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« On m’a volé ma vie » : en Afghanistan, après le retour au pouvoir des talibans, le futur incertain des femmes médecins

Docteure Arifa Alizad, chirurgienne cardiaque, à l’Institut médical français pour la mère et l’enfant, à Kaboul, le 6 juin 2021. HEDAYATULLAH POUR « LE MONDE »

L’une a quitté l’Afghanistan le 21 août, au milieu du chaos, et se morfond aujourd’hui dans une base militaire du Wisconsin, rongée par la certitude d’un destin brisé, de rêves torpillés, d’une vie désormais dénuée de sens. « Je ne sers plus à rien, dit-elle au téléphone dans un sanglot. Si je ne peux plus être chirurgienne cardiaque, l’objectif de toute ma vie, je suis une morte-vivante. »

L’autre, empêchée par la foule d’accéder mi-août à l’aéroport de Kaboul, a passé une nuit d’effroi dans sa voiture avant de rebrousser chemin, amère et angoissée, dépourvue du visa français qui aurait pu la sauver. Elle tente de poursuivre son travail de médecin-réanimatrice à l’Hôpital français de Kaboul, lucide sur la précarité de sa situation, consciente d’être prise dans une nasse. « L’étau se resserre chaque jour sur les femmes, confie-t-elle via WhatsApp. L’idéologie talibane se dissémine, cannibalise tous les esprits. J’attends, le ventre noué, le jour où je ne pourrai plus exercer mon métier, où l’on me jettera de l’hôpital malgré mon expertise. Je suis tout ce que détestent les talibans. Ce régime ne me laissera pas vivre. »

La première, la docteure Arifa, est obsédée par l’idée de retourner au plus vite à Kaboul terminer, après quatorze ans d’études, les quelques mois d’apprentissage qui sont encore nécessaires à l’obtention de son diplôme de chirurgienne cardiaque. « Il n’y a pas d’autre solution. Je veux ce dernier certificat plus que tout au monde. J’étais si proche du but… » Ses proches se récrient, disent que c’est une folie, que pas un réfugié au monde ne souhaite repartir en Afghanistan, que les talibans lui interdiront l’exercice de la chirurgie et que la question, de toute façon, ne se pose pas dans ce camp de réfugiés, au cœur de l’Amérique rurale, dont elle n’a même pas encore l’autorisation de sortir. La seconde, la docteure Shoranghaize, ne songe qu’à quitter un pays qu’elle rêvait de servir mais dans lequel elle n’a plus sa place. Pire : dans lequel elle se sait en danger.

Injustice fondamentale

Deux femmes. Deux histoires. Deux destins. Un même désespoir devant le séisme qu’a provoqué dans leur vie, le 15 août, la prise de pouvoir des talibans. Une même révolte devant l’injustice fondamentale qui s’est abattue sur les femmes, instantanément privées de leurs droits les plus élémentaires (circuler, s’éduquer, travailler…) et traitées désormais en « sous-êtres ». Nous les avions rencontrées toutes deux à Kaboul en juin, à l’occasion d’un reportage sur l’Hôpital français créé par l’ONG La Chaîne de l’espoir. Discrètes mais si impressionnantes. Pionnières, chacune dans sa spécialité, et phares pour d’autres jeunes femmes à qui elles étaient fières d’ouvrir la voie.

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