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Le règne des trois points, un problème?

Le mouvement est visible, les chiffres éloquents: la NBA, meilleure ligue de basket au monde, s’est tournée ces dernières années vers une multiplication des tirs à trois points. Une logique mathématique qui pose des questions. Peut-il y avoir overdose? Et comment y remédier? Alors que la finale entre les Phoenix Suns et les Milwaukee Bucks est en cours, RMC Sport vous plonge dans l’univers du tir primé devenu roi.

Publié le 08/07/2021 à 19:34

La sentence, signée Gregg Popovich, tombe comme un faire-part de décès du passé. « Il n’y a plus de basket, plus de beauté dans ce jeu, déplorait le général en chef des San Antonio Spurs en novembre 2018. Désormais, les trois points sont la première chose que vous regardez sur la feuille de stats. Si vous avez réussi vos tirs et pas l’autre équipe, vous avez gagné. Vous ne regardez plus les rebonds ou les balles perdues. Vous vous en foutez. » Le coach texan, cinq fois champion NBA, n’est pas juste un ayatollah anti-tir de loin. Son constat présente une réalité. Celle de la NBA moderne. Oubliez les pivots des années 90 et un jeu axé sur leur domination au poste bas. Oubliez l’art du tir à mi-distance.

Après vingt ans d’évolution des règles en faveur de l’attaque, notamment la disparition du hand-checking (défendre avec les mains) en 2004, et sous l’impulsion de la réussite du shooteur fou Stephen Curry – personne n’avait jamais marqué plus de 300 trois points sur une saison avant l’exercice 2015-2016, où il en a mis… 402! – et de défenses plus étirées avec des intérieurs capables de dégainer de loin, le jeu au périmètre règne sur la NBA. Malgré 72 matchs seulement, les trente franchises ont réussi 27.427 tirs à trois points lors de la dernière saison régulière. Plus encore, en proportion, que les 27.955 de la dernière saison normale pré-pandémie à 82 rencontres, 2018-2019, mais surtout près de 4000 de plus que sur… l’ensemble des années 1980 (23.871)!

Un tir toutes les 30 secondes

Sur les 61 matchs dans l’histoire avec au moins 90 tirs à trois points tentés playoffs compris, chiffre arrêté début mars, 45 ont été réalisés depuis le début de la saison 2019-20, à l’image d’un Milwaukee-Minnesota de fin février à 96 tirs derrière l’arc, soit un toutes les 30 secondes en moyenne. Un match symbole d’un mouvement global avec de chaque côté des joueurs pourtant pas les plus adroits de loin, Anthony Edwards et Giannis Antetokounmpo, qui n’hésitent pas à prendre des tirs à huit mètres alors qu’il reste beaucoup de temps sur l’horloge des 24 secondes. Dans la NBA actuelle, où le small ball (jouer avec un cinq « petit ») a gagné du terrain et qui ressemble parfois à l’application des principes des Phoenix Suns de coach Mike D’Antoni du milieu des années 2000 qui cherchaient à tirer en sept secondes ou moins, tout le monde ou presque shoote de loin. Et tout le temps. Question de logique.

« On est maintenant dans un monde de stats, rappelle Fred Weis, ancien international français consultant pour RMC Sport. Avec des mecs à près de 40% de réussite à trois points, c’est plus rentable que de donner le ballon à l’intérieur, où le joueur sera peut-être à 50% sauf que ce sera à deux points. La courbe n’est donc pas près de s’arrêter. » Sans contexte, on pourrait croire que le pourcentage de réussite sur tirs primés en NBA n’a pas fait un grand bond. Avec 36,7% cette saison, il est le même que ceux des exercices 2008-2009 ou 1995-1996. Mais la ligne était avancée lors de cette dernière (on y reviendra) et le volume de tirs n’a plus rien à voir: 2494 tentatives par équipe en moyenne cette saison – à 72 matches et non 82, on insiste – contre 1486 en 2008-2009 et 1316 avec la ligne avancée de 1995-1996. Il n’y a pas foncièrement de meilleurs shooteurs, mais il y en a bien plus, la preuve avec notre Milwaukee-Minnesota où 19 des 22 joueurs utilisés ont pris au moins un tir primé.

Giannis Antetokounmpo, un intérieur qui n’hésite pas à dégainer de loin © AFP

« Même les non-experts se sont adaptés, pointe Fred Weis, pivot à l’ancienne dont le style aurait dû évoluer face à un tel basket. Un LeBron James prend plus de tirs à trois points, et même de très loin, alors qu’il était plus dans la percussion pour aller chercher ses points. S’ils veulent être adaptés au basket moderne, même les pivots doivent tirer à trois points. Celui qui ne shoote pas est cantonné à un rôle défensif, comme Rudy Gobert. Dans les années 1990, il aurait tourné à 20 points de moyenne facile, parce qu’on lui aurait plus donné le ballon. Mais maintenant, c’est soit de l’isolation, soit du tir à trois points, et parfois les deux combinés. La variété a disparu. La jeu intérieur-extérieur n’existe plus. Ou alors c’est intérieur-extérieur-shoot à trois points. C’est assez triste. »

Après à peine six saisons en NBA, le Serbe Nikola Jokic – élu MVP cette saison – est déjà le septième pivot les plus prolifiques de l’histoire au tir primé avec 439 paniers. Quatre des six qui le précèdent jouent actuellement: Brook Lopez, Karl-Anthony Towns, Nikola Vucevic et Kelly Olynyk. L’avenir proche produira la même musique avec des jeunes « grands » formés pour ça comme l’Américain Chet Holmgren ou le phénomène tricolore Victor Wembanyama, qui à près de 2,20 mètres vient de réussir un trois points du logo – l’image au milieu de terrain – lors du Mondial U19 avec l’équipe de France, et plus globalement une nouvelle génération qui s’éclate à balancer d’aussi loin que possible. « Désormais, un shoot depuis le logo est quasiment normal, complète Fred Weis. Ce qui m’inquiète, c’est qu’on invente une ligne à quatre points. La tendance est de reculer tellement, c’est quoi la prochaine étape? Tirer depuis ton propre panier? »

A part les layups, les dunks et les lancers francs, la valeur attendue d’un tir à trois points est plus forte que celle de n’importe quel autre tir. L’évolution des positions de tirs les plus fréquentes a suivi cette courbe. En 1990-1991, chaque équipe NBA prenait en moyenne moins de dix tirs à trois points par match. Le chiffre est aujourd’hui à près de 40, avec une progression exponentielle: il aura d’abord fallu 18 ans pour en gagner dix, puis dix ans pour en gagner dix de plus, et le chiffre a encore grimpé de 5,9… sur les quatre dernières années, de quoi envisager à peine sept ans pour une nouvelle augmentation de dix. Le pourcentage de trois points sur l’ensemble des tirs pris est encore plus parlant. S’il était de 3,1% (pour 2,4 points par match par équipe en moyenne) en 1979-1980, première saison où ce tir a été introduit en NBA, et toujours à moins de 10% en 1990-1991, il est aujourd’hui de 39% (pour 38,1 points par match par équipe)! Soit 61% de plus que pour l’exercice 2011-2012, preuve de l’évolution récente.

La barre des 25% avait été franchi lors de la saison 2013-2014. Celle des 30% en 2015-2016. Au rythme actuel de la progression, et il n’y a pas de raison qu’il baisse, les 50% seront atteints en 2025-2026. Simple mutation naturelle? « L’emplacement de la ligne actuelle a été dessinée pour la première fois en 1961 (introduite par l’éphémère ligue pro American Basketball League, ndlr), rappelle Kirk Goldsberry, ancien vice-président en recherche stratégique des Spurs devenu analyste NBA pour ESPN et auteur du livre SprawlBall: A Visual Tour of the New Era of the NBA. A l’époque, personne ne pouvait réussir ce tir. Les trois points n’ont longtemps pas été les choix les plus intelligents pour la plupart des joueurs. Mais cette époque est révolue. »

50% de plus mais pas 50% plus dur

Dans son livre, Goldsberry évoque un tir à trois point transformé en « farce ». « Il est devenu tellement facile pour tellement de joueurs que toutes les stratégies offensives le recherchent, explique-t-il. A partir d’une distance de six pieds (1,82m, ndlr) du panier, le pourcentage de réussite est autour de 40%, le même que pour les trois points dans le coin. La différence avec un tir à deux points sur ce que ça rapporte est tellement grande que la sélection des tirs en NBA est devenue une caricature. Les trois points ont perdu de leur éclat. Ils sont trop communs. » A l’ère de la data, le basket a fait ses calculs: un tir à trois points rapporte 50% de plus mais n’est pas 50% plus dur à réaliser (53% à deux points cette saison dans toute la ligue). En bref, pour marquer un point au basket, il suffit d’être à 33% à trois points (un tir réussi sur trois) mais à 50% à deux points (un tir réussi sur deux).

Pour compenser, le pourcentage global à deux points devrait donc être à 55%. Mais sept équipes seulement ont terminé au-dessus de ce seuil cette saison contre quinze qui ont fait mieux que la moyenne globale à trois points. On comprend vite où le choix se porte… Le cas des New Jersey Nets, éliminés en demi-finale de Conférence Est par Milwaukee, permet de bien saisir. Avec 56,5% à deux points et 39,2% à trois, Kevin Durant et ses coéquipiers devraient tirer à 60% à deux points pour obtenir cette parité. Une chimère collective: la NBA ne compte que 71 saisons individuelles au-dessus de 60% dans son histoire. « C’est impossible, estime Fred Weis, surtout que c’est plus facile, entre guillemets, de défendre à deux points car tu peux fermer un peu la raquette même s’il y a la règle des trois secondes en défense, alors qu’on tire à trois points de plus en plus loin. »

« Pour un nombre grandissant de coachs et de dirigeants NBA, le problème n’est pas que les attaques ont tort de balancer près de 40 tirs à trois points par match, précise Kevin Arnovitz, journaliste pour ESPN qui a travaillé sur la question. Le problème est qu’ils ont raison. Ce serait une faute professionnelle pour une équipe de renoncer aux tirs à trois points. » Voilà pour le constat. Mais est-ce un problème? Sans doute si, à l’image de « Pop », on aime le basket avec un grand B. « Dans tous les sports, il faut une dynamique stratégique qui ouvre plusieurs chemins équilibrés vers la victoire, explique Daryl Morey, président des opérations basket des Philadelphie 76ers. La NBA semble avoir perdu cet équilibre. »

James Harden (de dos) tire à trois points sous le maillot des Houston Rockets en mai 2019 © AFP

La déclaration fait sourire vu son auteur. Ancien manager général des Houston Rockets, Morey avait façonné la franchise texane sur son amour des datas qui a valu à son style le surnom Moreyball (clin d’œil au livre devenu film Moneyball sur le manager des Oakland Athletics – baseball – Billy Beane). Sa philosophie? Des trois points et des paniers au cercle. Avec dans leurs rangs un James Harden devenu dès ses 29 ans l’homme qui a réussi le plus de trois points sans passe décisive de l’histoire de la NBA, ses Rockets avaient franchi une frontière jusque-là inconnue mais qui sera peut-être bientôt la norme: Houston reste la seule équipe à avoir lancé plus de 50% de ses tirs sur toute une saison derrière la ligne à trois points, par trois fois (2017-2018, 2018-2019, 2019-2020). Bien au-dessus des Golden State Warriors de Curry et Klay Thompson, accusés d’être les grands responsables de ce mouvement alors qu’ils étaient dans la tranche basse des 30% durant leurs saisons ponctuées de la couronne.

Mais le serpent pourrait finir par se mordre la queue. Après deux décennies à tout faire pour améliorer le spectacle offensif, le jeu tel qu’il a tourné affiche le potentiel pour le diminuer. « Ça dilue l’esprit et l’âme du jeu, appuie Dwane Casey, coach des Detroit Pistons. Ce jeu consiste à bouger la balle d’un côté à l’autre pour créer le déséquilibre, pas juste à balancer des trois points le plus vite possible. » Avec cette homogénéisation vers le tir extérieur, la NBA pourrait perdre une partie de son attrait. « Il y a l’idée dans la ligue que le jeu perd la diversité de son identité, confirme Kevin Arnovitz. L’une des caractéristiques les plus attirantes du basket est le nombre de façons via lesquelles on peut marquer, mais un tir à trois points toutes les 30 ou 45 secondes introduit une répétition pas très attirante. Le scoring a revitalisé le basket NBA après des moments précaires, en particulier les trois points. Mais plus vous êtes témoin d’un phénomène, moins c’est un phénomène. »

Shaq et la réalité moderne

Son article évoque « une masse critique atteinte » pour le tir primé: « Certains s’inquiètent que ce mouvement ait crée un rythme monotone ». « Ça rend les matches chiants », confirme James Dator, journaliste pour SB Nation lui aussi auteur d’un article sur la question. Il serait malhonnête de charger le tir primé de tous les maux. Les trois points, qui permettent des remontées spectaculaires quand ils tombent en rafale, c’est aussi le jeu d’équipe: 82,6% des tirs réussis derrière l’arc le sont sur une passe décisive contre 50,2% pour les deux points. Cela donne aussi des joueurs plus complets. « On ne peut pas dire que c’est une mauvaise chose quand les joueurs ont plus de qualités, constate Rick Carlisle, ancien coach des Dallas Mavericks désormais sur le banc des Indiana Pacers et président de l’association des coaches NBA depuis quinze ans. Prendre un trois points après un dribble était un pêché cardinal il y a six-sept ans. Et maintenant, on fait tous des exercices pour travailler ça. Même nos grands pivots participent. La valeur de ce genre de tir est tellement grande. »

Carlisle accepte ce changement comme « une adaptation à la nouvelle réalité ». L’uniformité offensive a aussi entraîné une meilleure variété défensive: la couverture sur le pick-and-roll s’est améliorée, tout comme les défenses hybrides avec de la zone, alors que les switchs défensifs sont devenus la norme. Le gap générationnel s’illustre par le débat entre Shaquille O’Neal, pivot superstar des années 1990-2000, et Candace Parker (star de la WNBA) et Dwyane Wade (ancienne star NBA qui a gagné un titre avec lui à Miami en 2006) début mars sur le plateau de la chaîne TNT. Shaq doit se faire expliquer pourquoi les défenses utilisent plus le switch qu’à son époque. « Si vous avez quatre ou cinq tireurs de loin sur le terrain, vous ne pouvez pas faire autrement sinon vous êtes tout de suite puni », lance Wade à son ancien coéquipier. Qui semble découvrir la réalité d’une NBA moderne où quatre voire cinq snipers du tir sont souvent réunis sur le parquet.

Autre avantage: avec des joueurs capables de tirer à neuf ou dix mètres, comme Curry ou Damian Lillard, les défenses sont très étirées et ça permet de créer plus de situations pour l’autre tir hyper rentable du basket, celui près du cercle. Mais peut-on inverser le sens de l’histoire et éviter d’arriver à plus de 50% de tirs primés en NBA? Plusieurs idées existent. James Dator (SB Nation) propose de permettre le hand-checking pour empêcher les tirs après dribble, de retirer le système du « unnatural motion » qui permet d’obtenir des fautes en se jetant sur l’adversaire même si le mouvement de tir n’est pas naturel, d’enlever les trois lancers francs pour une faute derrière la ligne (ils en tireraient deux seulement) ou d’ordonner aux arbitres d’être plus sévères sur les écrans illégaux.

« La clé n’est pas de punir les joueurs pour les tirs de loin mais de leur mettre la pression pour rajouter de nouveaux outils à leur panoplie et leur donner la liberté de faire autre chose, complète le journaliste. Revenir à la notion que différentes stratégies peuvent être efficaces, pas juste un concours de tirs. » Une solution semble évidente: reculer la ligne. Interdiction de la défense de zone, augmentations de la taille de la raquette pour « contrer » la domination des pivots George Mikan ou Wilt Chamberlain, règle du goaltending (interdiction de contrer la balle en phase descendante) toujours pour embêter Mikan: la ligue US a montré ses capacités d’adaptation – et le liste n’est pas exhaustive – au cours de son histoire. Dans la même veine, la mise en place du trois points en NBA est un emprunt à la défunte ligue ABA, qui l’avait intégré pour donner une meilleure chance de marquer aux plus petits et ouvrir les défenses pour rendre le jeu plus spectaculaire sous l’impulsion de son commissionnaire… George Mikan.

Bouger la ligne ne serait pas une première dans le basket. La FIBA (Fédération internationale) est passée de 6,25 mètres en 1984 à 6,75 mètres en 2010. La NCAA (championnat universitaire américain) de 6,02 mètres en 1986 à 6,32 mètres en 2007 puis 6,75 mètres en 2019, distance adoptée pour les femmes dès la saison prochaine (elles étaient encore à 6,32). La WNBA (NBA féminine) a reculé sa ligne avant la saison 2013 pour correspondre aux standards FIBA. La NBA, elle, a d’abord fait l’inverse. Avant la saison 1994-1995, son arc est avancé de 7,24 mètres à 6,71 mètres pour augmenter les scores des matches. Comme attendu, les tentatives de tirs primés explosent, jusqu’à atteindre 21% des shoots de toute la ligue au bout de la troisième saison. Ce qui poussera la NBA à revenir à la distance initiale pour calmer les choses.

« Ils doivent reculer la ligne »

Comment ne pas y réfléchir à nouveau quand ce chiffre atteint aujourd’hui 39%, et alors que la configuration du parquet est la même depuis plus longtemps que n’importe quand dans l’histoire de la ligue? « C’est la solution car ça va laisser plus de place à l’intérieur et plus d’espace à mi-distance donc des mecs vont en profiter, estime Fred Weis. Les joueurs qui ne sont pas de grands shooteurs développeraient cet aspect, les pivots reviendraient peut-être à la mode. Et les gros shooteurs tireront un mètre derrière sans problème. » « Ils doivent reculer la ligne, appuie Kirk Goldsberry. Par exemple de soixante centimètres. Ce n’est pas pour embêter Curry, Harden ou Lillard. Ces gars qui peuvent tirer très loin verront même leur valeur augmenter. Ce sont ceux qui tirent le pied sur la ligne, et pas de plus loin, qui vont devoir revenir au basket vieille école. Si on veut sauver la diversité du jeu et de la sélection des tirs, c’est une solution, avec peut-être rétrécir la raquette pour faciliter les options efficaces au poste bas. »

Mais gare à ne pas verser dans un autre excès. « Attention de ne pas tomber que sur du pick-and-roll car il y aurait un espace incroyable pour cela avec le recul de la ligne, confirme Fred Weis. Déjà qu’on est beaucoup sur ça, qu’il n’y a plus beaucoup de systèmes très développés, là toutes les attaques seraient en pick-and-roll. Ça peut être monotone aussi. » La NBA osera-t-elle (re)sauter le pas? « Elle raisonne en termes financiers, rappelle Fred Weis. Si ça devient trop monotone, ils auront moins de visibilité et moins d’argent. Si on s’en est rendu compte, ils l’ont fait avant nous et je pense qu’ils travaillent déjà sur des solutions. Mais ce n’est pas évident. On parle du tir au logo mais est-ce qu’on ne shooterait pas d’encore plus loin après? Il faut vraiment faire attention à ne pas tomber dans le jeu vidéo NBA Jam. »

Pour l’instant, rien n’indique un changement à court terme. Les défenses devront s’adapter pour limiter la casse. Mais on ne résiste pas au plaisir de vous faire découvrir d’autres propositions, parfois très farfelues. Certains évoquent « une récompense fractionnée », avec des tirs dont la valeur augmente – 2,2 points puis 2,4, 2,6, 2,8 et 3, par exemple – selon où ils sont pris. Un « personnage d’influence de la NBA » interrogé par ESPN propose un cap: 20 tentatives maximum par équipe pendant 42 minutes, tout tir primé en plus étant comptabilisé comme un deux points, et six dernières minutes libres pour permettre spectacle et suspense. « Pour la première fois depuis longtemps, les attaques seraient forcées à discriminer vraiment entre les bons, les moyens et les mauvais tirs à trois points, prédit le journaliste Kevin Arnovitz. Cela obligerait aussi les spécialistes à développer d’autres qualités. Les attaques devraient se montrer plus créatives pour étirer une défense. »

Damian Lillard, un sniper du shoot capable de tirer de très, très loin © AFP

La proposition la plus dingue vient de Kirk Goldsberry: chaque franchise choisit où mettre sa ligne à trois points, plus éloignée pour les Warriors qui veulent profiter du duo Curry-Thompson ou encore asymétrique pour déranger les habitudes adverses, voire pas de ligne du tout à Utah pour profiter de l’intimidation intérieure d’un Gobert. « La plupart des gens du basket à qui j’en ai parlé pensent que c’est stupide, avoue l’analyste. Mais certains trouvent l’idée brillante, avec quelques contraintes raisonnables bien sûr. Vous auriez un vrai avantage du terrain: les tireurs à l’extérieur n’auraient plus leurs repères. Ce serait intéressant à voir. On a besoin de rendre les choses plus difficiles pour les tireurs à trois points. »

Goldsberry évoque aussi l’idée de placer la ligne tous les ans à l’endroit où les tireurs sont à 33% de réussite, ce qui représentait par exemple 7,85 mètres sur l’exercice 2017-18. Où 36 joueurs avaient tenté au moins 100 tirs derrière cette « ligne » de 7,85 mais un seul avec une moyenne à plus de 40%, Curry, avec 43,6% sur 172 tentatives! « Sa capacité à être aussi bon depuis aussi loin le ferait encore plus sortir du lot de la mer de joueurs capables d’être à 40% ou plus à la distance traditionnelle », insiste Goldsberry. Les tirs à mi-distance redeviendraient une option efficace et crédible pour beaucoup. « C’est amusant, juge Fred Weis, mais ça veut dire que tu vas reculer tous les ans. Dans les années 90 ou 2000, personne ne pouvait imaginer qu’un Curry puisse shooter à 40% du logo. Et les gars vont encore progresser, car la technique et le travail s’améliorent. Si tu recules la ligne chaque année pour s’adapter à ces 33%, elle va finir aux vestiaires. (Rires.)« 

Il y a aussi l’idée de faire une ligne en arc de cercle « normal » pour éviter les tirs dans le coin – où la ligne est droite – qui permettent de rentrer des paniers à 6,70 mètres qui comptent un point de plus que ceux à la même distance face au cercle et poussent les équipes à laisser des joueurs « squatter » cette position. « Il y aurait moins de tours mais plus de fous et de cavaliers », lance Goldsberry dans une métaphore échiquéenne. Problème? Il faudrait sans doute augmenter les dimensions du terrain pour garder la faisabilité d’un trois points dans le coin, cauchemar pour les managers de salles. Pour rester dans ce thème, certains proposent la mise en place d’une règle des trois secondes dans le coin pour éviter que les joueurs y restent et donner plus de mouvement au jeu.

La finale remet la mi-distance en lumière

On n’oublie pas l’idée d’un goaltending retiré pour les tirs à trois points, un bonheur pour pivots « traditionnels » protecteurs du cercle façon Gobert ou Clint Capella (il faudrait continuer à interdire de mettre le bras dans le cercle pour empêcher de pouvoir tout contrer). « Les trois points ouverts seraient beaucoup plus difficiles à trouver, plus risqués, avance Goldsberry. Ce serait excitant et les spécialistes du catch-and-shoot, qui est une des options offensives les plus efficaces alors que c’est une des façons les moins risquées de marquer, seraient beaucoup moins dominants. Le smallball n’aurait plus de sens. »

Autant de changements qui n’ont sans doute aucune chance de voir le jour. Mais la G-League – ligue de développement de la NBA – pourrait permettre des tests. Avec l’espoir de redonner ses lettres de noblesse au jeu. « Le basket est à son meilleur quand il y a cinq positions naturelles, poursuit Goldsberry, et que chacun arrive à prospérer à sa façon, qu’un Shaq peut être une star au pivot et un Karl Malone en ailier-fort. Ces deux positions meurent un peu avec ce basket moderne. Quand on voit certaines caractéristiques du jeu s’éroder et de plus en plus d’intérieurs abandonner des spots au poste bas, il faut se demander comment faire pour que ces positions redeviennent pertinentes. »

L’idée d’une NBA pas trop monotone trouve de l’espoir dans la finale en cours. Avec Chris Paul et Devin Booker côté Phoenix Suns et Khris Middleton côté Milwaukee Bucks, la quête du titre met en lumière trois des joueurs qui ont su garder la mi-distance en arme incontournable de leur arsenal. Les Suns sont même leaders de la ligue dans cette zone avec 17,7 points par match. Sur les six joueurs qui ont tenté au moins 400 tirs à deux points en dehors de la raquette cette saison, on trouve Booker (plus de 49% de réussite dans l’exercice) et Paul. Sur les deux dernières saisons, seul ce dernier (51,5%) fait mieux que Middleton (49,5%) dans les « longs » tirs à deux points.

Et le meneur des Suns, qui a mis près de cent paniers de plus que n’importe qui dans le coin droit à l’extérieur de la raquette ces huit dernières années, continue de s’améliorer: « CP3 » a signé une moyenne de 51,6% à mi-distance, troisième meilleure saison du genre depuis 25 ans après le Kevin Durant version 2018-2019 et le Dirk Nowitzki de 2010-2011. « C’est un des meilleurs joueurs de l’histoire sur ce shoot intermédiaire et j’ai envie de dire alléluia, sourit Fred Weis. S’ils sont champions avec ça, ce genre de choses va peut-être un peu revenir à la mode. Ça t’apporte de la diversité. Ces derniers temps, tu défendais à trois points et sur le pick-and-roll et tu étais tranquille car il ne se passait rien à mi-distance. Mais avec des mecs qui apportent du danger dans cette position, tu as une attaque plus fluide et plus difficile à défendre. » Popovich doit apprécier.

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