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Liberté de la presse : le Nobel, un appel à l’éveil

L’attribution du prix Nobel de la paix, vendredi 8 octobre, à l’intrépide Maria Ressa, fondatrice du site d’information philippin indépendant Rappler, et au courageux Dmitri Mouratov, rédacteur en chef du journal russe Novaïa Gazeta est loin d’être anodine. C’est un appel à l’éveil, un signe bienvenu, contribuant à la prise de conscience des nombreuses menaces qui pèsent sur la liberté d’informer et sur celles et ceux qui incarnent ce combat. Dans de nombreuses régions, ce droit régresse. La présidente du comité norvégien, Berit Reiss-Andersen, l’a relevé, en constatant que « la démocratie et la liberté de la presse sont confrontées à des conditions de plus en plus défavorables ».

La première menace est d’ordre physique. Lors de la cérémonie, Dmitri Mouratov a rendu hommage aux six membres de sa rédaction tués dans l’exercice du métier, dont Anna Politkovskaia. La Russie et les Philippines ont en commun, sous des latitudes différentes, qu’un reporter qui en dit trop sur le pouvoir central ou des potentats locaux peut finir assassiné. A ce titre, le comité Nobel aurait aussi bien pu remettre sa distinction à des journalistes mexicains, le pays le plus meurtrier pour la profession, ou à ceux qui se sont risqués à prendre des photos de manifestations de femmes dans les rues de Kaboul aux premières semaines du nouveau pouvoir taliban. C’est chacun d’entre eux en réalité que ce prix honore.

Le combat pour l’information souffre en second lieu de l’avènement de pouvoirs assumant une rhétorique violente et s’en prenant aux filtres qui pourraient s’intercaler entre eux et les citoyens dont ils convoitent le vote. Ceux qui cherchent la vérité sont automatiquement placés dans une position inconfortable, parfois dangereuse. Comme ces journalistes du média numérique philippin Rappler menacés pour avoir enquêté sur la sanglante guerre contre la drogue du président Rodrigo Duterte, qui se présente comme un tueur.

Facebook est devenu « un monstre »

En Russie comme en Chine, des dirigeants refusant les fondements du système démocratique n’hésitent pas à user de la force. Le jour même de l’annonce du prix Nobel de la paix, un ancien journaliste d’investigation chinois, Luo Changping, qui avait jugé plus prudent de changer de carrière face à la toute-puissance du chef de l’Etat-parti, était arrêté pour avoir critiqué, sur les réseaux sociaux, un film patriotique. Et le gouvernement annonçait ce même vendredi qu’à l’avenir les « capitaux non publics » ne pourront investir dans des organes médiatiques ou jouer un rôle dans l’information.

Cette lutte acharnée pour la vérité se heurte enfin au rôle prépondérant qu’ont pris les réseaux sociaux dans nos sociétés. Maria Ressa constate que Facebook est devenu « un monstre », grâce auquel les trolls du pouvoir instillent dans l’opinion l’idée qu’elle est l’ennemie du peuple, une agente étrangère, et font infuser les mensonges et la haine. C’est aussi ce que vient de souligner devant le Congrès américain la lanceuse d’alerte Frances Haugen, qui accuse le mastodonte de faire passer ses profits avant l’intérêt général, tandis que les pouvoirs publics lui ont laissé le champ libre.

Toutes les études, internes à Facebook comme externes, montrent que les contenus qui choquent et provoquent la colère sont naturellement plus viraux que ceux qui cherchent à provoquer l’empathie. Dans ce cadre, Facebook a fait quelques pas, mais essentiellement sur le sol américain : 87 % du nombre d’heures consacrées à la lutte contre la désinformation portaient sur les Etats-Unis, quand le reste du monde représente 90 % de ses usagers. Cette distorsion montre à quel point le combat pour la liberté d’informer a perdu de son universalité.

Le Monde

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