On a connu l’exécutif plus bavard. Annoncée en grandes pompes par Edouard Philippe en novembre 2019, la réforme de l’immigration de travail semblait avoir totalement disparu de l’agenda. Il n’en est rien. S’il n’est plus question d’objectifs chiffrés, le gouvernement a revu discrètement la liste des métiers en tension, ouverts aux immigrés, au printemps dernier, et réorganisé les services chargés de délivrer les autorisations de travail. Sans tambour ni trompettes. Quasi aucune reprise dans les médias. Serait-il devenu frileux sur ce sujet inflammable, à l’approche des élections? « Il était difficile de communiquer sur ce thème en pleine crise du Covid, justifie-t-on au ministère de l’Intérieur. Nous avons ciblé notre communication vers les principaux intéressés, les employeurs et les salariés. » Pourtant, la réforme pourrait avoir un impact majeur sur l’immigration de travail dans les années à venir.
Le constat est connu. Depuis les années 1980, l’immigration familiale a pris une place prépondérante dans notre pays et nos politiques publiques ont négligé les filières professionnelles. Le nombre de titres de séjours octroyés à des travailleurs de pays tiers (les ressortissants de l’Union européenne n’en ont pas besoin) était tombé à des étiages très faibles dans les années 2000: jusqu’à 11.000 par an à peine, contre 80 à 90.000 pour l’immigration
Une liste de métiers totalement obsolète
Pour les autres travailleurs, les procédures étaient restées, en revanche, inadaptées. Le chemin le plus direct était de candidater dans des métiers dits « en tension », souffrant de difficultés de recrutement. Dans ce cas, pas besoin d’autorisation de travail. Sauf que la liste des métiers n’avait pas bougé depuis un arrêté de 2008. Dans un rapport de mai 2020, la Cour des comptes stigmatisait la « désuétude » et « l’inadaptation » de cette liste, quasi identique pour toutes les régions. « Parmi les 30 métiers qui ont le plus souffert de difficultés de recrutement en 2019 établie par Pôle emploi, seul le 3ème (« ingénieurs et cadres d’étude, R&D en informatique, chefs de projets informatiques ») figure, avec d’autres intitulés, dans l’arrêté de 2008, les autres en étant totalement absents », écrivaient les magistrats. Des critiques dont a tenu compte le gouvernement. L’arrêté du 1er avril 2021 renouvelle ainsi la liste en se focalisant davantage sur des « familles » de professions, plus larges que des métiers spécifiques. Dans certaines régions, la liste s’est aussi allongée. En Bretagne, le nombre d’items passe de 16 à 30 et on y trouve désormais les bouchers, les plombiers, les ouvriers non qualifiés du BTP ou encore les maçons.
Pour les immigrés ne se dirigeant pas vers ces métiers en tension, il faut demander une autorisation auprès des services de l’Etat chargés de la main d’œuvre étrangère (SMOE). Au préalable, l’employeur doit démontrer que son annonce n’a pu être satisfaite localement, faute de candidature adéquate, au bout de trois semaines. « Dans la pratique, les autorisations se faisaient au compte-goutte et les délais pouvaient atteindre 12 semaines dans certaines régions », pointe Jean-Christophe Dumont, spécialiste des migrations à l’OCDE. Un véritable parcours du combattant, qui s’est assoupli depuis le printemps. Les SMOE, qui faisaient auparavant partie des directions départementales du ministère du Travail, sont passés dans le giron des préfectures. « Nous les avons regroupés dans sept plateformes interrégionales dont une dédié aux travailleurs saisonniers, explique-t-on au ministère de l’Intérieur. Avec la dématérialisation totale des procédures, cela va permettre d’accélérer les délais de traitement des demandes. » Une réforme fondamentale selon Jean-Christophe Dumont: « on bascule vers un système de quasi-automaticité des autorisations de travail. Dans un contexte de fortes difficultés de recrutement et de chômage bas, tous les ingrédients sont réunis pour avoir une véritable hausse de l’immigration de travail dans les années à venir. »
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