Il faut imaginer une scène de guerre dans un pays sans guerre. Des deux côtés de la route qui traverse la ville vers l’ouest, les habitations, les boutiques, les stations-service se sont vidées. Une carcasse de voiture chevauche le parapet central. Devant le commissariat, lui aussi délaissé, à la façade criblée de balles, un véhicule blindé abandonné est recouvert de poussière, ultime témoin d’une présence étatique aujourd’hui révolue.
Nous sommes à Martissant, troisième circonscription de Port-au-Prince, à quelques encablures du palais présidentiel, devenue, ces derniers mois et surtout depuis début juin, une zone de non-droit absolu et le repaire de gangs armés jusqu’aux dents. Plus personne n’ose circuler, ni à pied ni en voiture. Ceux qui s’y sont risqués ont été dépouillés, tués ou enlevés. « Ils ont même tiré sur une ambulance et tué une infirmière », s’indigne Samson, un employé de bureau de Port-au-Prince (son prénom a été modifié). Des vidéos circulent de riverains tentant le passage à pied, les mains en l’air, courant sous le crépitement des armes automatiques. Alors, les habitants ont fui leur propre maison.
Selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU, environ 10 000 riverains de la capitale, dont 6 600 de Martissant et de Fontamara, ont été déplacés depuis le 1er juin, date à laquelle les affrontements entre les groupes armés ont explosé pour des questions de contrôle territorial, faisant des dizaines de morts. Près de 1 500 d’entre eux se sont réfugiés au centre sportif de Carrefour, la ville voisine.
Les groupes armés, eux, ont érigé des barricades dans tout le quartier, investi des bâtiments, comme celui de Médecins sans frontières, qui a dû déménager après avoir été la cible d’une attaque fin juin. « On voit des snipers postés aux fenêtres de l’ancienne clinique », affirme, sidéré, un employé de l’organisation.
La situation est d’autant plus grave que la route nationale n° 2, qui traverse le quartier, est la seule voie d’accès au sud-ouest de Haïti, région coupée, depuis trois mois, du reste du pays, et en proie à des pénuries, les livraisons de marchandises par camion n’étant plus assurées. Or, les départements du Sud, de Grand’Anse et des Nippes sont ceux qui ont été dévastés par le séisme du 14 août, qui a fait plus de 2 200 morts et 12 000 blessés.
« Respirer un peu »
Depuis cette date, cependant, les gangs de Martissant ont décrété une trêve afin que l’aide humanitaire puisse être acheminée depuis Port-au-Prince. Le trafic a progressivement repris, avec appréhension. La trêve, affirme Yvon Jérôme, ancien maire de Carrefour, est le résultat d’un dialogue lancé deux semaines avant le séisme par des jeunes et des notables (prêtres catholiques ou vaudous, pasteurs, directeurs d’école…) de la troisième circonscription avec trois chefs de gangs : Izo, de Village-de-Dieu, Ti Lapli, de Grand-Ravine, et Krisla, de Ti Bwa.
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