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Eloge de la chaise en plastique blanc au Proche-Orient

Des femmes palestiniennes discutent à Gaza, le 12 septembre 2010. MARCO LONGARI / AFP

LETTRE DU PROCHE-ORIENT

C’est l’amie fidèle des journalistes au Proche-Orient. Entre les rives du Nil et celles du Tigre, rares sont les reporters à se passer de ses services. Elle n’est jamais créditée, mais sur ces terrains souvent heurtés, son apport est crucial. Cette héroïne méconnue de la profession, c’est la chaise en plastique blanc.

Quatre pieds, un siège et un dossier, moulés dans le même matériau grossier, parfois vert, mais le plus souvent blanc. Un modèle standard, sans charme ni fioriture, que l’on retrouve de Gaza à Kerbala, de Hama à Aqaba, utilisé aussi bien dans le centre des villes que dans les camps de réfugiés, au pied des immeubles que sur leur toit, le long de la mer que sur la ligne de front. Ce fauteuil du pauvre, résistant à tous les sols et à tous les climats, considéré comme un simple accessoire de jardin en Occident, est un composant-clé du paysage urbain arabe.

Pour le journaliste étranger, en quête de contacts et de repères, voilà donc un allié précieux, un agent de socialisation sans équivalent, un facilitateur d’interviews hors pair. L’auteur de ces lignes, en vingt-deux années de travail sur le Proche-Orient – dont dix-huit durant lesquelles il a vécu sur place, au Caire, à Ramallah et à Beyrouth – a passé un nombre incalculable d’heures assis sur ces simili-strapontins, à observer, discuter et noircir des carnets de notes. Alors que cette période se termine, que la réinstallation sur les bords de Seine se profile, le temps est venu de renverser le regard et de raconter ce que la chaise en plastique blanc dit du Proche-Orient.

Le trottoir, une extension du salon

L’omniprésence de cet article, en apparence anodin, témoigne de l’enchevêtrement des espaces publics et privés dans les villes arabes. Sortir une chaise en plastique sur le perron de son habitation, comme tant de résidents de cette région ont l’habitude de faire, revient à prolonger celle-ci sur le bitume.

Parce que le domicile est exigu, insalubre ou surchauffé, le trottoir se transforme en une extension du salon. Parce que l’appartement a été endommagé dans un récent bombardement, la rue devient un ersatz de salle à manger. Dans la bande de Gaza, comme dans la poche d’Idlib, l’ultime fief de la rébellion dans le nord-ouest de la Syrie, planter une chaise en plastique blanc devant les décombres de sa maison, c’est défendre son titre de propriété et clamer sa volonté de reconstruire.

Celui qui s’assied sur ce canapé de fortune acquiert une paire de jumelles et d’écouteurs. Ce poste d’observation informel lui permet de surveiller les allées et venues des voisins, de guetter leurs réactions à l’actualité, de commenter, de commérer, d’amasser une mine d’informations sur la vie de son quartier. La chaise en plastique blanc est l’outil de travail naturel du bawwab (concierge) et de son double, l’indic des moukhabarat (services de renseignement). Elle est le révélateur de la culture du contrôle social, inquisitrice, très majoritairement masculine, qui imprègne les sociétés arabes.

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