Alors que le conflit en Syrie se poursuit, l’accord de 2016 sur l’immigration signé entre l’Union européenne et la Turquie attend d’être renouvelé. Si cet engagement financier a permis d’améliorer les conditions de vie des réfugiés syriens en Turquie, les blocages persistent tant sur les plans humanitaire que diplomatique.
Lors d’un sommet réunissant les dirigeants des Vingt-Sept, jeudi 24 et vendredi 25 juin, la Commission européenne a proposé d’allouer 5,7 milliards d’euros pour financer l’aide aux Syriens réfugiés en Turquie, au Liban et en Jordanie jusqu’en 2024. Pour la seule Turquie, une enveloppe de 3,5 milliards d’euros est destinée à soutenir les 3,7 millions de Syriens qui s’y sont installés pour fuir le conflit qui fait rage dans leur pays depuis plus de 10 ans.
Selon un diplomate interrogé par l’AFP, les modalités du financement doivent encore être décidées. Un premier financement de 535 millions d’euros a déjà été débloqué pour poursuivre les actions de l’UE en Turquie au cours de l’année 2021, précise la proposition.
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Si la Turquie est au cœur des négociations, c’est parce qu’elle accueille la « plus importante population de réfugiés dans le monde », précise la Commission européenne dans un communiqué datant du 30 mars dernier.
En 2016, un an après la crise migratoire de 2015, Bruxelles et Ankara avaient signé un accord historique. Destiné à réduire l’afflux de migrants en Grèce, il permet de renvoyer en Turquie les migrants qui n’ont pas déposé de demande d’asile en Grèce, ou dont la demande a été refusée.
Pour chaque clandestin renvoyé en Turquie, un réfugié syrien présent sur le sol turc doit obtenir un visa pour entrer en Europe, dans la limite de 72 000 places. Sur les 6 milliards d’euros que l’UE devait verser au profit des réfugiés syriens vivant sur le sol turc, 4,1 milliards ont été dépensés. « Les 2 milliards d’euros restants seront déboursés au cours des prochaines années, notamment dans le domaine des infrastructures », a précisé la Commission.
Un fond pour répondre aux besoins des réfugiés
Grâce à cet accord, « les réfugiés syriens ont été aidés pour leur santé, leur éducation, leur formation professionnelle, et les plus démunis ont reçu des allocations de subsistance à travers une carte de retrait bancaire », explique Marc Pierini, chercheur à Carnegie Europe, ancien ambassadeur de l’UE en Turquie (2006-2011) et en Syrie (1998-2002), contacté par France 24. Et le spécialiste de poursuivre : « Il a été tenu compte de la surcharge des infrastructures dans les zones d’accueil, afin que la population turque ne pâtisse pas de l’affluence dans les dispensaires et les écoles par exemple. »
L’Union européenne a, par exemple, mis en place le Plan d’aide sociale d’urgence (ESSN), un important programme humanitaire qui fournit une aide mensuelle aux réfugiés les plus vulnérables. Selon la Commission européenne, plus de 1,7 million de réfugiés vivant en Turquie en bénéficient. D’un montant de 155 lires turques (environ 16 euros) par personne et par mois, elle permet aux réfugiés de se procurer des vivres, des médicaments, ou de payer en partie leurs factures et loyers. L’UE a, par ailleurs, décidé l’octroi d’un paiement en espèces supplémentaire pour tenter d’aider les réfugiés à faire face aux effets économiques dévastateurs du Covid-19.
Malgré ces aides, les conditions de vie des réfugiés syriens en Turquie restent très précaires. « Le coût de la vie et le manque d’accès à un revenu régulier font qu’il est difficile pour les familles vulnérables de subvenir à leurs besoins de base », écrit la Commission européenne, ajoutant que ce contexte favorise « le travail des enfants » et « la mendicité » au sein de cette population. « Nombreuses sont aussi les familles qui se retrouvent contraintes de réduire leur consommation alimentaire ou de vivre dans des logements insalubres », alerte aussi la Commission européenne.
De forts désaccords au sein de l’UE et avec la Turquie
En outre, le renouvellement de l’accord de 2016 représente un dossier sensible pour l’Union européenne. « Le point de blocage principal [autour de cet accord] se situe au niveau de la mise en œuvre de la politique d’asile par les pays de l’UE, qui est lente et fait l’objet de désaccords entre pays européens, et donc aussi avec la Turquie », explique Marc Pierini.
« Un incident majeur est survenu fin février 2020, lorsque la Turquie a monté une opération de police visant à transférer des réfugiés non-syriens d’Istanbul vers la frontière terrestre avec la Grèce sous le contrôle d’un millier de policiers, opération qui a tourné court mais a fortement dégradé le climat de coopération », rappelle le chercheur.
Après plusieurs années de tensions entre Ankara et Bruxelles, leurs relations semblent se détendre un peu dernièrement. La nouvelle aide proposée par la Commission européenne « constitue, dans les conclusions du Conseil européen, un point concret d’avancée entre l’UE et la Turquie », relève Marc Pierini.
Mais Bruxelles reproche tout de même à Ankara d’avoir arrêté de reprendre les migrants en situation irrégulière sur les îles grecques depuis le début de la pandémie. « Nous nous attendons à ce que la Turquie respecte ses engagements, et cela signifie empêcher les départs irréguliers et reprendre sans tarder l’accueil de ceux qui sont renvoyés des îles grecques », a rappelé Ursula von der Leyen en avril.
De son côté, l’ONG Amnesty International dénonce, dans un rapport publié mercredi, des « renvois forcés illégaux » de migrants vers la Turquie, opérés depuis la Grèce. « Les forces grecques postées aux frontières arrêtent violemment et illégalement des groupes de personnes réfugiées ou migrantes avant de les renvoyer sommairement en Turquie », accuse Amnesty International.
Après l’accord de 2016, l’Union européenne souhaite, pour ce renouvellement de l’accord, revoir son assistance et « passer de l’aide humanitaire au soutien socio-économique et au développement », compte tenu de la durée du conflit en Syrie.
Selon le document, les financements européens doivent, en outre, couvrir « les besoins les plus urgents des réfugiés et des communautés d’accueil, notamment les services de santé et l’éducation, la protection sociale, le développement des compétences et la création d’opportunités d’emploi ».
Les fonds proviennent du budget commun, mais « les États membres peuvent décider d’ajouter des contributions nationales en fonction de l’évaluation des besoins », a précisé un diplomate européen à l’AFP.
Une proposition qui doit encore susciter l’adhésion. « Ces citations proviennent de documents de la Commission européenne qui n’ont pas encore été adoptés par le Conseil des ministres. Il faut attendre un accord complet au Conseil pour se prononcer », nuance toutefois Marc Pierini. « Il est clair cependant qu’après bientôt six ans de fonctionnement de la Facilité de l’UE pour les réfugiés de Turquie et après 10 ans de guerre en Syrie sans accord de paix à l’horizon, il est temps de passer au stade du soutien socio-économique pour faciliter la participation des réfugiés à la vie économique de la Turquie », ajoute l’ancien diplomate.
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