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Rencontres d’Aix: l’élite se rassure sur la sortie de crise

L’élite savoure ses retrouvailles. Sous de grands chapiteaux en plein air, avec pass sanitaire obligatoire, les grands patrons, économistes et politiques se sont à nouveau réunis, du 2 au 4 juillet aux Rencontres d’Aix, le « Davos provençal » qui avait été réduit à un brainstorming numérique, l’année dernière, pour cause de Covid. Les 350 participants ont repris, avec enthousiasme, leurs habitudes: gamberge la journée, avec une cinquantaine de conférence et opéra, jazz ou cocktails le soir. Même si la crise sanitaire est loin d’être terminée, l’ambiance était à l’optimisme.

Car tous les indicateurs sont au vert. Les organisations internationales ont revu leurs perspectives de croissance à la hausse, comme l’OCDE qui table sur 5,7% au niveau mondial cette année. En France, le moteur s’est bien remis en route: la consommation s’envole, avec une hausse de 15 à 20%, en juin, des achats par carte bancaire et l’Hexagone sera même le seul pays européen à atteindre son niveau de consommation d’avant crise à la fin 2021. Les patrons enregistrent une hausse historique de leur moral, ce qui hisse notre croissance vers 6% cette année. « Il y a un an, on nous annonçait des centaines de milliers de faillites, une Europe au bord du gouffre, a rappelé Bruno Le Maire, le ministre

de l’Economie et des Finances. Notre stratégie était la bonne. Nous sommes sur la voie du redressement ».  

La croissance va dépendre de la vaccination

Certes, le variant Delta du coronavirus, qui alarme les autorités sanitaires, fait planer un sérieux risque sur la reprise. En mai, l’OCDE envisageait un scénario pessimiste de reprise épidémique qui amputerait le rebond de la croissance de plus d’un point en Europe. C’était la prolifération spectaculaire du variant indien. Bruno Le Maire a donc rappelé, dans une interview au Parisien que « notre croissance dépendra de la vaccination », dont le rythme a fortement ralenti.

N’empêche, à Aix, les experts ont insisté sur la solidité de cette « reprise hors du commun », dixit l’OCDE. « Jamais dans l’histoire d’une crise, l’intervention des autorités n’avait été aussi rapide et efficace que cela concerne la santé ou la sphère monétaire, budgétaire et financière », se félicite Laurence Boone, son économiste en chef. La chute du PIB a été historique mais les revenus ont été largement préservés, même s’il y a toujours des personnes et des entreprises qui échappent au filet de sécurité ». C’est le grand paradoxe de cette crise: jamais depuis la dernière guerre le choc avait été aussi violent sur le PIB (-8% en France). Mais contrairement aux autres récessions, celle-ci n’a pas entamé le potentiel de croissance.

Bruno Le Maire aux Rencontres d’Aix (crédit: Glasshouse).

20 millions d’emplois ont été préservés

D’abord, l’emploi a été sauvé. « Dans les pays de l’OCDE, 20 millions d’emplois ont été préservés grâce au chômage partiel, s’enthousiasme l’économiste Stéphane Carcillo, spécialiste du marché du travail à l’OCDE. On a gelé la destruction d’emplois. » En France, le taux de chômage a peu augmenté et devrait refluer à 8,2% fin 2021, à peine 0,1 point au-dessus de son niveau d’avant crise. Comme s’il ne s’était rien passé… Ensuite, le tissu des entreprises n’a pas été amputé. « La robustesse de l’appareil productif a été préservée par le soutien public, relève Stéphane Boujnah, le patron d’Euronext, principale place boursière de la zone euro. Les Etats-Unis et la Chine ont repris plus fort que prévu et la croissance est de retour en Europe. Ce phénomène est largement anticipé par la Bourse. »

Ainsi, la vague de faillites tant redoutée n’a pas eu lieu et « sera sans doute limitée », prévoit Jean Pisani-Ferry, du Peterson Institute. L’année dernière, il avait pourtant tiré la sonnette d’alarme sur une possible déferlante des défaillances. Depuis, l’Etat a ouvert les vannes des aides, accordées massivement aux entreprises fermées administrativement. « On a socialisé les pertes. C’était totalement justifié », relève Pisani-Ferry. Quant aux autres entreprises, restées ouvertes, elles auraient même bénéficié d’effets bénéfiques de cette crise: « Elles ont réalisé des gains de productivité importants, poussées à réaliser des investissements dans le numérique, estime l’économiste. On sous-estime ces gains et donc la réalité de la croissance. »

Des pénuries d’emplois inédites en sortie de crise

Certes, sur les pelouses du Parc Jourdan, l’optimisme a été terni, par les témoignages de patrons, qui subissent pénuries et hausses de prix. D’abord celles des matières premières agricoles et minières. « La demande est deux à quatre fois plus forte qu’en temps ordinaire, surtout aux Etats-Unis, où l’activité est repartie beaucoup plus fort que prévu, souligne Laurence Boone. Ces tensions devraient finir par se calmer. » L’autre pénurie, plus surprenante en sortie de crise, c’est celle de la main-d’œuvre. « Dans certains secteurs comme la restauration, beaucoup de salariés ont décidé de changer de métier pendant leur chômage partiel, analyse Stéphane Carcillo. Comme les entreprises ont investi massivement dans le numérique, elles peinent à trouver des salariés qualifiés dans ce secteur. » Une pénurie qui met sous tension les systèmes de formation et les agences pour l’emploi, notamment en France.

Ne pas refaire l’erreur de la sortie de la dernière crise. En 2010, les Européens avaient serré la vis budgétaire trop tôt, ce qui les avait replongés dans la récession. A Aix, l’élite a retenu la leçon et refuse de parler d’austérité. La fin des aides sera progressive malgré l’explosion des déficits (plus de 9% du PIB en France). Et il n’y a, pour l’instant, aucune pression des marchés et des agences de notation, à l’inverse de la crise de 2008. Certes, Bruno Le Maire met en garde sur les nouvelles dépenses sociales coûteuses, comme la réforme de dépendance dans les tuyaux. Mais son message principal, c’est d’inciter les Européens à investir massivement en cette sortie de crise, dans un nouveau méga plan technologique. « Avec l’Allemagne, nous avons fait tomber des tabous, en relançant une politique industrielle en Europe et en faisant accepter l’idée qu’il fallait investir de l’argent public pour développer des filières d’avenir, s’est félicité Le Maire. Nous avons corrigé 30 ans d’erreurs. » Et de détailler des « réalisations stupéfiantes » avec Berlin, « inédites depuis la création d’Airbus », notamment dans les batteries.

A ses côtés à la tribune, le très francophile Peter Altmaier, le ministre de l’Economie allemand, est allé dans son sens. « En Europe, nous avons trop gaspillé de temps à cause de débats idéologiques. Aujourd’hui, la politique industrielle est acceptée. Et les grands projets technologiques avancent dans les batteries ou l’hydrogène. » Sauf qu’il règne en Allemagne une grande incertitude sur la ligne adoptée par le futur chancelier sur le plan budgétaire: investissements massifs comme le défend Altmaier ou retour à l’orthodoxie budgétaire. « Lorsque cette crise sera terminée, lorsque ses effets sur l’économie mondiale auront disparu, la politique allemande devra revenir aux politiques de stabilité telles que définies dans le traité de Maastricht », a expliqué Armin Laschet, le favori pour succéder à Angela Merkel en septembre. Et il s’oppose aux projets de ses concurrents écologistes, qui voudraient s’affranchir des règles budgétaires pour lancer de grands projets dans la transition énergétique.

C’est exactement ce que propose Bruno Le Maire, qui voudrait convaincre Berlin de lancer un nouvel emprunt européen en commun pour financer la transition écologique. Dépenser encore beaucoup plus pour muscler le potentiel industriel de l’Europe… Cette idée française fait son chemin. Mais elle est loin d’avoir encore convaincu les pays d’Europe du Nord, qui commencent, eux, à s’inquiéter du « quoiqu’il en coûte ».

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