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« Il faut soutenir les très jeunes entreprises africaines qui ont commencé à faire leurs preuves »

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Sommet sur le financement des économies africaines à Paris, le 18 mai 2021. POOL / REUTERS

Tribune. Lors du sommet sur le financement des économies africaines qui s’est tenu à Paris le 18 mai, pour la première fois, les chefs d’Etat et les dirigeants d’organisations internationales ont placé tout en haut de leurs priorités le soutien à l’entrepreneuriat africain comme moteur d’une croissance plus forte et plus inclusive.

Acteurs de terrain en Afrique, respectivement comme fondateur d’entreprise et comme investisseur, nous nous réjouissons de cette reconnaissance au plus haut niveau. Pour que ces déclarations débouchent sur un soutien concret aux jeunes entreprises africaines, nous proposons que l’alliance pour l’entrepreneuriat en Afrique, annoncée à l’issue du sommet, soit complétée par la mise en place d’un fonds de financement d’amorçage.

En effet, tout projet entrepreneurial est amorcé par une forme de financement que l’entrepreneur réunit rapidement pour donner vie à son entreprise. C’est généralement son propre argent, celui de ses proches ou, dans les économies matures, celui qui provient d’acteurs dédiés à ces toutes premières phases de vie de l’entreprise (business angels, bourses des incubateurs, etc.).

Du fait même du stade de maturité des économies africaines, ces ressources d’amorçage manquent, ce qui explique la stagnation de nombreux projets viables qui auraient pu donner le jour à des entreprises prospères et créatrices d’emplois pérennes. C’est pourquoi nous appelons à la création d’un fonds soutenant des très jeunes entreprises qui ont commencé à faire leurs preuves et à démontrer leur potentiel, même si elles sont encore très risquées.

Utilité publique

Il est difficile d’exagérer les multiples bienfaits de la révolution entrepreneuriale africaine. Depuis vingt ans est apparue toute une génération de start-up, TPE et PME qui ont fait la preuve de leur utilité publique. Un grand nombre de ces entreprises, parce qu’elles répondent à des besoins essentiels de leurs clients (se nourrir, se loger, se soigner, se former…), contribuent à la résolution de problématiques sociales ou sociétales.

Qu’il s’agisse d’unités agroalimentaires structurant des chaînes d’approvisionnement auprès de paysans et faisant tourner de petites usines pour apporter des produits locaux transformés aux clients urbains (yaourts, pain, riz, jus de fruits…), de cliniques privées, d’entreprises offrant un accès à l’électricité dans les zones rurales, d’acteurs du BTP ou d’écoles privées, ces entreprises, tout en poursuivant leurs objectifs commerciaux, créent des emplois, des débouchés pour leurs fournisseurs et une offre de produits locaux fiables.

En outre, les entrepreneurs jouent un rôle essentiel dans la grande transformation africaine en cours, ce long cycle de progrès économiques, parfois chaotiques, et de transition démographique, souvent atypique, qui suscite l’émergence d’une classe moyenne populaire. La révolution entrepreneuriale africaine est un phénomène de long terme, sur lequel les chefs d’Etat ont raison de miser.

Certes, les acteurs publics africains comme internationaux n’ont pas attendu ce sommet pour mettre en œuvre des mesures d’appui à l’entrepreneuriat africain, sur des plans essentiels : politique de formation professionnelle, investissement dans les infrastructures, facilitation et digitalisation des démarches administratives…

Une occasion unique

Mais beaucoup reste à faire, y compris la lutte contre l’arbitraire fiscal et contre les retards de paiements… des administrations elles-mêmes. Depuis une dizaine d’années, la puissance publique apporte aussi son soutien à des initiatives privées de financement des PME africaines.

L’alliance pour l’entrepreneuriat en Afrique représente une occasion unique d’aller plus loin, particulièrement sur le plan du financement des entreprises, frein constamment cité par les entrepreneurs. En particulier, le fonds de financement d’amorçage que nous appelons de nos vœux s’inspirerait de l’expérience réussie de quelques acteurs de terrain et se fixerait comme objectif de financer, en cinq ans, 500 entreprises réparties dans au moins 20 pays africains (incluant des pays fragiles souvent délaissés, notamment au Sahel), pour des montants par entreprise compris entre 20 000 et 100 000 euros.

Ce fonds s’adresserait aussi bien à des start-up technologiques qu’à des entreprises plus « traditionnelles » en phase amont (transformation agroalimentaire, services aux particuliers et aux entreprises, transport, formation, cabinets médicaux, secteur manufacturier léger, pharmacie, etc.).

Il toucherait aussi de nombreuses femmes entrepreneures talentueuses, tant il est vrai que, malheureusement, on les rencontre peu dans le cercle restreint des grandes entreprises. Les financements pourraient prendre la forme de prêts d’honneur.

Les dirigeants d’entreprises seraient sélectionnés et accompagnés par des équipes spécialisées et indépendantes des administrations publiques, mal outillées pour dialoguer avec de très petites structures. A un horizon de trois ans, on peut s’attendre à ce que la moitié des entreprises accompagnées aient atteint une première maturité, pouvant alors s’inscrire dans une trajectoire de développement de long terme, et utiliser d’autres outils de financement et d’accompagnement comme les fonds PME déjà évoqués.

Les bouleversements économiques liés à la pandémie nous invitent à réinventer nos stratégies d’appui au développement. Sur le papier, les leaders politiques et économiques ont pris la mesure de l’urgence à soutenir les entrepreneurs. Des solutions sont connues, ne reste plus qu’à leur donner vie, à grande échelle.

Bagoré Bathily est fondateur et PDG de la Laiterie du berger (PME sénégalaise du secteur des produits laitiers frais) et président d’Enablis Sénégal (réseau d’entrepreneurs).

Jérémy Hajdenberg est DGA d’Investisseurs et partenaires (société spécialisée dans le financement et l’accompagnement des entrepreneurs africains) et auteur, avec Jean-Michel Severino, d’Entreprenante Afrique (éd. Odile Jacob, 2016).

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