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Ethiopie : en Oromia, les élections législatives du 21 juin se préparent dans un climat de forte défiance

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Des leaders communautaires montrent des listes de personnes incarcérées par le gouvernement, à Nekemte, dans l’ouest de l’Oromia, le 26 février 2020. SOLAN KOLLI / AFP

Challa Desisa paraît bien seul, dans son bureau orné des drapeaux de l’Oromia, la région la plus peuplée d’Ethiopie. Responsable du Congrès fédéraliste oromo (OFC) à Ambo, ville située à trois heures à l’ouest de la capitale, Addis-Abeba, il veille sur une permanence vide.

« Nos militants préfèrent ne pas venir, pour éviter les intimidations quotidiennes des autorités », explique-t-il. Challa Desisa, lui-même ancien prisonnier politique, glisse un œil par la fenêtre et montre du doigt des hommes postés de l’autre côté de la rue qu’il suspecte être des informateurs.

Le siège de l’OFC à Ambo est l’un des seuls à avoir échappé à la répression du gouvernement contre les opposants nationalistes de cette province de plus de 40 millions d’habitants, qui abrite le principal groupe ethnique du pays, et dont est originaire le premier ministre, Abiy Ahmed. « Il y a un an de cela, l’OFC avait 206 permanences en Ethiopie. Il n’en reste plus que trois aujourd’hui », résume Challa Desisa.

Tout comme l’autre grande formation d’opposition de la région, le Front de libération oromo (OLF), son parti boycottera les élections législatives du lundi 21 juin. Un scrutin « qui se déroule dans un espace politique extrêmement réduit, et alors que nos leaders sont derrière les barreaux », fustige Merera Gudina, le président de l’OFC.

Amertume de la frange nationaliste

Dans la province, les législatives se préparent dans un climat de défiance aiguë qui en dit long sur l’instabilité d’un pays de quelque 110 millions d’habitants. Une dizaine de circonscriptions seront privées de vote à cause de problèmes logistiques. Et outre le boycottage de l’opposition, la commission électorale éthiopienne a écarté la candidature de dix partis politiques régionaux.

« Au final, c’est comme si une région d’une taille équivalente au Maroc votait en l’absence d’opposition », compare un diplomate européen. Ils semblent loin, les espoirs suscités en Oromia par l’arrivée au pouvoir, en 2018, d’Abiy Ahmed. Ce dernier avait été porté par les mouvements de jeunesse oromo, les queerroo, qui contestaient l’hégémonie du Front populaire de libération du Tigré (FPLT), à la tête du pays depuis trois décennies.

Las, les attentes ont rapidement cédé la place à l’impatience et à l’amertume de la frange nationaliste, désireuse d’imposer son particularisme culturo-linguistique. Alliés de la première heure d’Abiy Ahmed, les Oromo se sentent aujourd’hui trahis par la vision unitaire et centralisée de l’Ethiopie promue par le Parti de la prospérité, la formation du premier ministre.

La situation s’est nettement dégradée après l’assassinat de l’icône et porte-voix de la jeunesse oromo, le chanteur Hachalu Hundessa, tué dans des circonstances qui demeurent floues fin juin 2020. Sa mort a embrasé la région, déclenchant des manifestations colossales au cours desquelles plus de 200 personnes ont été tuées.

« Une répression jamais connue »

Internet a été coupé pendant un mois, des médias ont été fermés et plusieurs milliers de nationalistes arrêtés. Parmi eux, le charismatique Jawar Mohammed, passé, en moins d’un an, du statut de proche d’Abiy Ahmed à celui d’opposant numéro un. Depuis, la censure et la répression rythment le quotidien de la province.

Devant l’université d’Ambo, rebaptisée « campus Hachalu-Hundessa », trône aujourd’hui une statue de l’artiste, chevauchant un cheval, animal symbolique de la culture oromo. Elle ne plaît guère aux autorités, si l’on en croit Tefera Dugasa, un abaa gadaa, un gouverneur traditionnel dans la culture oromo. « Le président de l’université se cache depuis début mai, il craint pour sa vie », assure-t-il, imputant cet exil forcé aux pressions des cadres du Parti de la prospérité sur l’universitaire.

« C’est une répression comme nous n’en avions jamais connu », poursuit Tefera Dugasa, un abaa gadaa, un gouverneur traditionnel dans la culture oromo. Les queerroo (« jeunesse », en langue afaan oromo), principaux acteurs des révoltes passées, sont désormais en ordre dispersé. Certains ont rallié le camp gouvernemental en échange d’avantages financiers, d’autres sont en prison et quelques-uns ont pris les armes. A ceux qui craignent un soulèvement de l’Oromia après le scrutin, l’abaa gadaa répond qu’il n’en sera rien : « Il est impossible de se révolter aujourd’hui. Les gens ont trop peur. »

« C’est marche ou crève ! »

Pourtant, l’insurrection menée par l’Armée de libération oromo (OLA) « s’est rapidement développée depuis juin 2020 dans l’ouest de l’Oromia », indique un chercheur occidental qui souhaite rester anonyme. Impossible d’établir le contingent de ce groupe rebelle issu d’une scission avec l’OLF, qui mène la guérilla en tendant des embuscades aux forces fédérales. « Elle n’est pas extrêmement bien armée, mais bénéficie d’un énorme soutien dans les villes », poursuit l’universitaire.

Avec l’extension de cette guérilla, les exactions se multiplient de tous les côtés. Chaque semaine sont rapportés de nouveaux assassinats ciblant pêle-mêle des officiels oromo du gouvernement, des journalistes ou des sympathisants de l’OLA. La pression est telle que le Parlement s’est empressé de labelliser cette organisation comme « terroriste ».

Face à la rébellion, Addis-Abeba ne mobilise pas seulement l’armée nationale et les forces provinciales de l’Oromia. Les forces spéciales de la région voisine de l’Amhara participent également aux opérations de maintien de l’ordre. L’OLF va même jusqu’à accuser des troupes érythréennes d’avoir été spécialement dépêchées pour mater la rébellion.

« A partir du moment où tu émets une critique du gouvernement, on te traite de terroriste, confie un professeur de l’université d’Ambo, qui souhaite garder l’anonymat de peur de représailles. C’est marche ou crève ! »

« Je vis constamment dans la peur »

Cet homme d’une quarantaine d’années révèle que deux de ses cousins ont déjà rejoint la rébellion. A ses côtés, un jeune homme d’affaires d’Ambo pense faire de même après avoir été menacé par des administrateurs locaux à cause de son appartenance à l’OFC. « Ils m’ont dit qu’ils me tueraient, précise-t-il, en montrant les messages sur son téléphone. Depuis, je sors à peine de chez moi, je vis constamment dans la peur. »

Peut-être craint-il de subir le même sort qu’Amanuel Wondimu, un adolescent de 17 ans exécuté en public dans la ville de Dembidolo, dans l’extrême ouest de l’Oromia, le 11 mai. Jugé coupable – sans procès – d’appartenir à l’OLA, il a été arrêté, battu et fusillé. Des centaines d’habitants ont été contraints de venir assister à l’exécution, filmée par les soldats. « Ils ont rameuté tous ceux qui se trouvaient dans le centre-ville pour l’occasion. Ils nous ont dit que ceux qui tenteraient d’attaquer les forces de sécurité connaîtraient le même sort que lui », relate un habitant.

Parmi les militants oromo, la crainte alimente la frustration. « On assiste à une répression incroyablement forte dans la région, qui alimente les groupes extrémistes », conclut le chercheur. La résistance pacifique ne semble plus être une option pour les nationalistes, qui rêvent plus que jamais d’un nouveau roman national pour l’Oromia. Tous les jours, de nouvelles recrues se dirigent dans les forêts pour rejoindre les rangs de l’OLA qui, d’après son chef, Jaal Maroo, « combat la marginalisation délibérée des Oromo dans leur quête pour l’autodétermination ».

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