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En RDC, des rescapées solidaires face à la stigmatisation

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Quand elle arpente les ruelles poussiéreuses de Bagira, commune de Bukavu perchée à 1 800 mètres d’altitude, Mwamini Kanega mesure le chemin parcouru. Finies les moqueries, les insultes. A 35 ans, l’assistante sociale peut enfin marcher la tête haute. Elle travaille, gagne de quoi nourrir et éduquer ses huit enfants. Surtout, on ne la traite plus ouvertement de « femme de Hutu ».

Mwamini Kanega fait partie de ces rares survivantes de violences sexuelles qui ont réussi à reprendre pied dans la vie active. Comme des dizaines de milliers d’autres, son histoire illustre l’extrême violence qui s’est abattue ces dernières décennies sur les femmes de l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Un drame terriblement banal qui a débuté une nuit de 2001 : « Tout le monde dormait à la maison. Des rebelles hutu, qui parlaient kinyarwanda, ont débarqué et tué ma mère et ma sœur. Ils m’ont violée et sont repartis. »

Adolescente à l’époque des faits, Mwamini Kanega fuit Walungu pour Bukavu avec ses deux frères. Mais deux ans plus tard, l’histoire se répète : « Des rebelles hutu nous ont enlevés, moi, mes frères et un voisin sénégalais. On a marché jusqu’au parc national de Kahuzi-Biega. Certains ont été libérés au bout de quelques jours. J’y suis restée un an. » Au sein de ce sanctuaire où vivent des gorilles de montagne, la jeune fille devient l’esclave sexuelle de ses bourreaux. Deux enfants naîtront de ces mois de captivité.

Mwamini Kanega, le 25 juin 2021 à Panzi. LEY UWERA POUR « LE MONDE »

A son retour à Bagira, l’histoire de la jeune femme fait le tour du quartier. Mwamini Kanega a beau se faire discrète, difficile d’échapper à la stigmatisation. « Quand un garçon me courtisait et que je le rejetais, il me traitait de femme de Hutu. Tout ça a cassé ma tête. Je pleurais tout le temps », se souvient-elle.

Seules 0,5 % des victimes sont aidées

Quelques années plus tard, la survivante croise la route du docteur Denis Mukwege, « l’homme qui répare les femmes ». Au sein de son hôpital de Panzi spécialisé dans la chirurgie réparatrice des femmes violées, Mwamini Kanega bénéficie d’une prise en charge globale. Elle est soignée pour ses infections vaginales, opérée d’une fistule et suivie par une psychologue pour soigner sa dépression.

C’est après son passage dans la structure que la jeune femme situe le début de sa lente reconstruction. « Quand le docteur Mukwege me voyait abattue et isolée, il me disait : “Tous les matins, regarde-toi dans le miroir et dis-toi : je suis belle, je suis belle ! », s’esclaffe-t-elle en croisant ses mains parfaitement manucurées.

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A Panzi, Mwamini Kanega a eu l’opportunité de bénéficier d’un programme de réinsertion socio-économique. Elle a reçu quelques dollars, vite investis dans la vente de boissons puis de fripes. La jeune femme a aussi pu reprendre ses études universitaires puis s’est spécialisée dans l’accompagnement psycho-social des victimes de violences sexuelles. Une réinsertion réussie qui reste néanmoins une exception : la plupart des survivantes sombrent dans une pauvreté encore plus grande après leur viol.

Selon un rapport de Médecins sans frontières (MSF) publié en juillet, au premier semestre 2020, seules 0,5 % des victimes de violences sexuelles en RDC ont reçu une aide pour retrouver une activité et subvenir à leurs besoins. « Près de deux victimes sur trois que nous avons prises en charge en 2020 ont été violées au cours d’activités quotidiennes dans les champs ou alors qu’elles ramassaient du bois. La peur qui en découle les empêche de repartir travailler pour subvenir à leurs besoins », explique Juliette Seguin, de MSF.

Dans son rapport, l’ONG révèle avoir pris en charge près de 11 000 victimes en 2020, soit 30 par jour, dont 2 % d’hommes. MSF regrette que la réinsertion économique reste un angle mort des nombreux programmes d’assistance.

Des mutuelles de solidarité féminines

Pourtant, les violences sexuelles ont un coût économique majeur. En 2020, sur les 91 millions d’habitants de la RDC, 11 millions de personnes victimes directes ou indirectes des violences basées sur le genre ont eu besoin d’une aide humanitaire, soit une hausse de 43 % par rapport à 201, selon les Nations unies. A peine 8 % de ces besoins ont été couverts par des financements, s’alarme MSF, qui craint une baisse drastique suite à la pandémie de Covid-19.

Mwamini Kanega, elle, n’attend plus grand-chose des autorités, même si le président Félix Tshisekedi a lancé en juin la campagne « Tolérance zéro » contre les violences sexuelles. Pour vivre dignement et résister à l’exclusion sociale, elle mise sur les mutuelles de solidarité féminines, les « muso », qui pullulent à Bukavu.

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« Chaque vendredi, on cotise quelques francs congolais. Avec cet argent, on fait des prêts aux adhérentes pour soutenir leur activité », explique fièrement « Maman Véro », la doyenne et présidente de la muso Mungu anakupenda (« Dieu t’aime »). Une soixantaine de femmes participent à la structure. Les réunions, qui se déroulent dans une petite salle mal éclairée, ne doivent pas excéder une heure. Une entraide qui passe aussi par la culture de champs partagés, où les femmes font pousser ensemble des patates douces et des aubergines et se répartissent ensuite les bénéfices de la vente.

« Maman Véro », doyenne et présidente de la mutuelle de solidarité féminine Mungu anakupenda, à Panzi, le 25 juin 2021. LEY UWERA POUR « LE MONDE »

Aujourd’hui, près de 4 500 femmes survivantes de violences sexuelles ont intégré une mutuelle de solidarité dans les environs de Bukavu, estime « Maman Véro ». Leur combat porte désormais sur la reconnaissance de leurs enfants nés du viol. Dépourvus d’état civil et de documents d’identité, ils sont stigmatisés et livrés à eux-mêmes, avec le risque de perpétuer à leur tour la violence qu’ils ont subie. 

Reconnaître les enfants nés du viol

« Ces enfants sont une bombe à retardement, car beaucoup finissent dans la rue », s’inquiète Desanges Kabuo, assistante sociale. « Il y a urgence à créer un centre de formation pour leur donner une chance de s’en sortir », plaide cette membre active du Mouvement national des survivant.e.s de violences sexuelles en RDC.

Ce combat pour la reconnaissance des enfants nés du viol, Mwamini Kanega l’a aussi endossé. Au sein de sa commune de Bagira, elle a identifié 309 enfants et recherche inlassablement des fonds pour les scolariser… sans susciter l’intérêt des autorités et des bailleurs de fonds. « Les gens traitent ma fille de 17 ans de sorcière, d’enfant serpent. J’ai dû l’envoyer loin d’ici et elle le vit mal. Quant à mon fils, les voisins l’insultent aussi. Il a un retard de développement que j’attribue à toute cette violence. » Une stigmatisation qui a mis à mal son lien avec ses enfants. « Mon fils et ma fille sont le principal problème de ma vie. J’aurais préféré avorter si j’avais pu », confie-t-elle.

Si elle est fière son parcours, la jeune femme sait sa condition précaire. Depuis plus de dix ans, elle vit avec un homme violent. Après chaque agression, elle part puis finit par revenir, sous la pression de sa famille. Malgré les crises, elle s’apprête à lui dire « oui » à l’église. « Je n’ai pas d’autre choix que de le supporter. Je le fais pour mes enfants, pour qu’ils soient respectés, pour qu’on arrête de les insulter. Ici, une femme sans mari ne vaut rien. Et puis j’ai six filles, il pourra les protéger », espère-t-elle.

Sommaire de notre série « Survivre au viol en RDC »

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