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Les 400 000 spectres qui hantent le rêve saccagé du Soudan du Sud

Konyo Konyo signifie « encombré » ou « mêlé » en arabe de Juba. C’est le marché principal de Juba, où des milliers d’habitants achètent leurs provisions quotidiennes de nourriture, vêtements, ustensiles de cuisine et bien d’autres articles dans une atmosphère bruyante et agitée. ABDULMONAM EASSA POUR « LE MONDE »

Un pays à soi : c’était le rêve très simple, mais apparemment inaccessible d’une partie des citoyens malheureux d’une nation, alors la plus étendue d’Afrique, le Soudan. Originaires du Sud, ces derniers pouvaient décemment considérer qu’ils n’en seraient jamais les citoyens à part entière, comme ils l’avaient anticipé avant même la naissance du Soudan moderne, devenu indépendant en 1956. Il y a dix ans, l’histoire a semblé leur sourire enfin : le 9 juillet 2011, le sud du Soudan est devenu, en accédant par sécession à l’indépendance, le Soudan du Sud, plus jeune Etat de la planète.

Ce glissement sémantique promettait beaucoup. De mettre un terme à ce dont les sudistes avaient fait l’expérience au Soudan, entre racisme, marginalisation et violences extrêmes, dans un état de guerre presque continuel. Après un premier conflit (1955-1972), la seconde guerre civile, dans cette partie du pays, avait duré plus de vingt ans (1983-2005) et entraîné la mort de deux millions de personnes.

Au bout, il y avait donc eu la promesse d’une solution, sous la forme d’une nation : un plan de paix, signé en 2005 entre la rébellion sudiste, l’Armée populaire de libération du Soudan (APLS), et le pouvoir de Khartoum, avait ouvert une période de transition, conduisant à un référendum d’autodétermination, menant directement à la sécession, acceptée avec des transports de joie par les sudistes (plus de 98 % de oui au référendum). Puis l’indépendance.

Ce nouveau pays, bien sûr, inquiétait pour de nombreuses raisons : les relations avec le Soudan, amputé de ce Sud où se trouvait le plus gros de ses réserves pétrolières, semblaient promises à des tensions, ou pire. L’absence d’infrastructures dans une région en conflit depuis un demi-siècle et les méthodes dictatoriales de la rébellion constituaient d’autres facteurs de risques. On les espérait gérables. « On », c’est-à-dire les pays qui avaient à la fois soutenu l’APLS et adhéré à l’idée que la création d’une nation était la solution à bien des maux : les Etats-Unis, en tout premier lieu, mais aussi la Norvège, le Royaume-Uni et des pays voisins comme l’Ouganda.

« La faim comme arme de guerre »

Dix ans plus tard, le pays neuf semble cassé. Des rapports, comme ceux de Global Witness et The Sentry, ont montré l’étendue des pillages opérés par ses dirigeants, une réalité qui pâlit en regard de l’extrême violence orchestrée par ces derniers. Une guerre civile a éclaté au Soudan du Sud en décembre 2013. Elle a, depuis, fait 400 000 morts. Des massacres ont été commis sur une base ethnique, par des hommes en armes tentant d’exterminer les représentants d’autres groupes. Un premier accord, en 2015, a été emporté par le feu, les crimes, la mainmise des responsables militaires sur les terres. Un deuxième, dit « revitalisé », a été signé en septembre 2018 et tient, vaille que vaille, en attendant qu’une étincelle rallume l’incendie, tandis que des inondations et des nuées de criquets sont venues accentuer encore la catastrophe créée de toutes pièces par les hommes.

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