Quatre mois après la suspension de son compte, Donald Trump va-t-il à nouveau pouvoir publier sur Facebook? Le conseil de surveillance du géant des réseaux sociaux doit se prononcer sur cet épineux sujet et rendre une décision qui témoigne de l’immense pouvoir politique des plateformes dominantes.
Attendu mercredi vers 13H00 GMT, le verdict sera sans conteste l’annonce la plus importante de cette instance depuis qu’elle est entrée en fonction.
« Le raisonnement du conseil pourrait bien aider à façonner les règlements de Facebook et d’autres réseaux numériques sur la façon de traiter les dirigeants politiques et d’autres personnalités à l’avenir », souligne Elizabeth Renieris, directrice de la division d’éthique des technologies à l’université Notre Dame.
Preuve du caractère exceptionnel de ce jugement, le conseil de surveillance a décidé mi-avril de repousser la date butoir à laquelle il comptait statuer, après avoir reçu plus de 9.000 réponses pour un appel à commentaires du public, promettant de les examiner toutes « minutieusement ».
– « Jusqu’à nouvel ordre » –
Facebook a banni de sa plateforme l’ancien président américain le 7 janvier, au lendemain de l’invasion du Capitole à Washington, par une foule de ses partisans, lors de la certification de la victoire de Joe Biden à l’élection de novembre 2020.
Le groupe californien estime que le milliardaire républicain a enfreint ses règles sur l’incitation à la violence, notamment dans une vidéo où il exprimait son soutien aux émeutiers.
Le patron du réseau social, Mark Zuckerberg, a indiqué que les comptes Facebook et Instagram de M. Trump étaient bloqués « jusqu’à nouvel ordre ». Fin janvier, Facebook s’est tourné vers son conseil de surveillance pour trancher cette affaire de manière définitive.
Parfois comparé à la « cour suprême » de Facebook et qualifié d’ »indépendant » par l’entreprise, qui le finance à hauteur de 130 millions de dollars, cet organe a le pouvoir de confirmer ou d’annuler des décisions contestées de modération de contenus.
Actuellement composé de 20 membres internationaux, dont des journalistes, des avocats, des défenseurs des droits de l’homme et d’anciens hommes politiques, il a rendu en début d’année ses premiers verdicts (contraignants) et émis une série de recommandations (non-contraignantes).
Dans le cas de M. Trump, si le conseil des sages annule la suspension, Facebook disposera d’un délai de sept jours pour lui redonner accès à son compte.
– Pour, contre et partagés –
Quelle que soit la décision finale, elle sera largement critiquée.
Les fans du milliardaire accusent Facebook de censure.
Mais les entreprises privées sont libres de fixer leurs propres règles de modération. « Donald Trump peut aller sur Fox News, il a de nombreuses autres façons de s’exprimer », remarque Daniel Kreiss, professeur à l’université de Caroline du Nord.
Les partisans d’un maintien du statu quo considèrent, pour leur part, que la suspension du compte du milliardaire aurait dû intervenir bien plus tôt.
« Il utilisait Facebook et les autres plateformes pour répandre des messages clairement faux sur les processus électoraux, sapant de manière très efficace la démocratie américaine », rappelle Samuel Woolley, de l’école de journalisme de l’université du Texas.
Le chercheur mentionne aussi les attaques fréquentes contre ses détracteurs, « considérées par ses abonnés comme des indications qu’ils pouvaient eux aussi troller et harceler ces personnes ».
– De 89 à 2 millions –
D’autres plateformes ont pris des mesures contre Donald Trump après l’invasion du Capitole.
YouTube a laissé la chaîne de l’ancien président en ligne, mais l’empêche de publier de nouvelles vidéos, attendant que le « risque de violence diminue », selon sa patronne Susan Wojcicki.
Twitter – son réseau de prédilection avec près de 89 millions d’abonnés – a suspendu son compte de manière permanente et irrévocable.
Mais Jack Dorsey, le fondateur du réseau des gazouillis, avait néanmoins déploré un « échec à promouvoir une conversation saine », qui établissait un « dangereux » précédent par rapport au pouvoir détenu par les grandes entreprises.
L’ancien chef d’Etat a trouvé refuge sur le réseau Gab, ouvertement conservateur et conspirationniste, où il est suivi par 2 millions de personnes et continue de clamer sans preuve que l’élection de Joe Biden a été truquée.
L’ostracisation numérique de M. Trump a été largement saluée par les élus démocrates et la société civile américaine.
En Europe, cependant, elle a suscité des critiques d’associations et de dirigeants, dont la chancelière allemande Angela Merkel, inquiets du pouvoir des sociétés technologiques sur la liberté d’expression.
« Quelle que soit la décision, nous devrions être mal à l’aise avec l’idée que des décisions de cette nature soient prises par des entreprises non élues, qui n’ont pas à rendre de compte, et par les inspecteurs qu’elles se sont choisi », conclut Elizabeth Renieris.
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