Expulsions quotidiennes, tentes lacérées, biens confisqués… L’Etat met en œuvre une « politique de dissuasion » sur le littoral nord, qui soumet les migrants à une « humiliation et un harcèlement quotidiens », documente un rapport publié jeudi 7 octobre par l’organisation non gouvernementale (ONG) Human Rights Watch (HRW).
Dans cette publication qui paraît cinq ans après le démantèlement, en octobre 2016, de l’immense campement de Calais, surnommé la « jungle », HRW estime que « les pratiques de la police » sur le littoral « ont rendu la vie des migrants de plus en plus misérable ». Une situation qu’associations, autorités indépendantes et défenseurs des droits de l’homme dénoncent depuis des années.
A Calais, Grande-Synthe et leurs environs, où plus d’un millier de personnes vivent toujours dans les zones boisées, des entrepôts désaffectés ou sous les ponts, dans l’espoir de passer vers le Royaume-Uni, la police couple « des expulsions de masse périodiques » avec « des opérations routinières » qui poussent les exilés à se déplacer continuellement, « pendant que les agents confisquent les tentes qu’ils n’ont pu emporter avec eux – les tailladant souvent pour qu’elles ne soient plus utilisables », écrit l’ONG. « Quand la police arrive, nous avons cinq minutes pour sortir de la tente avant qu’elle ne détruise tout », témoigne ainsi Rona D., une Kurde irakienne citée dans le rapport. « La police a tailladé la bâche qui servait de toit à notre abri », expliquait-elle lorsqu’elle avait été interrogée en décembre 2020.
950 expulsions en 2020
« Rien ne peut justifier de soumettre des personnes à une humiliation et un harcèlement quotidiens », a rappelé Bénédicte Jeannerod, directrice pour la France de HRW. « Si l’objectif est de dissuader les migrants de venir dans le nord de la France, ces politiques sont un échec flagrant et plongent les personnes dans une profonde désolation. »
Selon le HRO (Human Rights Observers), une association qui s’est spécialisée dans le suivi de la situation migratoire sur le littoral nord, la police a procédé en 2020 à plus de 950 opérations d’expulsions « de routine » à Calais, 90 à Grande-Synthe, lors desquelles elle a saisi 5 000 tentes et bâches.
« Ces pratiques abusives s’inscrivent dans une politique de dissuasion plus globale des autorités, visant à supprimer ou à éviter tout ce qui pourrait, à leurs yeux, attirer les migrants dans le nord de la France et encourager l’établissement de campements ou d’autres “points de fixation” », déplore encore HRW, qui a enquêté sur place d’octobre à décembre 2020, puis en juin et juillet 2021, interrogeant notamment 60 migrants.
Une stratégie assumée par le ministère de l’intérieur, qui n’a pas répondu aux sollicitations de l’Agence France-Presse mais dont le locataire, Gérald Darmanin, expliquait en juillet à La Voix du Nord : « La consigne que j’ai donnée pour éviter de revivre ce que les Calaisiens ont connu il y a quelques années, c’est la fermeté des forces de l’ordre », qui se traduit par « des opérations toutes les vingt-quatre ou quarante-huit heures ».
« Cercle vicieux »
Elle se traduit aussi, rappelle l’ONG, par les « restrictions à l’aide humanitaire », qui se sont cristallisées dans de récents arrêtés interdisant la distribution de nourriture et d’eau par certaines associations dans le centre-ville de Calais. Restent les distributions approuvées par l’Etat. « Parfois, ils changent l’endroit où ils donnent la nourriture et on ne sait pas où aller. On essaie de courir », mais « le temps qu’on arrive, ils peuvent être déjà partis », témoigne un Syrien de 17 ans.
« En gros, les autorités font tout ce qu’elles peuvent pour rendre les conditions de vie invivables », résume Antoine Guittin, un responsable associatif local de Choose Love cité dans le rapport. Face à ce constat, Human Rights Watch exhorte la France à « rompre le cercle vicieux des expulsions et des harcèlements répétés ». Il faut surtout, demande l’ONG, « mettre fin à la pratique consistant à confisquer les tentes, bâches, sacs de couchage et couvertures dans les campements ». Le démantèlement de la « jungle » devait « mettre fin à une situation indigne », insiste Bénédicte Jeannerod. « Mais la situation actuelle est, à bien des égards, elle aussi indigne. »
La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) avait dénoncé précédemment la violation des « droits fondamentaux » des exilés à Calais et Grande-Synthe. La Défenseure des droits, Claire Hédon, avait également dénoncé les conditions de vie « dégradantes et inhumaines » des migrants vivant à Calais.
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