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« La crise du Covid-19 reflète les contrastes et les contradictions de l’Inde »

Dans une ambulance à Ahmedabad (Inde), le 27 avril 2021. Dans une ambulance à Ahmedabad (Inde), le 27 avril 2021.

Correspondante du Monde à New Delhi, Sophie Landrin a répondu aux questions des internautes sur l’épidémie de Covid-19 en Inde, devenue hors de contrôle.

Tony : Est-ce vrai que de grandes manifestations religieuses il y a quelques semaines dans le pays pourraient être à l’origine de cette flambée ?

Oui, le grand pèlerinage hindou, la Kumbh Mela, à Haridwar, dans le nord du pays, a drainé plus de 25 millions de personnes depuis janvier. D’énormes foules, des milliers de gens agglutinés, sans masque… Les épidémiologistes considèrent que ce rassemblement est devenu un gigantesque cluster. Il n’a pas été interdit par les autorités. Le premier ministre, Narendra Modi, a seulement conseillé, lorsque la deuxième vague a fait des ravages, une participation « symbolique ».

Pouic : De quels leviers dispose le premier ministre, Narendra Modi ? Ça paraît compliqué de confiner plus de 1 milliard de personnes…

Narendra Modi répète depuis des semaines qu’il n’y aura pas de confinement national. Ce n’est pas une mesure compliquée à appliquer. Lors de la première vague, à partir du 25 mars 2020, les Indiens sont restés confinés pendant deux mois. Mais il s’y refuse pour protéger l’économie et incite les chefs de gouvernement à ne décider de mesures de confinement sur leur territoire qu’en dernière option. Ces derniers ne l’ont pas écouté. Beaucoup d’Etats ont choisi de confiner les grands centres urbains où les hôpitaux sont totalement débordés.

Rhum : Cette crise est-elle le reflet de ce qu’est l’Inde aujourd’hui, un colosse aux pieds d’argile ?

Oui, elle reflète ses contrastes et ses contradictions. L’Inde est le premier producteur de vaccins au monde, mais le pays souffre d’une pénurie de vaccins ; l’Inde est dotée d’excellents médecins et hôpitaux, mais le pays ne compte qu’un médecin pour 10 000 habitants. Et un médecin pour 20 000 habitants dans les régions denses et défavorisées. La moitié de la population reste extrêmement pauvre.

Amandaj : Comment fonctionne le système de santé en Inde ? Y a-t-il une sorte de « Sécurité sociale » qui assure le minimum pour tous ?

Bonjour, il n’y a pas de sécurité sociale universelle, seulement une couverture maladie pour d’infimes catégories de salariés. Les hôpitaux publics sont gratuits, mais les établissements privés, d’excellente réputation, sont très chers et inaccessibles à la quasi-totalité de la population.

Laurent : Comment se fait-il que le pays qui se déclare le premier producteur pharmaceutique au monde ait un taux de couverture vaccinale contre le Covid aussi faible ?

Cela tient en partie à la taille du pays, qui compte 1,4 milliard d’habitants. L’Inde a administré plus de 140 millions de doses, c’est beaucoup si l’on compare à la France, mais cela ne représente que 10 % de la population indienne. A ce rythme, il faudra deux ans pour vacciner l’ensemble du pays.

piertopier : L’opinion publique indienne commence-t-elle à rendre Modi responsable de la situation actuelle ?

Sur les réseaux sociaux, un grand nombre de critiques visent directement Narendra Modi et rejoignent l’opposition pour le rendre en partie responsable de la catastrophe. On lui reproche son inaction, le fait d’avoir autorisé le grand pèlerinage hindou, la Kumbh Mela, et d’avoir lui-même tenu des meetings géants au Bengale-Occidental, qu’il veut reconquérir. On lui reproche d’avoir crié victoire en janvier, assurant que l’Inde avait vaincu le virus, et d’avoir incité les Indiens à se relâcher. Et enfin, de ne pas avoir préparé le système de santé à cette deuxième vague.

Lila : A-t-on une estimation de l’impact économique de cette deuxième vague ?

Pas encore, mais la première vague de l’épidémie, avec un confinement très strict et brutal, a mis l’économie à terre. Après une chute historique de près de 24 % au premier trimestre 2020, le produit intérieur brut a connu une contraction de 7,7 % au cours de l’exercice 2020-2021. Une catastrophe pour l’Inde, car chaque mois 1 million de jeunes arrivent sur le marché du travail. Les experts, qui avaient tablé sur une forte reprise en 2021, vont sans doute revoir leurs prévisions.

Cam : La situation semble particulièrement dramatique à Delhi. Qu’en est-il ailleurs dans le pays ? Y a-t-il des régions plus ou moins épargnées ?

Tout le pays est submergé par la deuxième vague. Elle a commencé dans le Kerala (dans le sud), à la mi-février, puis a gagné le Pendjab, le Maharashtra, Delhi (nord), pour s’étendre à toutes les régions. A Calcutta, la capitale du Bengale-Occidental (est) où il y a eu des élections et des grands rassemblements politiques, le taux de positivité est de 50 %. Une personne testée sur deux est positive.

Louis : La situation continue-t-elle de s’aggraver ou se stabilise-t-elle ? Quand peut-on espérer un recul du nombre de cas ?

La situation s’aggrave de jour en jour. L’Inde recensait, mardi 27 avril, plus de 18 millions d’infections et 200 000 morts. Sur le seul mois d’avril, le pays a comptabilisé 6 millions de nouveaux cas. Mardi encore, 360 000 nouveaux cas et 3 293 morts en vingt-quatre heures. Le système de santé a totalement implosé. Les hôpitaux manquent d’oxygène, de médicaments et de lits.

Harold : La mortalité quotidienne due au Covid-19, de plus de 2 000 morts maintenant, semble bien peu pour un pays de 1,4 milliard de personnes. L’Inde possède-t-elle un institut de type Insee, qui pourrait donner une évolution plus juste de la mortalité ?

Depuis le début de l’épidémie, les experts mettent en garde contre la sous-estimation de la situation. Plusieurs raisons à cela : chaque année, des milliers de décès ne sont pas enregistrés dans le pays. Beaucoup de villages dans les montagnes ou les campagnes sont à trois ou quatre heures de route du premier centre de soins. Par ailleurs, certains Etats, pour ne pas ternir leur image, ont volontairement sous-estimé le nombre de morts et d’infections. Des épidémiologistes sérieux affirment qu’il faut multiplier les chiffres officiels par 30.

Emi : Sait-on si le variant dit « indien » est plus mortel et plus contagieux ?

Le variant dit « indien », le B.1.617, est apparu en octobre à Nagpur, dans le centre de l’Inde. Selon l’OMS, il a été détecté dans au moins 17 pays. Pour l’instant, les études n’ont pas révélé qu’il serait plus contagieux et plus dangereux ; elles ont montré que les vaccins sont efficaces pour lui faire barrage. Pour l’instant, c’est le variant britannique qui semble être le plus présent en Inde.

Hugo : Une aide internationale avait été demandée par l’Inde. Cette aide humanitaire internationale suffira-t-elle à endiguer l’épidémie au regard de la situation du pays, qui semble plus que critique ? Ça me semble bien peu lorsqu’il s’agit de soigner plus d’un milliard de personnes…

L’aide internationale, essentiellement pour fournir de l’oxygène, des respirateurs, des kits de dépistage, va répondre aux besoins les plus urgents. L’Inde souffre d’une pénurie aiguë d’oxygène. Par ailleurs, les Etats-Unis se sont engagés à envoyer des composants pour la production de vaccins, c’est très important : l’Inde en a besoin et en réclamait depuis plusieurs semaines pour pouvoir produire ses vaccins.

Jean : Qu’en est-il de la situation épidémique chez les voisins de l’Inde, le Pakistan, le Bangladesh ou le Népal ?

La situation chez les voisins de l’Inde est beaucoup plus contenue. Mais le Pakistan enregistrait au cours des derniers jours une reprise de l’épidémie. Les autorités pakistanaises ont signalé mercredi 201 décès dus au Covid-19, le bilan le plus élevé du pays pour une seule journée, et 5 292 nouveaux cas d’infection. Le pays compte au total, depuis le début de l’épidémie, 810 000 cas et 17 530 morts.

Le Monde

Source

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