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Attentats du 13-Novembre : le long et difficile travail de résilience des victimes étrangères

Parmi les 130 morts des attentats du 13-Novembre, figurent plus de 30 nationalités différentes. La distance et la barrière de la langue rendent chaque étape un peu plus complexe pour les victimes de l’étranger. Mais vendredi, des survivants britanniques et irlandais du Bataclan braveront les obstacles et seront présents à la barre pour ajouter leurs témoignages aux nombreux récits français.

En attaquant le Bataclan, les terroristes ne s’en sont pas seulement pris à des noctambules français, ils s’en sont pris au monde entier. Près d’un quart des personnes tuées dans la salle de concert parisienne étaient des ressortissants étrangers. Beaucoup étaient venues voir les rockeurs californiens Eagles of Death Metal le soir de l’attaque qui a fait 90 morts. Lundi, le tribunal a recensé 2 375 plaignants, dont 215 ressortissants étrangers et trois Français ayant la double nationalité de 36 pays différents, du Mexique au Cameroun, de l’Égypte au Japon. Les plaignants britanniques constituent le contingent le plus important avec 27 parties civiles, suivis des Serbes, des Américains, des Marocains, des Espagnols, des Autrichiens et des Italiens.  

Si le travail de reconstruction s’avère compliqué pour les victimes françaises, il l’est plus encore pour les victimes étrangères. Aux douleurs physiques et traumatismes psychologiques s’ajoutent la barrière de la langue, les tracasseries administratives et l’isolement. Certains survivants sont rentrés chez eux quelques jours, voire quelques heures seulement après les attentats. Une distance vécue comme une « double peine » pour certains. Assister au procès à Paris est loin d’être simple et témoigner devant un tribunal étranger relève bien souvent de la gageure. 

Hommages étrangers près de la salle de concert du Bataclan pour les victimes des attentats terroristes du 13-Novembre à Paris. © Joël Saget, AFP

Être présent pour comprendre  

Mais obtenir des réponses aux questions n’a pas de prix. Michael O’Connor fait partie de ces victimes qui souhaitent faire le déplacement à Paris pour témoigner au procès. Vendredi, ce Britannique qui avait 30 ans au moment des faits se présentera donc devant le tribunal de Paris et racontera l’histoire de ces deux heures qui ont jeté « une ombre opaque sur tout le reste de sa vie ». À l’époque, le jeune trentenaire travaillait comme chef à Lyon. Lui et sa petite amie avaient décidé de passer « un week-end romantique à Paris », explique-t-il à France 24 depuis Newcastle. Sa soirée en amoureux, il la passera comme d’autres à faire le mort couché sur le sol, sans trop comprendre les ordres des terroristes, ni ceux de la police venue les délivrer. Par la suite, Michael O’Connor développe des troubles du sommeil et un stress post-traumatique qui l’obligent à précipiter son retour en Angleterre. S’il s’en est sorti avec seulement quelques bosses et ecchymoses, les blessures invisibles demeurent tout aussi profondes et handicapantes. L’absence de plaies à panser sur le corps fini presque parfois par le faire douter de l’attaque. Ses souffrances l’empêchent aussi de reprendre son emploi dans la restauration.  

En se rendant au procès, Michael O’Connor espère ainsi mieux comprendre les faits et gagner en sérénité. En témoignant à la barre, il entend aussi y prendre une part active. « Je ne veux pas me lever et raconter la même histoire qui a été racontée cent fois par d’autres personnes. Mais en parlant avec d’autres survivants, j’ai réalisé que des détails insignifiants pour certains pouvaient être précieux pour d’autres », explique le Britannique dans un doux accent du nord de l’Angleterre. « Cela peut-être une chose aperçue dans un couloir, une odeur, un son, ou l’heure à laquelle les lumières se sont allumées, des choses comme ça. Ces informations m’ont permis de les replacer dans ma chronologie des faits et cela m’a aidé. […] Car au bout de six ans, votre mémoire peut vous jouer des tours et il est bon d’y voir clair. »

« Refermer un chapitre après ça » 

« Pour les personnes qui vivent loin de Paris, à l’étranger ou dans d’autres villes de France, le risque est peut-être de se sentir un peu plus seul face à tout ça », note Olivier Laplaud, rescapé du Bataclan et vice-président de l’association Life for Paris, groupe de soutien dont le nom anglais a été précisément choisi pour faire savoir aux étrangers qu’ils étaient les bienvenus. « On le voit aussi dans les groupes de discussions sur nos pages privées sur Facebook. On sent que les étrangers ont un vrai besoin de venir à Paris pour faire partie du procès et en être acteur finalement. Pour être au plus près de l’action. Leur présence facilitera certainement leur reconstruction. Et j’espère effectivement qu’ils retrouveront des réponses et qu’ils pourront fermer un chapitre après ça. »  

Raison pour laquelle Michael O’Connor prévoit au moins trois voyages à Paris : un pour témoigner le 15 octobre au procès, un autre pour assister aux commémorations en novembre et un nouveau en janvier. « Heureusement, je travaille pour le NHS [le service national de santé britannique, NDLR], ils ont été très compréhensifs. Ils m’ont accordé du temps libre, ce qui est vraiment bien, mais j’imagine que ce n’est pas forcément le cas dans d’autres professions. » 

Quitter son emploi ou ses enfants temporairement peut s’avérer compliqué, fatiguant et onéreux. Sur ce dernier point, la cour d’appel de Paris prévoit une longue liste d’indemnités pour couvrir les frais de comparution (repas, hébergement, déplacements, transports en commun et stationnement). Il y a aussi une indemnisation par jour passé au tribunal, ainsi que certaines indemnités liées à la perte de salaire. Aux aides de l’État peut s’ajouter la solidarité actives des membres des associations d’aide aux victimes. À Life for Paris, comme dans d’autres associations, « il y a une volonté de s’entraider », souligne Olivier Laplaud. « Pour les commémorations annuelles par exemple, il n’est pas rare que les gens disent : ‘Je n’ai pas vraiment l’argent pour venir à Paris pendant deux jours. Quelqu’un pourrait-il me prêter son canapé ?’ Et ça s’arrange, vraiment naturellement. »  

Silence radio

Pour ceux qui ne peuvent pas se déplacer, il n’est pas non facile de suivre le procès à distance. Surtout quand la webradio – qui retransmet chacune des audiences – ne fonctionne pas à l’étranger. Le dispositif mis en place par les autorités judiciaires n’est actuellement disponible qu’en France métropolitaine pour des raisons de cybersécurité. Le ministère français de la Justice dit travailler à une solution, mais pour l’instant, rien ne change. « Un coup dur », pour Michael O’Connor, qui aurait « aimé suivre le procès d’un peu plus près ». Le Britannique peut tout de même compter sur son cabinet d’avocats français, qui envoie par mail des comptes-rendus d’audience rédigés en anglais à tous les plaignants anglophones. Il peut aussi s’appuyer sur l’association d’aide aux victimes Life For Paris, qui aide dans ce sens. En dernier recours, il reste toujours Google Translate pour traduire les articles de presse.  

Et que dire des difficultés à préparer son témoignage avec un cabinet d’avocats basés à Paris depuis l’étranger ? Tenus à distance de ses conseillers juridiques pendant toute la durée de la pandémie, Michael O’Connor a dû effectuer tous les échanges avec son avocat par écran interposé. Heureusement, son cabinet parisien est rompu à ce genre d’exercice. Le cabinet familial de l’avocat de Thomas Ricard représente Michael O’Connor ainsi que 20 autres plaignants britanniques et irlandais, tous victimes de l’attentat du Bataclan basés à l’étranger. « Nous sommes historiquement attachés au Royaume-Uni parce que mon grand-père qui a fondé l’entreprise a participé au Débarquement avec les Britanniques. Et puis j’ai travaillé à Londres pendant environ sept ans », explique Thomas Ricard à France 24. 

Il considère qu’une grande partie du rôle de l’avocat consiste de manière générale à aider les clients tout au long de leur processus de deuil. Mais pour les clients étrangers, il est tout aussi nécessaire de les guider à travers le système français d’indemnisation des victimes – processus rendu plus compliqué encore pour les victimes étrangères et les perturbations liées à l’épidémie de Covid-19. Et puis il faut aussi expliquer aux étrangers le fonctionnement d’une enquête française. En France en effet, les plaignants sont encouragés à être proactifs pendant l’enquête, à transmettre les questions qu’ils souhaitent. Ce n’est qu’une fois l’enquête terminée que le procès commence. Un procès français est aussi différent d’un procès britannique à bien des égards. « Pas d’imposantes perruques, ni de tribunes de témoins ou ce genre de choses », plaisante Michael O’Connor. Mais dans le cadre des affaires de terrorisme par exemple, le verdict est rendu par un jury composé de juges professionnels et non par un jury populaire. 

À ce titre, l’anglaise Zoe Alexander, qui a perdu son frère Nick au Bataclan, tient d’ailleurs à féliciter la justice française d’avoir permis à tant de personnes de s’exprimer. « La durée du procès est stupéfiante, mais je pense qu’il est très important de permettre à chaque victime d’être entendue ou d’honorer la mémoire des défunts », assure-t-elle à France 24 depuis le nord-ouest de Londres. Laisser cet espace aux survivants et aux familles des victimes est vraiment important dans le processus de guérison. » 

Zoe Alexander a choisi de témoigner au nom de la famille de Nick « pour être sa voix dans ce processus » et « prononcer son nom dans la salle d’audience devant les terroristes », bien qu’elle et sa famille n’aient guère pensé aux assaillants après cette nuit-là. Au lieu de cela, ils ont préféré se recentrer sur sa mémoire en créant le Nick Alexander Memorial Trust, un organisme de bienfaisance qui collecte des fonds pour fournir du matériel musical à ceux qui en ont besoin, souvent par le biais de concerts. Une manière « de reprendre le contrôle sur les assaillants, explique sa sœur. À ceux qui pensaient avoir décidé de la fin de l’histoire de Nick, nous leur disons, ‘non, c’est nous qui déciderons comment cela se terminera’ », assure-t-elle, bien déterminée à ne pas craquer pour ne pas que les terroristes se repaissent de son chagrin.  

Zoe Alexander peut aussi compter sur l’aide de ses compatriotes. Au Royaume-Uni, « nous avons une belle communauté de rescapés anglais et nous sommes très régulièrement en contact. Mais comme nous sommes tous aux quatre coins du pays, la crise sanitaire a limité les échanges aux messageries Messenger et WhatsApp », abonde-t-elle. Nous sommes toujours là pour nous soutenir, mais rien ne remplace le face-à-face dans ces situations. » Pour toutes ces raisons, Zoe Alexander sera elle aussi bien présente vendredi au palais de justice de Paris pour écouter Michael O’Connor et les autres survivants britanniques. Et comme à chaque fois qu’elle les voit, elle partagera avec eux de nouveaux éclats de rire. « C’est d’ailleurs incroyable de voir à quel point il y a peu de colère dans cette communauté. Elle peut monter et descendre, mais nous ne sommes pas des gens en colère. » Peut-être que les étrangers en partant de Paris pourront mettre les attentats derrière eux. Ce serait là l’ultime victoire. 

Cet article a été adapté de l’original en anglais par Aude Mazoué.

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