Publié le : 17/07/2021 – 02:30
À la toute dernière minute, le Festival de Cannes a ajouté vendredi à son programme la première mondiale du documentaire « Révolution de notre temps » de Kiwi Chow, chronique des manifestations prodémocratie à Hong Kong en 2019. Un sujet sensible qui pourrait provoquer la colère de la Chine à l’égard des organisateurs cannois.
Après dix jours de soleil plombant, la pluie est tombée sur le Festival de Cannes, vendredi 16 juillet. Nul doute qu’il s’agissait d’un hommage aux manifestants rebelles qui ont fait d’un objet improbable un symbole mondial de la liberté : le parapluie.
Emblème des manifestations prodémocratie à Hong Kong depuis 2014, le parapluie a d’abord servi de moyen d’expression puis de bouclier face aux caméras de la police, aux sprays au poivre, aux gaz lacrymogènes et aux balles en caoutchouc. Mais même le parapluie le plus solide ne peut protéger les personnages du documentaire choc de Kiwi Chow, « Révolution de notre temps » (« Revolution of Our Times »). Le film narre les protestations massives qui ont paralysé Hong Kong en 2019 et leur répression brutale par la police.
Des manifestants se servent d’un parapluie comme d’un bouclier lors des émeutes à Hong Kong, en septembre 2019. © Mehdi Chebil
Le discret rajout de dernière minute du film de Kiwi Chow – annoncé comme un « documentaire surprise » dans un e-mail à la presse jeudi – avait suscité une grande curiosité ainsi qu’une certaine spéculation sur un potentiel affront du Festival de Cannes aux autorités chinoises, qui ne goûtent guère aux critiques. Il s’avère que la crainte d’une dispute avec Pékin est totalement justifiée : « Révolution de notre temps » est un puissant hommage au courage et à la résilience des Hongkongais qui se battent pour leur liberté, et une critique sans compromis des menaces chinoises contre le statut semi-autonome de la ville.
« Longue tradition cannoise »
« Cette projection surprise n’est pas un jeu », a affirmé au public le directeur du festival, Thierry Frémaux, avant la première du film, espérant peut-être calmer les esprits en cas de bisbille diplomatique. Il a expliqué que le documentaire était arrivé jusqu’aux organisateurs à la dernière minute : « Nous l’avons vu, nous l’avons adoré et, comme le veut la longue tradition cannoise de montrer des films sur ce qu’il se passe dans le monde, nous avons décidé qu’il était important de le projeter. »
Le film raconte la crise qui a secoué l’ancienne colonie britannique entre juin et novembre 2019, en commençant par les tentatives des autorités d’instaurer une loi d’extradition vers la Chine qui effaçait de facto le principe du « un pays, deux systèmes » sur lequel s’étaient accordés Londres et Pékin. Puis il montre le mouvement de protestation passer de la désobéissance civile à la révolte, avec comme point culminant le sanglant siège de 12 jours de l’Université polytechnique de la ville, qui s’est soldé par la défaite des manifestants.
Kiwi Chow a amassé une mine d’images – beaucoup sont choquantes – des manifestations et des heurts entre protestataires et policiers. Son documentaire donne aussi la parole à des citoyens ordinaires au sein du mouvement, la voix altérée et le visage masqué ou flouté au montage. Le film se dit « réalisé par des Hongkongais » et indique que la plupart des participants ont utilisé des pseudonymes. Plusieurs personnes filmées sont désormais en exil ou en prison, indique une note finale.
Des manifestants portent des masques à gaz, des casques et d’autres équipements de protection lors d’une manifestation à Hong Kong en septembre 2019. © Mehdi Chebil
« Ces cinquante dernières années, les Hongkongais se sont battus pour la liberté et la démocratie mais n’ont pas encore réussi », peut-on lire sur le synopsis du film publié sur le site du festival. « En 2019, la loi d’extradition vers la Chine a ouvert la boîte de Pandore et a fait de Hong Kong un champ de bataille contre l’autoritarisme de la Chine. »
« Fluide comme l’eau »
Le fait que les Hongkongais soutiennent largement les protestataires semble tomber sous le sens à la vue des images d’une manifestation monstre de deux millions de personnes, près d’un tiers de la population de la ville. Mais le film se concentre plutôt sur les « courageux », les manifestants – jeunes pour la plupart – vêtus de noir qui estiment que l’attaque est leur meilleure défense. Être « fluide comme l’eau » est leur mantra, changer constamment de forme et de rythme. C’est peut-être dans le portrait de ces tactiques fluctuantes, certaines inspirées de jeux vidéos, que le documentaire est le plus prenant.
Expérience qui prend aux tripes, « Révolution de notre temps » s’intéresse à ce qui fait une manifestation : l’énergie de l’action révolutionnaire, les liens de camaraderie, la douleur causée par les gaz au poivre et les balles en caoutchouc, le supplice des parents qui n’arrivent pas à joindre leurs enfants, et l’angoisse des jeunes filles dont le sang menstruel devient noir à cause de l’inhalation excessive de gaz lacrymogène. Le film montre aussi la stupéfaction des Hongkongais face à l’escalade rapide de la violence dans une ville peu habituée à ce niveau de brutalité. Le public de l’Hexagone pourrait avancer que la répression policière fut, en tout cas au début, moins brutale que celle qui a visé au même moment les Gilets jaunes en France.
« Est-ce-que vous réalisez que vos forces de l’ordre sont hors de contrôle ? », demande un activiste des droits de l’Homme à des responsables qui restent de marbre lors d’un briefing de la police, alors que des images glaçantes d’un policier tirant à bout portant sur la poitrine d’un jeune de 18 ans font le tour du monde. Si ce sont les jeunes qui conduisent ces manifestations, les anciens regardent avec effarement à quel point la cité-État qu’ils aimaient tant a été défigurée. « Dans un endroit civilisé comme celui-ci, comment le gouvernement peut-il être si barbare ? », demande un ancien militant dégoûté par les violences policières qui vont crescendo.
La police antiémeute tire des gaz lacrymogènes en direction des manifestants à Hong Kong, en septembre 2019. © Mehdi Chebil
Kiwi Chow ne tente guère de donner la version de la police. Son film ne laisse que peu de doute sur le camp qu’il invite à choisir. Il s’agit à la fois d’un hommage au courage et à la résilience extraordinaires de la jeunesse face à l’oppression et d’un appel à l’aide. Comme le dit un activiste, « Hong Kong est la frontière entre le monde libre et les systèmes totalitaires ».
« Les Hongkongais restent forts ! »
Le réalisateur a exprimé sa reconnaissance envers le Festival de Cannes pour avoir projeté son documentaire. « C’est un honneur que la première mondiale de ‘Révolution de notre temps’, un film qui documente la lutte des Hongkongais, ait lieu à Cannes et reçoive une grande attention. Hong Kong a perdu bien plus que prévu, et cette bonne nouvelle apportera du réconfort à de nombreux Hongkongais qui vivent dans la peur. Cela montre aussi que ceux qui se battent pour la justice et la liberté à travers la planète SONT avec nous ! Et les Hongkongais restent forts ! »
Le film de Kiwi Chow ne risque guère de faire l’objet d’une projection officielle à Hong Kong. En vertu d’une loi sur la sécurité nationale controversée imposée par Pékin en 2020, le réalisateur et son équipe pourraient être arrêtés.
Quant aux organisateurs du Festival de Cannes, ils attendent désormais probablement avec nervosité la réaction du gouvernement chinois, qui n’a récemment pas hésité à se retourner contre ceux qui soutiennent ouvertement le camp prodémocratie à Hong Kong. La décision par Pékin, plus tôt cette année, de censurer la diffusion des Oscars 2021, a été interprétée comme une punition pour la nomination du film « Do Not Split », sur les manifestations à Hong Kong, dans la catégorie du meilleur court-métrage documentaire.
* Cet article a été adapté en français par Yona Helaoua. Pour lire la version originale, cliquez ici.
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