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Maria Ressa, Prix Nobel de la paix : « Nous sommes entrés dans l’ère des autoritarismes numériques »

Maria Ressa, co-lauréate du prix Nobel de la paix 2021, à Taguig City (Philippines), le 9 octobre 2021. ELOISA LOPEZ / REUTERS

La journaliste philippine Maria Ressa, ancienne correspondante de CNN en Asie du Sud-Est, a lancé un site d’information indépendant Rappler, en première ligne pour enquêter sur la dérive violente du président Rodrigo Duterte, dont la guerre contre la drogue a fait des milliers de morts. Elle est constamment la cible du pouvoir, notamment sur les réseaux sociaux, dans un pays où les assassinats de journalistes sont fréquents.

Le prix Nobel de la paix lui a été décerné le 8 octobre, ainsi qu’au rédacteur en chef du journal indépendant russe Novaïa Gazeta, Dmitri Mouratov. Dans un entretien au Monde, elle revient sur les menaces qui pèsent contre les militants politiques philippins et sur le danger que constituent les réseaux sociaux pour les démocraties.

Comment avez-vous appris que vous étiez lauréate du prix Nobel de la paix ?

J’étais connectée à une conférence en ligne avec deux autres sites d’information, l’un malaisien, l’autre indonésien, on discutait de la manière dont les médias indépendants peuvent survivre dans nos pays. Je vois alors mon téléphone vibrer à côté de l’ordinateur. Je vois que l’appel vient de Norvège, je coupe le micro de l’ordinateur et réponds au téléphone ; Olva Njolstad qui dirige le comité me dit que j’ai le Nobel de la paix avec une autre personne, dont il ne pouvait pas me dire le nom car il n’avait pas encore été prévenu.

C’était complètement dingue, j’étais submergée. Et puis il a ajouté : « Vous ne devez pas en parler avant l’annonce formelle. » Il fallait attendre avec un tel secret, quel supplice ! J’ai ravalé mes émotions, réactivé mon micro, et repris la discussion de la conférence jusqu’à l’annonce. Cela a été énergisant et fou. Un vrai choc, pour moi, pour Rappler.

Pourquoi pensez-vous que le comité Nobel vous a choisis, vous et Dmitri Mouratov ?

C’est un prix pour les journalistes dans les pays où ils sont attaqués. Et en même temps, la dernière fois qu’un journaliste a eu ce prix, cela a été pire pour lui. Je ne sais pas si le comité a pensé à cela. C’était en 1936, Carl von Ossietzky, qui avait dénoncé le réarmement allemand, avait été déporté en camp de concentration [et il est mort de la tuberculose en 1938 en prison]. C’était il y a quatre-vingt-cinq ans.

Pour moi, l’aspect le plus gratifiant de ce prix est qu’il s’adresse à tous les journalistes qui vivent sous la pression, que ce soit aux Philippines ou ailleurs. Hier, j’ai commencé ma journée par un échange avec des journalistes vénézuéliens, ils sont encore plus bas que nous dans les classements de liberté de la presse, et ils se sentaient touchés que j’aie eu ce prix. Cela avait également un sens pour les journalistes auxquels j’ai parlé en Inde. Mais du coup, cela fait des jours que je parle dans les médias : avez-vous l’impression en m’écoutant d’entendre un vieux disque rayé ? (Rire)

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