Il habite Fontamara 27, et ce n’est ni un film ni un roman fantastique. Longtemps, il a cru qu’il allait s’en sortir, poursuivre modestement ses études de laborantin en évitant la violence quotidienne de son quartier au drôle de nom, un de ces trop nombreux bidonvilles de Port-au-Prince où les habitants tentent, jour après jour, de sauver leur peau de l’étreinte macabre.
A plusieurs reprises, il a vu le sang couler, des cadavres en pleine rue de victimes de règlements de comptes. Souvent, il a passé des nuits sans dormir, la peur au ventre, entouré de sa cousine et sa tante, les yeux dans le vague à énumérer, à voix basse, le nom des gangs, leurs chefs, leurs quartiers et territoires mouvants tout autour de leur frêle maisonnée : Martissant, Bicentenaire, Bizoton 53, Village de Dieu, Delma 6… et leurs sicaires, les Krisla, Bourgogne, Ti-Lapli, Grand Ravine, Izo 5 secondes ou Barbecue. Autant de noms à donner le vertige et la nausée, dans une ville qui n’a cessé, ces dernières années, de gravir ses paliers d’ébullition. Et puis, un jour, c’en était trop.
A 28 ans, le regard entravé sous les ferrailles de la peur, Darwin Dady a rempli deux valises, le 17 juin, pour fuir à la hâte sa petite demeure et s’installer loin de la capitale, au Cap-Haïtien, deuxième ville d’Haïti, une des plus pauvres et chaotiques aussi, mais infiniment moins étouffante et mortifère que sa grande sœur du sud. « L’explosion de violence a commencé à Martissant, le 15, entre deux bandes rivales, elle s’est répandue partout, au point qu’il était impossible de rester », souffle-t-il.
Comme Darwin, près de 10 000 personnes ont quitté en quelques heures leurs maisons de briques et de tôles. Certaines ont été brûlées, d’autres pillées. Comme lui, les habitants en fuite ont dû payer 250 à 500 gourdes (entre 2,25 et 4,50 euros, environ le salaire d’une journée de travail) pour passer les points de contrôle tenus par les jeunes hommes en armes. « Un cauchemar, dit-il. On ne peut toujours pas revenir, ça tire tous les jours et pas seulement chez moi, le brasier est total. » Même les policiers ne sont pas retournés dans leur commissariat de Martissant, ni un peu plus au nord, à Portail-Saint-Joseph, ni à Cité Soleil. Il ajoute : « Avec l’assassinat, cette nuit, du président Moïse Jovenel, cela ne va pas s’arranger, les choses vont même empirer. »
« Le président a envoyé les gangs pour semer la terreur »
Aujourd’hui, Port-au-Prince, c’est peut-être ça : une capitale en perdition avec un avant-goût de guerre civile. Une spirale infernale pointée du doigt pour la violence inouïe infligée à ses habitants et une absence tout aussi inouïe des pouvoirs publics. Près de 90 gangs auraient été recensés en ville. Un nombre équivalent en province. Certains avec des relations aux plus hautes sphères du pouvoir. « Le président ne voulait pas que les quartiers se soulèvent et manifestent contre la situation désastreuse du pays, alors il a envoyé les gangs pour semer la terreur », lâche Darwin, d’un trait.
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