d’un Kadhafi au pouvoir, une simple question de temps ?

Dix ans après la mort du colonel Mouammar Kadhafi, le 20 octobre 2011, la Libye est plongée dans l’instabilité politique après une décennie de violences. Au point de susciter chez certains, malgré la nature autocratique de l’ancien régime, une nostalgie des années du Guide, rendant même envisageable la perspective de voir un jour son fils Seïf al-Islam au pouvoir. 

Il y a dix ans jour pour jour, le 20 octobre 2011, le colonel Mouammar Khadadfi, le dictateur aussi fantasque que cruel ayant régné sans partage sur la Libye pendant quarante-deux ans, était capturé par des insurgés, puis annoncé mort, dans des circonstances restées troubles, dans sa région d’origine.

Dans sa chute, provoquée par une révolte populaire qui s’est transformée en conflit armé international, le « Guide suprême de la révolution » a emporté une partie de sa famille, dont trois de ses fils, Moatassem, Khamis et Seïf al-Arab, tous tués au cours du conflit de 2011.

Mais le plus connu de ses descendants, Seïf al-Islam, implicitement adoubé par son père pour lui succéder un jour, et considéré en Occident comme un réformateur à même de démocratiser et libéraliser le pays, est lui toujours vivant.

Capturé en novembre 2011 par un groupe armé à Zenten, au sud-ouest de Tripoli, puis condamné à mort en 2015 à l’issue d’un procès expéditif et recherché par la Cour pénale internationale (CPI) pour des accusations de crimes contre l’humanité, Seïf al-Islam est resté longtemps invisible, même après l’annonce de sa libération en 2017.

Une nostalgie des années Kadhafi ?

Et ce jusqu’au mois de juillet dernier, lorsqu’il a effectué, à 49 ans, une réapparition retentissante en accordant, depuis Zenten, un entretien à l’édition magazine du prestigieux New York Times (NYT). Alors que la Libye s’est dotée en mars d’un gouvernement provisoire chargé d’unifier les institutions d’ici le scrutin présidentiel prévu le 24 décembre, Seïf al-Islam Kadhafi a profité de cette exposition médiatique pour annoncer son retour prochain dans l’arène politique libyenne.

Ce n’est pas la première fois qu’un tel retour est annoncé, alors qu’en Libye d’aucuns estiment que la réintégration des anciens kadhafistes dans le processus politique est nécessaire pour mener à terme la réconciliation nationale. En mars 2018 déjà, comme pour tester l’opinion, le Front populaire libyen, un parti qui ne cache pas ses penchants kadhafistes, a annoncé, depuis Tunis, la candidature du fils de celui qui s’était autoproclamé « roi des rois d’Afrique », à la prochaine élection présidentielle.

Dans l’interview du NYT, Seïf al-Islam, vêtu d’un qamis noir brodé de motifs dorés, barbe grisonnante et turban noir sur la tête, ne dit pas s’il sera candidat à la présidentielle de 2021, mais il a confié être convaincu que son mouvement peut rétablir « l’unité perdue » du pays.

Depuis cet entretien, ses ambitions politiques sont prises très au sérieux. « Il n’est pas exclu de voir un jour, dans un futur lointain, un Kadhafi arriver au pouvoir en Libye, ce n’est pas complètement inenvisageable, estime Emadeddin Badi, spécialiste de la Libye et chercheur à l’Atlantic Counsil, un cercle de réflexion américain, interrogé par France 24. En revanche, il est encore trop tôt aujourd’hui, donc il y a très peu de chances de voir, s’il est candidat, Seïf al-Islam Kadhafi s’imposer lors de la présidentielle de décembre ».

Toutefois, le clan Khadafi, surtout Seïf al-Islam, reste populaire parmi les nostalgiques et une partie des anciens officiels de la Jamahiriya libyenne, sans compter les clans restés loyaux à la famille de l’ancien dictateur et une partie de l’opinion nationale, déçue par l’instabilité chronique et la lente descente aux enfers du pays.

Un désenchantement sur lequel entend surfer le revenant des Kadhafi. « Il n’y a pas d’argent, pas de sécurité. Il n’y a plus de vie ici. Allez à la station-service : il n’y a pas d’essence. Nous exportons du pétrole et du gaz vers l’Italie. Nous éclairons la moitié de l’Italie et nous avons des pannes d’électricité ici. C’est plus qu’un échec. C’est un fiasco », a-t-il dit au NYT.

« Ces dernières années, la cote de Seïf al-Islam Kadhafi n’a fait que progresser au sein de certaines communautés, notamment pour des raisons économiques, sécuritaires ou politiques qui suscitent beaucoup plus de nostalgie des années Kadhafi que lors des premières années qui ont suivi la chute de régime, lorsque personne ne parlait d’un retour de ce clan », décrypte Emadeddin Badi.

Ironiquement, ajoute-t-il, « ce phénomène est même perceptible au niveau des jeunes générations, qui n’étaient pas encore matures du vivant de Mouammar Khadafi, et qui n’ont pas vraiment expérimenter la vraie nature de son régime ».

Seïf el-Islam, une option pour les Russes ?

Le simple fait qu’un tel scénario de retour au pouvoir soit plausible en dit long, non seulement sur l’état actuel de la classe politique libyenne, mais aussi sur les stratégies géopolitiques des puissances étrangères, poursuit le chercheur.

« Il ne faut pas oublier que sa première sortie médiatique a été réservée au New York Times. Or le public libyen n’ayant pas pour habitude de lire ce quotidien américain, le message envoyé, celui de son retour, s’adressait donc à une audience étrangère et notamment en direction des pays les plus enclins à accepter un retour aux affaires de son clan ».

Seïf el-Islam reste, en effet, une option politique qui peut toujours intéresser certains acteurs étrangers du conflit libyen, notamment la Russie. Surtout si la carte du maréchal Khalifa Haftar, le protégé de Moscou, venait à devenir totalement injouable.

« S’il sera très compliqué pour Seïf al-Islam Kadhafi de jouir d’une légitimité interne, il peut cependant compter sur des appuis externes, indique Emadeddin Badi. La Russie, qui a toujours entretenu des relations politiques, militaires et même économiques avec le clan des Kadhafi, peut chercher à favoriser, voire imposer, un retour à un type de gouvernance clanique, en s’appuyant par exemple sur lui ».

Toutefois, sans compter les complications que peuvent provoquer sa condamnation par un tribunal libyen et le mandat d’arrêt de la CPI, la perspective de revoir un Kadhafi de retour aux affaires est loin de faire l’unanimité dans le pays, car le clan compte de nombreux ennemis qui feront tout pour l’empêcher de revenir dans le jeu politique.

Mais pas seulement. « Le camp khadafiste lui-même est beaucoup plus fragmenté que certains ne l’imaginent, et ce, en raison de divisions liées à l’image même de Seïf al-Islam Kadhafi, perçu par certains comme responsable de la chute de son père en raison de ses positions jugées trop modérées avant les évènements de 2011 ».

« Même s’il arrivait au pouvoir, il lui sera très difficile d’avoir le contrôle du monopole de la violence sur tout le territoire libyen en raison de la fragmentation du pays, conclut Emadeddin Badi. Seïf al-Islam Kadhafi doit certainement le savoir, la Libye est bien plus compliquée que celle qu’elle était en 2011, au moment de la mort de son père ». 

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