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Lakhdar Brahimi : « La paix était possible avec les talibans, mais encore eût-il fallu qu’on leur parle »

Ancien ministre algérien des affaires étrangères de 1991 à 1993, Lakhdar Brahimi, 88 ans, fut nommé, le 3 octobre 2001, représentant spécial pour l’Afghanistan des Nations unies, fonction qu’il avait déjà occupée de juillet 1997 à octobre 1999. Il se voit confier, dans le même temps, une mission similaire pour l’Irak. Dans ces deux pays, les Etats-Unis lui délèguent, de fait, la coordination des dossiers politiques et institutionnels. Il quitte l’Afghanistan en 2004 et l’ONU en 2005. Il est encore, pour quelques mois, membre d’un comité pour la paix, The Elders, aux côtés d’anciens hauts responsables politiques et de Prix Nobel.

Comment qualifieriez-vous le départ américain d’Afghanistan après vingt ans de présence ?

Ce n’est pas une défaite militaire. C’est comme pour les Français et l’Algérie. Ce sont les Etats-Unis qui ont décidé de partir. Ils le voulaient depuis le jour où ils ont tué Ben Laden. Après, il n’y avait pas de bons moments pour sortir. En 1989, les Soviétiques ont été contraints de quitter le pays et, au XIXe siècle, les Britanniques ont subi de vraies défaites.

Et puis, pourquoi toujours parler d’une défaite américaine, c’est surtout une victoire des talibans, imputable à leur génie tactique. Le fait d’avoir commencé leur offensive dans le Nord est une idée géniale. Tout le monde les attendait dans le Sud parce que c’était un terrain qui leur était acquis. Avant d’être des islamistes, ce sont des Afghans qui n’abandonnent pas. On dit que le Pakistan leur a mâché le travail, mais pourquoi ne pas dire aussi qu’il existe des talibans intelligents et éduqués. Ce n’est pas la première puissance mondiale à devoir quitter l’Afghanistan.

Pouvait-on imaginer une autre fin que cette chute brutale du régime afghan et le chaos des évacuations ?

Oui. La paix était possible avec les talibans. Mais encore eût-il fallu qu’on leur parle, avant et après leur chute, en 2001. Or, il y avait un refus unanime de dialoguer avec eux. Au cours des années suivant la conférence de Bonn, fin 2001, qui a posé les bases de l’Etat afghan, il était impossible de les intégrer. Pour les néoconservateurs américains au pouvoir, Donald Rumsfeld [secrétaire à la défense du président George W. Bush] en tête, un bon taliban était un taliban en prison ou mort.

En réalité, ils n’avaient pas battu les talibans, ils les avaient dispersés. La masse, 200 000 à 300 000 personnes, combattants, administratifs, était toujours en liberté, en Afghanistan ou au Pakistan. Quand j’ai dit aux Américains : « Ne pensez-vous pas qu’il faut savoir ce qu’ils pensent ? », je n’ai eu aucune réponse. Le Pakistan, historiquement proche des talibans, aurait pu peser, mais il était hors-jeu. Pour l’Iran, la Russie, l’Inde, les Etats-Unis et leurs alliés anglais ou français, c’était « forget about the taliban » [oubliez les talibans].

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