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Au Brésil, les « envoyés de Dieu » à la conquête de la jungle

Par Bruno Meyerfeld

Publié aujourd’hui à 02h31

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Reportage« Dans la forêt amazonienne » (2/2). Des émissaires évangéliques, issus d’associations souvent richement dotées, débarquent dans des villages indigènes reculés pour convertir les « derniers païens » avec des méthodes redoutables et nocives.

A la nuit tombée, dans les rues d’Atalaia do Norte, déambulent d’étranges fantômes. Ils marchent très vite et tout droit, flottant généralement dans d’informes vêtements de randonnée. Ils sont bruns, blonds, le teint souvent pâle ou brûlé par le soleil, le sourire crispé et un léger accent étranger – italien, espagnol, asiatique ou américain. Surtout, ils vont toujours une bible dans la poche ou sous la main. Leur destination ? Les églises évangéliques de cette ville de 20 000 habitants. Dans ces bâtisses en brique toutes semblables, carrelées, éclairées au néon, se pressent une majorité d’indigènes. Des femmes, des hommes, souvent jeunes et timides, tenant dans leurs mains crispées des exemplaires tout cornés de l’Ancien Testament. Chaleureux, les pasteurs leur offrent du soda sucré, des bonbons au chocolat, des parts de gâteaux de maïs. Et un sermon pour la route.

« Vous avez une identité forte, vous vous dites : “Je suis Matis, je suis Marubo…” Mais chacun ici a le droit de choisir son existence. Croire en Dieu, c’est bon pour votre peuple, c’est bon pour vous ! », lance à l’assemblée un officiant brésilien dans l’église baptiste d’Atalaia. Un pasteur à la peau tannée, péruvien, prend le relais : « Certains disent que Dieu, ce n’est que pour les Blancs, mais ça n’est pas vrai. Dieu est aussi là pour les indigènes, Dieu est avec vous ! » Les fidèles opinent et prient avec ferveur, les yeux fermés.

Des membres de la tribu Mayoruna devant une église catholique, située à l’entrée du territoire indigène du Vale do Javari, à Atalaia do Norte, au Brésil, le 15 août 2021. TOMMASO PRTOMMASO PROTTI POUR « LE MONDE »OTTI TOMMASO PROTTI POUR POUR « LE MONDE »POUR “LE MONDE” Des indigènes kanamari vivant dans un camp de fortune sur les rives de la rivière Javari, dans la ville d’Atalaia do Norte, au Brésil, le 15 août 2021. TOMMASO PROTTI POUR « LE MONDE »

La même scène se reproduit dans d’autres églises du quartier. Au temple presbytérien, à deux rues de là, le pasteur Davi, coréen de nationalité, chante le gospel en anglais et discourt en portugais. « Beaucoup d’entre vous sont venus de loin, certains sont arrivés en canoë depuis leur village. Mais, pour tous, Jésus est la vie ! », lance-t-il. Au fond de la salle, un groupe de femmes d’une trentaine d’années, vraisemblablement originaires des Etats-Unis, applaudit.

Chapeau crasseux et barbe longue

Que viennent donc faire tous ces visiteurs dans cette cité perdue aux confins de l’Amazonie occidentale, à la triple frontière brésilo-colombo-péruvienne ? En apparence, Atalaia do Norte n’a rien d’un hub international. La ville n’est accessible pour l’essentiel que par bateau. Elle est aussi, et surtout, la dernière étape urbaine avant l’immense terre indigène du Vale do Javari. Au Brésil, celle-ci est d’abord synonyme d’isolement. Grande comme l’Autriche, cette réserve est la deuxième plus vaste du pays et occupe une place particulière : le Vale do Javari abrite sous sa canopée la plus importante concentration de peuples « non contactés » de la planète. Une quinzaine de groupes, soit de 300 à 500 êtres humains, reclus quelque part au plus profond de la jungle, sans aucun contact avec le monde extérieur.

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