Le traitement proposé par le réalisateur Paul Verhoeven d’une histoire de sexe entre lesbiennes dans un couvent a ravivé les discussions sur le regard masculin à Cannes, alors que certaines femmes saluent les (quelques) progrès réalisés dans la lutte contre les préjugés sexistes à l’écran et au-delà.
Le monde du cinéma est-il devenu puritain ? Selon Paul Verhoeven, le provocateur vétéran qui a signé “Basic Instinct” et “Showgirls”, la réponse est oui. Cinq ans après son thriller « Elle » sur la revanche d’une femme violée, le réalisateur néerlandais est de retour à Cannes avec « Benedetta », une romance impertinente en habit de nonne qui se déroule au moment de la Contre-Réforme en Italie, au XVIIe siècle.
Il a semblé parfois agacé lorsqu’il a dû faire face, samedi 10 juillet en conférence de presse, à des questions sur le blasphème, la nudité et les scènes de sexe torrides de son film.
“N’oubliez pas, en général, les gens, quand ils ont des relations sexuelles, ils se déshabillent”, a-t-il déclaré. « Donc, je suis fondamentalement abasourdi par le fait que nous ne voulons pas regarder la réalité de la vie. Pourquoi ce puritanisme a-t-il été introduit ? À mon avis ça n’a pas lieu d’être ».
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« Benedetta » est basé sur l’histoire réelle d’une abbesse mystique, connue pour avoir miraculeusement protégé de la peste sa ville natale de Pescia, en Toscane, avant d’être déchue de son rang à cause d’une relation avec une autre sœur. Virginie Efira incarne cette abbesse, en se mettant à nu pour retracer le voyage spirituel et l’extase sexuelle (qui vont de pair selon Paul Verhoeven).
« Benedetta » signe le retour de la « nonnesploitation » (mot valise composé de nonne et exploitation), un sous-genre cinématographique inspiré de la domination religieuse, cette fois en période de Covid-19 (même si Verhoeven a réalisé ce film avant l’émergence de la « peste » contemporaine ). Ce film est outrageux, érotique et souvent drôle, à l’image de ces objets liturgiques transformés en accessoires. Mais l’érotisme élaboré des scènes de sexe sied mal à des protagonistes censées être novices en la matière. De fait, le film a relancé le débat à Cannes quant au regard masculin sur une romance lesbienne.
L’éclatante Renate Reinsve
Le plus important festival de cinéma au monde, qui a proposé « Basic Instinct » de Paul Verhoeven voilà près de 30 ans, n’échappe pas à ce sujet de société. En 2013, Abdelatif Kechiche, vainqueur de la Palme d’Or avec « La vie d’Adèle », avait été accusé de voyeurisme pour son drame lesbien. Il avait essuyé encore plus de critiques six ans plus tard en présentant le long-métrage « Mektoub My Love : Intermezzo », second volet d’une fresque en trois volumes. Ce film reprenait les éléments plus controversés du sublime « Canto Uno », notamment ses interminables plans de fessiers en boîte de nuit, pour les prolonger ad nauseam pendant trois heures de transe hédoniste sans véritable récit. Deux ans après, il n’est toujours pas sorti en salle.
Au milieu de ses retentissantes et lancinantes séquences sur la piste de danse, le « Mektoub » de Kechiche proposait un interminable cunnilingus durant lequel seule une femme exhibait son intimité. Cette année, une autre scène de sexe, dans le film “Julie (en douze chapitres)” de Joachim Trier qui raconte la quête d’identité d’une jeune femme tiraillée entre plusieurs histoires d’amour, a provoqué le buzz à Cannes. Ce qui a valu au réalisateur norvégien d’être classé comme « profondément féministe ».
Joachim Trier a déjà été salué par le passé pour avoir su se départir du regard masculin durant les scènes de sexe lesbien. Sa dernière œuvre a séduit les critiques français et étrangers qui ont souligné sa capacité à dépeindre les nouvelles dynamiques de genre, faisant de lui un favori pour la Palme d’Or. Un film qui a également mis en lumière une actrice peu connue jusqu’à présent, Renate Reinsve, désormais parmi les favorites pour le prix de la meilleure actrice. .
« En ayant grandi avant #MeToo, vous vous fabriquez en fonction des opinions et de la présence des hommes », a expliqué l’actrice norvégienne à l’AFP. En ajoutant au sujet de son personnage : « Elle trouve son identité dans les yeux des autres. Quand vous parvenez à vous libérer de cela, vous devenez vous même et plus forte ».
Almodovar, le « premier réalisateur féministe »
Bien que très différents, les films de Trier, Verhoeven et Kechiche se trouvent au cœur de ce que la réalisatrice et scénariste Nathalie Marchak décrit comme un débat important et stimulant.
“Il y a un million de manières de filmer une scène. La question est de savoir où je place ma caméra et ce qu’elle raconte », explique-t-telle à France 24 lors d’une interview réalisée à Cannes. « C’est un débat fascinant que nous ne devrions pas éviter. C’est aussi le rôle du cinéma de s’interroger sur la manière dont nous nous regardons ».
Selon Marchak, il ne s’agit pas simplement d’opposer les réalisateurs et les réalisatrices. Et elle estime « parfaitement possible qu’un réalisateur adopte un regard féminin ». Il s’agit surtout de se demander de quelle manière sont décrits les personnages masculins et féminins. .
S’exprimant cette semaine au sujet de Pedro Almodovar, qui a donné un rôle central aux femmes dans nombre de ses films, l’actrice et réalisatrice américaine Jodie Foster a décrit l’Espagnol comme « le premier réalisateur féministe à (ses) yeux ».
“C’était la première fois que je voyais des films qui parlaient des femmes de manière authentique, a déclaré Jodie Foster à propos de l’œuvre d’Almodovar, un jour après avoir reçu une Palme d’or d’honneur des mains du légendaire cinéaste. Elle a qualifié ce dernier d’exception parmi les réalisateurs « qui ne peuvent pas facilement se mettre dans la peau d’une femme et se demander en quoi consiste l’expérience complexe et difficile d’être une femme ».
Jodie Foster n’avait que 13 ans lorsqu’elle est venue pour la première fois à Cannes en 1976 pour « Taxi Driver » de Martin Scorsese, qui a remporté une Palme d’Or controversée cette année-là. Elle est devenue une grande star en interprétant notamment le rôle d’une agente du FBI dans « Le silence des agneaux », récompensé en 1992 par un Oscar de la meilleure actrice. Elle a également réalisé plusieurs films, parmi lesquels « Money Monster » avec George Clooney et Julia Roberts.
Lors d’une master class, mercredi 7 juillet, Jodie Foster a déclaré, dans un français impeccable, qu’il n’y avait jamais eu de meilleur moment pour les femmes désireuses d’entrer dans l’industrie cinématographique. Même si la domination masculine n’a « pas complètement changé », a-t-elle déclaré, « il est maintenant évident que cela fait trop longtemps que nous n’avons pas entendu d’histoires racontées par les femmes ».
« Je sais que c’est un peu cliché de dire ‘racontez vos propres histoires » », a déclaré l’actrice. « Voilà ce que je veux dire : posez-vous des questions sur la véracité des choses et si elles résonnent en vous, au lieu de vouloir plaire aux autres, qu’il s’agisse du public ou des producteurs ».
Donner plus de visibilité aux femmes
La pénurie de femmes occupant des postes à responsabilité dans l’industrie, et de réalisatrices en particulier, est un sujet récurrent à Cannes, où une seule femme a remporté la Palme d’or, Jane Campion en 1993 avec « La leçon de piano ».
S’adressant à France 24 en amont du festival, son directeur délégué Thierry Frémaux a souligné le nombre relativement élevé de réalisatrices dans la catégorie Un Certain Regard, dédiée aux talents émergents. Pour lui, cela prouve que « l’avenir du cinéma sera féminin ».
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Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Il n’y a que quatre femmes (Mia Hansen-Love, Catherine Corsini, Julia Ducournau et Ildiko Enyedi) en lice pour la catégorie principale, qui accueille pourtant un nombre record de 24 films cette année. L’absence de progrès est d’autant plus flagrante au regard des principales sélections parallèles, la Semaine de la Critique et la Quinzaine des Réalisateurs, qui ont atteint cette année la quasi-parité.
Les défenseurs de Cannes soulignent que l’énorme déséquilibre homme-femme observé dans la compétition principale reflète celui des films présentés au Festival en vu d’être sélectionnés. Les détracteurs rappellent que le processus de sélection est naturellement biaisé en faveur de réalisateurs bien établis dans une industrie encore dominée par les hommes. Et pour ces derniers, le directeur délégué de Cannes, chargé de sélectionner les candidats au prix le plus prestigieux du cinéma, a un pouvoir certain dans le milieu ainsi qu’une responsabilité de favoriser le changement.
Alors que Thierry Frémaux s’est prononcé en faveur d’initiatives visant à l’égalité des genres, il a fermement refusé de pousser les réalisatrices dans la compétition principale du festival par le biais d’une « action positive » – un concept traduit en France par le terme « discrimination positive » mais perçu négativement. Le réalisateur cannois a souligné à plusieurs reprises qu’il choisit des films en fonction du mérite et non du genre.
Nathalie Marchak partage ce point de vue. Bien qu’elle milite pour une plus grande égalité des sexes, elle pense que parler de « discrimination positive » est « insultant » pour les femmes.
“Les réalisatrices veulent être sélectionnées dans les grands festivals non pas parce qu’elles sont des femmes mais parce que leurs films méritent d’être mis en lumière”, a-t-elle expliqué. Il ne s’agit pas de favoriser les réalisatrices par rapport à leurs homologues masculins, a-t-elle ajouté, mais de garantir la présence des femmes dans le processus de sélection, en s’assurant que l’on agit contre leur manque de visibilité dans l’ensemble de l’industrie.
“Quand il s’agit de sélectionner des films pour les compétitions, je ne pense pas que les femmes soient plus indulgentes avec les réalisatrices que les hommes”, a déclaré Marchak. “Mais les réalisatrices peuvent ne pas bénéficier de la même visibilité dès le départ, il est donc important d’aller les chercher.”
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Cet article a été traduit de l’anglais, cliquez ici pour le lire en version originale
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