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En Algérie, bikeurs et bikeuses se font une place sur la route

Une moto dans une rue de Ksar Tafilelt en Algérie, en novembre 2017. RYAD KRAMDI / AFP

LETTRE D’ALGER

Lunettes de soleil, gilet en cuir et moto jamais loin, tous les codes y sont. Nous ne sommes pas sur la route 66 aux Etats-Unis mais dans la banlieue ouest d’Alger, au « Repaire des motards ». Un lieu où les bikeurs algériens aiment se donner rendez-vous pour acheter du matériel ou faire réparer leur bécane. Aux murs du Two Wheels, le café adjacent, des affiches mettent à l’honneur des motos légendaires. Dans le parking, Harley-Davidson et Suzuki sportives vrombissent au fur et à mesure que les motards arrivent.

« En Algérie, il y a toutes sortes d’endroits que l’on ne soupçonne pas », explique, amusé, Ahmed Menacer, président du club « Passion to Ride ». C’est en novembre 2020, lors d’une boucle de 3 400 kilomètres traversant les villes de Béchar, Taghit, Timimoun, dans le Grand Sud algérien, que s’est soudé ce groupe de passionnés.

« Nous avons passé une dizaine de jours ensemble. Nous étions descendus dans le Sud dans le cadre d’une action humanitaire. A notre retour à Alger, chacun est retourné à son travail, ses études… Mais on ne voulait pas se perdre de vue, alors on a créé le groupe », raconte Ahmed Menacer. Peu importe le type de moto ou le milieu social du bikeur, « ce sont ses valeurs qui nous intéressent », poursuit, d’une voix grave, ce fonctionnaire de 57 ans au crâne rasé.

A ses côtés, Anis, 30 ans, acquiesce. « L’approche de notre club est qualitative. Les membres sont intégrés par un vote », précise le jeune homme pour qui la moto « est une affaire de famille ». Une famille, c’est d’ailleurs ce qu’est devenu ce club composé de dix-huit membres. Moins d’un an après sa création, Passion to Ride a déjà organisé une dizaine de sorties sur les routes du pays.

Les femmes à deux-roues gagnent en visibilité

Lors du road trip vers le Sud, Hayet (le prénom a été modifié à la demande de la personne) était la seule fille du groupe. Désormais, elles sont trois à faire partie de l’aventure.

Pour Hayet, 36 ans, l’année 2020, marquée par l’épidémie de Covid-19 et les confinements, a été un déclencheur. « J’ai passé le permis après avoir été chez un formateur passionné qui s’en fout que l’on soit une fille, un garçon, gros ou mince, explique la jeune femme menue et à la longue chevelure. Parfois, les automobilistes sont étonnés, taquins. Les remarques ne sont pas méchantes, mais je fais en sorte de mettre mes cheveux dans le casque pour qu’on ne voit pas forcément que je suis une femme. »

Elles sont encore peu nombreuses, mais les femmes à deux-roues gagnent en visibilité sur les routes algériennes et sur les réseaux sociaux à travers des groupes de discussion. Si certaines intègrent des clubs, d’autres, comme Ikram Bencherif, préfèrent rouler seules. « Je ne suis pas une adepte des groupes de motards, mais cela permet à certaines de se sentir en confiance, entourées et soutenues. C’est important », note la jeune femme de 25 ans. A ses débuts, il y a trois ans, il lui a fallu passer outre une certaine appréhension : « Je pensais que les Algériens seraient peut-être frustrés, complexés ou allaient mal le prendre, mais finalement, j’ai un retour très positif. Je trouve que les gens sont assez bienveillants avec moi. »

Le plus dur a été de rassurer sa mère, qui s’est longtemps opposée à sa passion pour des questions de sécurité. « Les routes ne sont pas adaptées à toutes les motos et la conduite des voitures est dangereuse, concède Ikram Bencherif. Et c’est encore compliqué de trouver des équipements pour femmes, notamment des jeans homologués qui ont des renforcements au niveau des genoux et des hanches. »

Cherté des équipements homologués

En janvier 2020, la mort d’une jeune motarde avait ému la communauté des bikeurs et relancé le débat sur l’état dégradé des routes, dont beaucoup sont parsemées de nids-de-poule et jalonnées de ralentisseurs mal indiqués.

Pour avoir plus de poids dans le débat public, six groupes se sont rassemblés au sein de la Coordination des motards algériens, explique Ahmed Menacer. Avec son club, Passion to Ride, le quinquagénaire mène régulièrement des actions de sensibilisation. « On parle de l’habillement et des tenues rembourrées, surtout à destination des jeunes qui roulent sans casque, sans gants, conduisent en short ou en tongs », précise-t-il.

Dans le pays, la cherté des équipements homologués les rend peu accessibles aux utilisateurs de deux-roues. Pourtant, ce mode de transport est devenu une solution, précisément pour ceux qui ne peuvent pas se permettre d’acheter une voiture sur un marché où les prix des véhicules, même d’occasion, ont explosé.

Les deux-roues, qui représentent « 2 % du parc automobile national, génèrent 20 % des accidents », souligne le président de Passion to Ride. Face aux comportements dangereux de certains jeunes conducteurs, qui filment leurs acrobaties et les diffusent parfois sur Internet, des mesures pénalisant l’ensemble des deux-roues ont été prises. Depuis quelques mois, l’accès à la rocade qui mène d’Alger à Tipaza, ville côtière à l’ouest de la capitale, très prisée par les motards, leur est tout bonnement interdit le vendredi et le samedi.

Pour dénoncer les comportements dangereux, un justicier casqué est apparu sur les routes algéroises. Muni d’une caméra frontale, « El Motard el Makhfi » (« Le Motard invisible »), suivi par plus 55 000 personnes sur Facebook, partage régulièrement ses virées à moto, ponctuées de rencontres avec de jeunes conducteurs qu’il tente de sensibiliser au port d’équipements de sécurité et à la bonne conduite.

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