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Israël : dans la ville mixte de Lod, la peur d’une “expropriation silencieuse” des Palestiniens

Publié le : 20/05/2021 – 19:12

Jaffa, Saint-Jean-d’Acre, Ramleh, Lod, Haïfa : beaucoup de Palestiniens d’Israël habitant dans les villes mixtes – où cohabitent Juifs et Arabes – manifestent depuis le début des bombardements de la bande de Gaza, ce qui a donné lieu à de violents heurts avec des extrémistes juifs. La ville de Lod a ainsi connu une flambée de violence sans précédent, mettant en péril la coexistence entre les deux communautés. Ces événements révèlent une accumulation des rancœurs envers l’État israélien, accusé d’œuvrer pour évincer progressivement les Arabes de la ville, au profit des « colons juifs ».

À Lod, ville située près de Tel Aviv et qui compte 80 000 habitants dont un tiers sont des Palestiniens d’Israël, des manifestants arabes ont été attaqués par des Juifs nationalistes, des synagogues ont été incendiées, des magasins saccagés. Le 11 mai, un manifestant palestinien a été tué par balle. Le 12 mai, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a déclaré l’état d’urgence. Le 17 mai, un habitant juif a trouvé la mort après avoir reçu une brique sur la tête.

Vidéo montrant le rassemblement d’un groupe de Juifs extrémistes à Lod. L’un d’entre eux porte un fusil en bandoulière.

Vidéo montrant des affrontements entre Palestiniens et forces de l’ordre dans la ville de Lod.

 

« Nous considérons ces gens comme des colons »

Khaled Zanabeqa est un avocat palestinien, natif de Lod.

Nous n’avons aucun problème avec les Juifs qui ne sont pas ultranationalistes. Nous vivons ensemble en bonne entente depuis des dizaines d’années.

Toutefois, les tensions existent depuis plusieurs années déjà dans la ville, en raison de l’arrivée de nouveaux « colons » issus d’un groupe religieux ultranationaliste appelé « Garin Torani ». Ceux-ci sont arrivés en 2005 après la décision de l’ancien Premier ministre Ariel Sharon de les évacuer de la bande de Gaza et des colonies juives de Cisjordanie où ils étaient implantés [NDLR : en 2005, ils étaient estimés à 1 200 familles à Lod].

Avec l’appui de l’État israélien et des autorités locales, ils ont construit des centaines de nouveaux logements dans les quartiers arabes, des écoles, et même une académie prémilitaire.

Au sein de la communauté arabe, nous considérons ces gens comme des colons qui sont venus pour judaïser la ville, c’est-à-dire changer la démographie et faire en sorte qu’il y ait de plus en plus de Juifs et de moins en moins d’Arabes.

La responsabilité de cette situation incombe en grande partie au maire de Lod, Yair Revivo, qui est un militant du Likoud [droite, NDLR] et ancien chef de campagne de Benjamin Netanyahu. Il a ouvertement soutenu l’arrivée des Juifs religieux et affiché du mépris pour les Arabes.

Yair Revivo a déclaré à plusieurs reprises que la culture arabe était intrinsèquement violente. En 2015, il avait assuré au journal Makor Rishon que l’arrivée de Juifs religieux avait « sauvé » Lod, car elle était menacée de devenir une ville arabe.

Depuis le début des récentes tensions, et les affrontements entre des extrémistes juifs et des Palestiniens, le ressentiment s’est encore accentué envers les membres de Garin Toradin. Khaled Zabareqa poursuit :

« Depuis une dizaine de jours, au plus fort des tensions, ces groupes se baladent dans les quartiers arabes de Lod, parfois armés. Ce qu’on voit comme de la provocation. Dimanche dernier [16 mai], ils sont venus à la grande mosquée de Lod. Cela m’a rendu furieux, je leur ai demandé de partir sur-le-champ. Filmée, la scène a été beaucoup partagée sur les réseaux sociaux.

المحامي خالد زبارقة من اللد يطرد المستوطنين من ساحة المسجد الكبير في اللد pic.twitter.com/JZNFzvYELF

— عامر يحيى عامر الحچيمي (@aameralaamer1) May 18, 2021

Vidéo montrant une altercation entre l’avocat Khaled Zabareqa et des membres de Garin Torani qui étaient venus tenir un rassemblement devant la grande mosquée de Lod.

Les membres de Garin Torani, qui se présentent comme un groupe de « sionistes idéalistes », se défendent de toute velléité de « judaïser » la ville, affirmant que l’unique but de leur présence est de participer à son développement. Toutefois, selon la presse israélienne, ils sont impliqués dans des attaques violentes contre les Palestiniens lors de récentes manifestations. Contacté, Garin Torani n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Grève générale de Palestiniens à Lod

Dans la ville de Lod, tout comme dans d’autres villes mixtes, les Arabes israéliens ont massivement participé à une grève générale, mardi 18 mai, en soutien aux habitants du quartier de Cheikh Jarrah à Jérusalem-Est, menacés d’expulsion de leurs logements au profit de Juifs religieux. C’est la répression des manifestations de ces habitants par la police israélienne qui a mis le feu au poudre, et conduit à une escalade des violences entre Israël et le Hamas depuis le 10 mai.

Khaled Zabareqa explique :

La communauté palestinienne a participé massivement à la grève générale, car ici, nous subissons la même politique d’occupation et d’expropriation que les habitants palestiniens du quartier de Cheikh Jarrah, à Jérusalem-Est. La seule différence, c’est que l’État israélien a tenté d’expulser ces habitants de leurs maisons de façon brutale, alors que nous, ils essayent de nous pousser hors de la ville de manière plus douce, c’est une expropriation silencieuse.

Vidéos montrant les commerces des quartiers palestiniens fermés, mardi 18 mai.

Après leur arrivée dans la ville de Lod, les religieux de Garin Totani se sont vu octroyer des terrains dans des quartiers majoritairement habités par des Palestiniens, pour y construire des logements neufs, comme dans le quartier de Ramat Elyashiv et celui d’Ahuzat Nof Neria. Ce qui a exacerbé le sentiment d’injustice, c’est surtout le fait que les autorités israéliennes ont mené ces dernières années plusieurs campagnes de destruction de logements appartenant à des Palestiniens au motif qu’ils n’avaient pas obtenu des autorisations de construction.

Plus récemment, le 24 février, la Cour suprême d’Israël a gelé une décision de justice portant sur l’expulsion de plusieurs dizaines de familles palestiniennes de leurs logements à Lod. Ces familles vivent pour beaucoup dans des logements qui appartenaient à des familles palestiniennes contraintes de les abandonner en 1948, lors de la création de l’État d’Israël.

Les logements laissés en 1948 par les Palestiniens qui ont été déplacés à Gaza, en Cisjordanie et dans les pays arabes voisins ont été saisis par l’État israélien. Ces logements sont généralement loués par l’entreprise publique Amidar à des Palestiniens qui sont restés après 1948, et qui sont devenus des citoyens israéliens. Néanmoins, des familles palestiniennes sont régulièrement expulsées de ces logements pour non-respect des termes du contrat de location, qui interdit notamment au locataire d’effectuer des travaux.

Sami Abdulhamid, journaliste palestinien qui vit dans la ville de Jaffa, explique que cette problématique concerne toutes les villes mixtes d’Israël :

Depuis fin avril, il y a eu des manifestations marquées par des affrontements violents dans la ville de Jaffa car les autorités israéliennes ont décidé d’expulser des dizaines de familles palestiniennes du quartier d’Al-Ajami au profit d’investisseurs juifs. Il s’agit d’un énième épisode d’expulsion de familles arabes. Les familles palestiniennes appellent cela la « nakba silencieuse » [le terme « nakba », « catastrophe » en arabe, est utilisé en référence à l’exode forcé des Palestiniens en 1948, NDLR].

“Jaffa is not for sale,” “Amidar = silent Nakba” – protests over the proposed sales of absentee property in Jaffa, which would mean the evictions of current tenants pic.twitter.com/ABI5ho8OLk

— Jonathan Shamir (@jonathan_shamir) April 24, 2021

Des manifestations dans la ville mixte de Jaffa contre l’éviction de familles palestiniennes de leurs domiciles.

L’escalade des violences se ressent aussi dans les quartiers mixtes de Jérusalem. Dimanche 17 mai, un juif extrémiste a d’aillleurs tiré sur des habitants dans le quartier palestinien de Shuafat. L’une de ses balles a touché un jeune Palestinien, qui souffre de multiples fractures.

Depuis le 10 mai, au moins 219 personnes, dont 63 enfants, ont été tuées dans des raids israéliens sur la bande de Gaza, selon le ministère de la Santé local. En Israël, les tirs de roquettes depuis Gaza ont fait douze morts, selon la police israélienne.

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