Une pétition circule sur les réseaux pour que Joséphine Baker repose au Panthéon, afin de mettre en avant les combats de cette femme libre et engagée, qui était à la fois féministe, résistante et militante contre le racisme et l’antisémitisme.
« Osez Joséphine », c’est le nom de la pétition lancée par l’essayiste Laurent Kupferman pour que Joséphine Baker fasse son entrée au Panthéon. La campagne, qui a débuté à l’occasion de la fête de l’Armistice du 8 mai 1945, a déjà recueilli plus de 30 000 soutiens et doit monter en puissance le 3 juin prochain, date de l’anniversaire de l’artiste disparue en 1975. « De nouveaux signataires seront dévoilés et la requête sera envoyée à l’Élysée », explique l’auteur de l’ouvrage « Les aventuriers de la République ». Il appartiendra ensuite au chef de l’État de prendre la décision de lui rendre cet hommage ou non. « Sa panthéonisation serait un puissant symbole d’unité nationale, d’émancipation et d’universalisme à la française », s’enthousiasme déjà l’auteur français.
La chanteuse Joséphine Baker pose dans sa loge au Strand Theatre de New York, le 6 mars 1961. AP
Chacun connaît la danseuse des années 30 au sourire solaire et aux pitreries communicatives, arborant des tenues légères sur les planches des cabarets. Première star internationale noire, muse des cubistes, Joséphine Baker est aussi une fervente patriote qui s’engagea entièrement dans la Résistance lors de la Seconde Guerre mondiale. Dès 1939, son dévouement pour la France est total. Devenue française par son mariage, en 1937, avec Jean Lion (de son vrai nom Levy), un industriel juif, elle utilise sa notoriété pour faire passer des messages de la plus haute importance, dissimulés dans ses corsages, à la barbe de douaniers trop occupés à lui demander des autographes. Elle s’immisce dans des réceptions données dans les ambassades étrangères pour recueillir de précieux renseignements sur les mouvements des troupes allemandes et de ses alliés. Elle écrit à ses 4 000 filleuls de guerre pour apaiser les tourments et remet l’intégralité des cachets de ses concerts à l’armée française. Elle fera même du château des Milandes, qu’elle loue à cette époque, un noyau dur de la Résistance.
Des documents concernant Joséphine Baker conservés pendant des années dans les salles d’archives du château médiéval de Vincennes, à l’est de Paris, photographiés en 2016. François Mori, AP
Une admiration grandissante
À ce jour, la patrie « s’est montrée reconnaissante » avec cinq femmes seulement sur les 80 personnes « panthéonisées ». Elle rejoindrait ainsi Simone Veil, Sophie Berthelot, Marie Curie, Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Germaine Tillion. Mais « Joséphine Baker ne doit pas entrer au Panthéon parce qu’elle était une femme ou parce qu’elle était noire. Elle doit y entrer pour les actes de courage qu’elle a rendus à la Nation », abonde Laurent Kupferman.
Faire entrer Joséphine Baker au Panthéon, l’idée n’est pas nouvelle. L’écrivain Régis Debray avait déjà émis l’idée dans une tribune du Monde en date du 16 décembre 2013. « La proposition avait été soumise à François Hollande sous son quinquennat, mais il n’a rien fait », regrette Brian Bouillon Baker, l’un de ses enfants adoptés, dans un entretien à France 24. Pourtant, ces derniers temps, ses proches sentent un véritable engouement pour la plus française des Américaines. « De très nombreux élus nous [enfants, NDLR] sollicitent de plus en plus pour inaugurer des écoles maternelles, des rues, des places, des salles de danse à son nom, constate ce dernier. On nous contacte aussi de l’étranger pour inaugurer des chambres d’hôtel à son nom, pour des interviews dans la presse étrangère. Il y a même trois films, dont un biopic et un documentaire à gros budget qui sont en préparation. Il n’y avait pas tout cette admiration à son sujet il y a trente ans. »
Pour Laurent Kupferman, cette passion grandissante s’explique par la modernité des combats qu’elle a menés : « Joséphine Baker était une femme libre et engagée, féministe, résistante et une militante engagée contre le racisme et l’antisémitisme. Dans un monde replié sur lui-même où les communautarismes et le racisme sont exacerbés, son combat trouve aujourd’hui une résonance toute naturelle ».
Militante au sein de la Licra
La chanteuse fantasque était aussi la militante engagée contre le racisme. Victime de ségrégation raciale quand elle se trouve aux États-Unis, elle soutient toutes les causes antiracistes. En 1963, participe à la Marche sur Washington pour l’emploi et la liberté aux côtés de Martin Luther King. Vêtue de son ancien uniforme de l’armée de guerre et de ses médailles de résistante, elle est la seule femme noire à prononcer un discours. En France, elle milite au sein de la Lica, qui deviendra en 1979 la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra).
L’interprète de « J’ai deux amours » en possède bien plus en réalité. Elle est une maman aimante qui adopte douze enfants d’origines et de religions différentes pour façonner la « famille arc-en-ciel ». Une façon de concrétiser ses idéaux universels. « Notre famille n’était pas qu’une simple utopie, assure Brian Bouillon Baker. Notre mère nous a voulu différents et unis et en cela elle a parfaitement réussi car aujourd’hui nous sommes toujours aussi liés. »
Josephine Baker et de son mari Jo Bouillon marchant avec leurs enfants adoptifs, en 1956, devant son château de Milandes, en Dordogne. AFP
Tous ses enfants, qui soutiennent pleinement le projet, sont d’ailleurs d’accord sur un point : ils refusent que le corps de leur mère soit exhumé du caveau familial de Monaco. « Notre mère repose auprès de notre père et de l’un de ses fils, près de Grace de Monaco, qu’elle aimait beaucoup et qui lui a porté assistance quand elle fut ruinée à la fin de sa vie, il n’est donc pas question de la déplacer. » Le transfert de la dépouille n’est en effet pas obligatoire pour entrer en Panthéon et le clan Baker plaide pour un simple cénotaphe élevé à sa mémoire.
Mais qu’aurait pensé l’intéressée de cette initiative ? Elle aurait eu deux réactions, croit savoir le septième enfant de la fratrie. « Elle aurait été très fière de cet honneur de la France tout comme elle était très fière de porter ses distinctions de Chevalier de la Légion d’honneur à titre militaire, sa Croix de guerre 1939-1945 avec palme, sa médaille de la Résistance (avec rosette) et sa médaille commémorative des services volontaires dans la France libre. Elle aurait aussi été très gênée qu’un tel honneur lui soit fait. Elle qui n’était ni une intellectuelle, ni une responsable politique, mais une simple femme de bon sens. »
Joséphine Baker reçoit la Légion d’honneur et la Croix de guerre avec palme, le 19 août 1961 dans son château des Milandes. © AFP
Joséphine Baker et Gisèle Halimi, même combat
Si de nombreuses personnalités publiques soutiennent la campagne « Osez Joséphine » comme Jack Lang, Stéphane Bern, Nicoletta, Pierre Souchon, Marie-Paule Belle, Jean-Marie Perier, d’autres – plus rares –, émettent quelques réserves. Joséphine Baker, dansant dans la revue Nègre une ceinture de bananes autour de la taille, n’offre-t-elle pas une triste caricature du racisme, s’interrogent les plus sceptiques. « La taxer de servir le racisme est absurde, balaye d’un revers de manche Laurent Kupferman. On ne peut pas regarder cette scène d’hier avec nos lunettes du présent. Il ne s’agit que d’un simple charleston endiablé, pas d’une danse tribale. » Et Brian Bouillon Baker de renchérir, « ces accusations sont marginales, partout, on parle d’elle avec bienveillance. »
Après avoir fait entrer au Panthéon l’écrivain Maurice Genevoix le 11 novembre 2020, Emmanuel Macron va-t-il être séduit par Joséphine Baker au point de la faire « reposer » sous la prestigieuse coupole ? « On peut le penser de façon raisonnable, se risque à penser son fils de 64 ans. On sait que le président est sensible au destin de Joséphine. Il l’a d’ailleurs déjà évoqué lors de son discours sur les 150 ans de la proclamation de la République, au Panthéon justement. » Une chose est sûre, le président est le seul à pouvoir en décider. À ce stade, on sait qu’il a déjà lancé un processus de concertation autour de l’entrée au Panthéon de l’avocate et militante Gisèle Halimi. Mais rien n’empêche plusieurs entrées. « Quoi qu’il arrive, conclut Brian Bouillon Baker, même si elle n’y entre pas, nous avons tellement reçu de marques de sympathies, d’hommages et de reconnaissance de notre mère, que c’est déjà en soi une victoire. »
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