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Forêt d’Afrique centrale : ce qu’il reste à sauver

Un gorille dans le parc national d’Odzala-Kokoua, en République démocratique du Congo. NICOLAS DELOCHE/GODONG/PHOTONONSTOP

A quelques semaines de la conférence des Nations unies sur le climat à Glasgow, le regard des défenseurs de l’environnement est braqué sur la République démocratique du Congo (RDC). Le gouvernement a annoncé la levée prochaine du moratoire sur l’attribution de nouvelles concessions forestières, en vigueur depuis 2002. Pour Greenpeace et Rainforest Foundation UK, à la tête d’une coalition de quarante ONG internationales et locales, cette décision aboutira à livrer la deuxième plus grande forêt tropicale de la planète après l’Amazonie à l’exploitation industrielle, avec des conséquences graves pour le climat, la biodiversité et les populations dont la vie en dépend.

La RDC possède plus de 60 % du massif qui s’étend du Cameroun à l’Ouest jusqu’au Rwanda à l’Est. « Nous sommes à la veille d’un échec historique dans la protection d’une des plus grandes forêts tropicales du monde, et peut-être la dernière servant encore de puits de carbone », a alerté, le 23 septembre, Joe Eisen, directeur de Rainforest Foundation UK.

Ce n’est pas la première fois que les autorités congolaises envisagent d’abandonner cette interdiction prise pour donner un coup d’arrêt au pillage des ressources. Jusqu’à présent, la pression internationale a toujours fait reculer Kinshasa. Cette fois-ci, la ministre de l’environnement fraîchement nommée, Eve Bazaiba, n’entend pas renoncer : « Le moratoire était une mesure provisoire et voilà vingt ans qu’il dure. Sans avoir permis de protéger la forêt. C’est au contraire un désordre incommensurable. Partout, le bois est exploité illégalement au détriment des recettes de l’Etat », argue la ministre en jurant qu’il n’est pas pour elle question de livrer la forêt aux grands exploitants.

Une coopération encore inefficace

La RDC, avec une population estimée de 90 millions d’habitants, a perdu 20 % de ses forêts humides en trente ans. Quasiment autant que le Brésil, selon les chiffres du Joint Research Center (JRC) européen. Dans les pays voisins, où la pression démographique est moindre, la déforestation n’a pas suivi le même cours. Au Gabon, 2 millions d’habitants et 267 000 km2 recouverts à près de 90 % de forêts, la perte de couvert forestier est estimée à 2,5 % sur la même période. Contrairement à l’Amazonie, convertie en champs de soja ou en pâturages, ou à l’Indonésie, paradis du palmier à huile, l’exploitation forestière et les cultures industrielles ne sont pas ici les principaux moteurs de la déforestation. L’agriculture itinérante sur brûlis, dont dépendent des millions de paysans, et le charbon de bois, qui reste pour l’immense majorité la seule source d’énergie, en sont bien davantage la cause. Ce qui a conduit à parler d’une « déforestation de la pauvreté ».

Avec des degrés d’ambition divers, tous les pays d’Afrique centrale ont pris des engagements pour protéger leurs forêts dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat. L’enjeu pour contenir le réchauffement planétaire en dessous de 1,5°C d’ici à la fin du siècle est majeur. Le massif forestier du bassin du Congo et ses tourbières représentent un stock de CO2 équivalent à environ dix années d’émissions mondiales. Il en va aussi des équilibres locaux et régionaux : « Les forêts influencent les pluies jusqu’au Sahara, et sur le seul bassin du Congo, on estime qu’elles contribuent à injecter dans l’atmosphère plus de la moitié des précipitations annuelles », rappelle le climatologue Arona Diedhiou, directeur de recherches à l’Université de Grenoble.

Les pays industrialisés, qui portent la responsabilité historique du dérèglement climatique, continuent pourtant de se montrer réticents à mobiliser l’argent nécessaire à la mise en œuvre de ces engagements clairement conditionnés à des financements internationaux par les gouvernements africains. La persistance dans cette région du continent de régimes bafouant les droits humains et/ou peu scrupuleux dans la gestion des deniers publics ne les y encourage pas. Cette défiance se traduit par des politiques de coopération qui ont jusqu’à présent donné peu de résultats. Après cinq années passées comme conseillère auprès du ministre des finances de RDC pour la mise en œuvre du Fonds national pour la réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts (Fonaredd), Mirey Atallah a bien résumé la situation : « J’ai compris que votre silence ne signifie pas que vous n’avez rien à dire mais que vous avez compris que la personne en face n’est pas ouverte à d’autres avis. »

Le nouvel accord financier que s’apprêtent à signer les bailleurs réunis au sein de l’initiative pour les forêts d’Afrique centrale avec la RDC permettra-t-il de sortir de cette impasse ? En tout cas, la « provocation » d’Eve Bazaiba rappelle qu’in fine les Etats conservent la décision de protéger ou non leurs forêts. A défaut de savoir trouver avec eux les moyens de sauver ce qui est pourtant considéré comme un « bien public mondial ».

Cet article a été réalisé en partenariat avec la Ville de Paris à l’occasion de l’Initiative de Paris pour la préservation des forêts d’Afrique centrale.

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