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Cluster, quatorzaine, coronapiste… quand le Covid-19 enrichit le Larousse 2022

Le Petit Larousse a dévoilé, mardi, les 170 mots de sa nouvelle édition. Parmi eux, nombreux sont ceux liés au Covid-19. Dans les coulisses de la sélection de ces nouveaux entrants au dictionnaire, on salue le « foisonnement linguistique incroyable » qu’a permis la pandémie. 

« Se faire un apéro-zoom », dévaler une « coronapiste » à vélo, identifier « des clusters ». Depuis le début de la crise du Covid-19, de nombreux termes liés à la pandémie sont venus enrichir le vocabulaire des Français. Certains d’entre eux entreront bientôt dans la postérité en faisant partie des 170 mots intégrés dans la nouvelle édition du Petit Larousse, dont la liste a été dévoilée mardi 4 mai.

D’un millier de mots à 170

Pour entrer dans le célèbre dictionnaire, « les mots doivent passer par un sévère comité de sélection », explique Bernard Cerquiglini, professeur de linguistique et conseiller scientifique du Petit Larousse, contacté par France 24. 

« Toute l’année, des lexicographes et des linguistes lisent, écoutent et notent les nouveaux termes observés dans des médias divers, des essais, des romans », détaille-t-il. Au total, environ un millier de mots se retrouvent à la table des négociations. 

« Il n’y a de la place que pour 150 d’entre eux », explique le linguiste. La sélection finale se fait au sous-sol des éditions Larousse. Trois spécialistes débattent, votent et passent au crible chacun des mots. Bernard Cerquiglini, ancien vice-président du Conseil supérieur de la langue française, lui, fait figure de conseiller. 

Plusieurs critères permettent de trancher. « Il faut évidemment attester que le mot est utilisé à l’écrit et à l’oral. Il doit être partagé par une large partie de la population et pas uniquement par un groupe », détaille le linguiste. « Pour le reste, c’est du flair. Il faut sentir quels mots sont effectivement entrés dans le langage courant et lesquels risquent de disparaître d’eux-mêmes. »

« La langue française a su nommer la pandémie »

Cette année fait cependant exception avec 170 nouveaux entrants dans le Petit Larousse. Une conséquence, selon Bernard Cerquiglini, de l’important foisonnement linguistique engendré par la pandémie de Covid-19. 

« La langue française a montré sa vigueur et son dynamisme », félicite le linguiste. « Elle a su nommer la pandémie, ses conséquences et ses rebondissements. Grâce à des jeux de mots, des mots-valise, des suffixes, des préfixes, elle a trouvé les mots qu’il fallait. »

Certains termes ont été créés de toutes pièces, souligne d’abord le linguiste. Certains jouent sur le préfixe « corona » comme « coronapiste », ce mot utilisé pour parler des pistes cyclables provisoires aménagées lors du déconfinement pour favoriser la pratique du vélo, ou encore « corona bond », des emprunts européens. Ces deux mots font partie de la liste des nouveaux entrants dans le dictionnaire.

« Nous avons eu un débat sur les nouveaux mots liés à l’apéro », se souvient Bernard Cerquiglini. Et de s’amuser : « Les Français aiment tellement cela qu’ils ont créé une quinzaine d’occurrences qui y sont liées : skypéro, apérozoom, cyberapéro, coronapéro… ». Finalement, aucun d’entre eux n’a été validé, jugé trop éphémère.

>> À lire aussi : « De A à Z, les mots d’une année 2020 marquée par le Covid-19 »

Peu d’anglicismes

D’autres mots, quant à eux, ont changé de sens pour s’adapter à cette année 2021. Ils existaient déjà dans le dictionnaire mais ils vont se voir accoler une nouvelle définition. C’est le cas, notamment, de « jauge ». « Avant on utilisait ce terme pour parler d’un niveau d’essence. Maintenant, on en parle pour évoquer le nombre de personnes autorisées dans un lieu », souligne Bernard Cerquiglini.

« Le meilleur exemple est certainement le mot ‘confinement’. Il était déjà dans le dictionnaire mais il appartenait au champ lexical du nucléaire », note le linguiste. « Aujourd’hui, il fait partie du langage courant et, en plus de cela, il a donné lieu à plein de néologismes : ‘reconfinement’, ‘déconfinement’, ‘redéconfinement’ », poursuit-il, avant de parier sur la naissance prochaine du « post-déconfinement ». 

Enfin, d’autres mots, auparavant réservés à des spécialistes notamment du domaine médical, ou qui étaient tombés en désuétude, sont entrés dans l’usage courant et ont envahi les conversations quotidiennes. « Personne ne parlait d »écouvillons’ avant la pandémie ! », s’exclame le linguiste. Même constat pour « hydroalcoolique », « pandémie », « asymptomatique », incubateur », « nasopharyngé ». La liste est longue.

Selon Bernard Cerquiglini, ce dynamisme exceptionnel de la langue se perçoit aussi par le faible nombre d’anglicismes qui a émergé. « Au début de la pandémie, je craignais que la prépondérance du vocabulaire médical n’entraîne la création de beaucoup d’anglicismes. Il n’en est rien ! »

« Les Français ont voulu parler leur langue », insiste-t-il. « Certes ‘cluster’ entre dans le dictionnaire, mais il en va de même pour ‘foyer de contamination’ ». Et de citer, comme autre exemple : « on parle autant de ‘tracking’ que de ‘traçage des cas-contacts’. » Si click-&-collect fait aussi son entrée dans le dictionnaire, il sera au côté de son homologue français « cliquer et collecter ». Le premier sera d’ailleurs déconseillé en faveur du second.

« S’enjailler », « nounounerie »

Outre les mots liés à la pandémie, le Larousse 2022 accueille aussi, par tradition, des mots de la francophonie et issue des langues régionales. C’est notamment le cas des termes « s’enjailler » ou de « nounounerie ». 

« ‘S’enjailler’ est une merveille », affirme Bernard Cerquiglini. Issu du nouchi, une nouvelle forme de français parlé en Côte d’Ivoire et de l’anglais « to enjoy », ce mot de plus en plus utilisé par les jeunes signifie « faire la fête, s’amuser ». 

Parmi les autres mots issus de la francophonie ou des régionalismes : « nounouneries », venu du Québec qui signifie « bêtise, stupidité » ou encore « godaille », utilisé en région Champagne et dans les Ardennes pour dire « une fête joyeuse et arrosée ». « Des mots qui prêtent souvent à sourire », résume Bernard Cerquiglini.

« Un miroir de notre société » 

« Ces 170 mots sont un miroir des changements de notre société », analyse le linguiste. « Il était évident que cette édition serait plongée dans la pandémie ». Mais ce dernier, qui participe à l’élaboration du Petit Larousse depuis une dizaine d’années, souhaite alerter sur un autre changement que met en avant cette nouvelle édition : l’usage de plus en plus courant de mots « civiques », voire « militants ». 

« Pendant quelques années, nous n’avons intégré que des mots pessimistes : ‘loup-solitaire’, ‘eurosceptique’… », se souvient-il. « Cela change. Nous avons de plus en plus de mots qui sont des miroirs des préoccupations de notre temps, comme l’écologie. L’an dernier, nous avons ainsi fait entrer ‘écoquartier’ ». Cette année, Le Petit Larousse accueillera les termes « racisé », « sous-représentation » et « sur-représentation » ou encore la définition de « harcèlement de rue. »

D’ailleurs, le mot fétiche de Bernard Cerquiglini pour cette année entre dans cette dernière catégorie : « J’adore le mot ‘consommacteur’, un consommateur qui, par ses choix d’achat, entend peser sur l’offre des producteurs. Il n’y a rien de tel qu’un joli mot-valise ! »

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