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A Kaboul, brûler des livres pour échapper au joug taliban

Amir (au centre), de l’ethnie hazara, dans sa librairie du quartier de Dasht-e-Barchi, dans l’ouest de Kaboul, le 16 septembre. A gauche, un client. WILLIAM DANIELS POUR « LE MONDE »

Le régime taliban n’inspire pas qu’une peur physique. Sa vision très rigoriste du monde fait souvent craindre le pire aux esprits les plus ouverts. Tel ce petit libraire du boulevard Shahid-Mazari, au cœur du quartier de Dasht-e-Barchi, à l’ouest de Kaboul, qui a décidé de se débarrasser de trois ouvrages représentant, selon lui, un danger si les talibans venaient à y regarder de plus près. Un choix qui fait écho aux attaques meurtrières qui ont frappé, en mai 2020 et 2021, des hôpitaux et des écoles de cette partie de la capitale, habitée à 95 % par les Hazara, une minorité chiite persécutée par les sunnites extrémistes. Et un dépit qui manifeste l’incertitude dans laquelle vit cette communauté malgré des messages d’ouverture adressés par les nouveaux maîtres du pays, depuis fin août.

Amir, dont le visage de type mongol dit qu’il est hazara, reçoit, ce jeudi 16 septembre, sur des tabourets instables en plastique et se meut avec aisance dans son antre minuscule aux murs couverts de livres. De celui-ci, situé presque en face du poste de police, de l’autre côté du boulevard désormais occupé par des policiers talibans aux manières rudes du Sud afghan dont ils sont originaires, il les voit passer chaque jour.

« Ils ne sont pas encore venus, mais j’ai préféré brûler les deux cents exemplaires que j’avais achetés du dernier livre d’Homeira Qaderi et je vais faire de même avec deux ouvrages de Manouchehr Faradis, explique-t-il. Je ne veux pas ajouter la violence à la crise. Nos deux principaux clients, des instituts de cours du soir, n’ont pas rouvert. La perte est sèche et le loyer est élevé, on va finir par mettre la clé sous la porte. »

Phénomène tabou

Du stock de livres d’Homeira Qaderi, il n’a gardé qu’un volume en anglais intitulé Dancing in the Mosque, an Afghan Mother’s Letter to Her Son (« danser dans la mosquée, la lettre d’une mère afghane à son fils »). La couverture est anodine, un arbre et deux silhouettes de femme, de dos, la tête couverte d’un simple voile. Néanmoins, d’après le jeune libraire, le contenu et la personnalité de l’autrice incarnent tout ce que les talibans exècrent. « C’est l’une des figures afghanes de défense des droits des femmes dans le pays. »

« Au revoir l’amour. Tomber amoureux », de Manouchehr Faradis, est l’un des livres qu’Amir a décidé de retirer de sa librairie du quartier de Dasht-e-Barchi, dans l’ouest de Kaboul. Le 16 septembre 2021 WILLIAM DANIELS POUR « LE MONDE »

Ayant grandi à Herat (ouest) sous l’occupation soviétique de son pays, puis lors de la guerre civile, elle se voit interdire, comme la plupart des filles, d’aller à l’école après la première prise du pouvoir des talibans, en 1996. Elle continue à s’éduquer, en secret, avant de commencer à publier des nouvelles qui lui valent des menaces de mort. Réfugiée en Iran, elle y termine sa formation intellectuelle. Ecrivaine, professeure à l’université de Kaboul, elle devient très active en matière de lutte pour l’égalité des droits des femmes afghanes tout en occupant des postes de conseillère ministérielle.

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