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Journalistes tués : l’est du Burkina Faso, une région gangrenée par les trafiquants et les groupes terroristes

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L’Espagnol David Beriain, l’un des journalistes tués dans une embuscade au Burkina Faso, ici à Pampelune (Espagne), en septembre 2020. L’Espagnol David Beriain, l’un des journalistes tués dans une embuscade au Burkina Faso, ici à Pampelune (Espagne), en septembre 2020.

Les recherches ont été fastidieuses pour les forces de sécurité burkinabées, tant l’insécurité règne, dans l’est du Burkina Faso, sur l’axe reliant les villes de Fada et Pama, cerné par les groupes terroristes. Mardi 27 avril, les corps des trois Occidentaux – deux Espagnols et un Irlandais – disparus lundi après une attaque dans la zone, ont finalement été retrouvés morts en pleine brousse, criblés de balles.

La ministre espagnole des affaires étrangères Arancha Gonzalez Lara a confirmé la mort de deux ressortissants : les journalistes David Beriain, 43 ans, et Roberto Fraile, 47 ans. Le duo réalisait un documentaire sur la lutte contre le braconnage dans la région et suivait une patrouille composée de militaires, de forestiers et de formateurs de l’ONG américaine Chengeta Wildlife.

Poursuite d’opérations de « ratissage »

L’Irlandais, Rory Young, président et cofondateur de l’ONG, a également été tué dans l’attaque, comme l’a confirmé l’organisation sur son site Internet. Un Burkinabé était toujours porté disparu mardi soir, selon les autorités, tandis que des « opérations de ratissage » se poursuivaient.

Les deux journalistes espagnols étaient arrivés une semaine plus tôt dans la réserve de Nazinga, dans le sud du Burkina Faso, où ils suivaient la fin d’une formation de six mois pour le lancement d’une nouvelle unité de lutte antibraconnage dispensée par Chengeta Wildlife. La sortie de lundi était la première opération de l’unité sur le terrain.

Une mission consistant « à patrouiller dans la forêt et vérifier la présence de la faune, en suivant les traces des éléphants », rapporte un militaire, blessé pendant la mission et qui préfère garder l’anonymat. Selon cette même source, le groupe, parti lundi matin de Natiaboani, l’une des dernières villes avant la réserve naturelle de Pama, était composé d’une « trentaine » de militaires, de deux pick-up surmontés de mitrailleuses PKMS et d’une escorte de « douze motos ».

« Il y avait un drapeau noir »

« C’est vers 9 heures, peu après le départ, qu’on est tombé sur un camp de terroristes dans la forêt. Il y avait un drapeau noir avec une inscription en arabe, ils étaient très nombreux et très équipés », raconte ce soldat. Les djihadistes se mettent à tirer à l’arme lourde. La patrouille se retrouve prise au piège, avec les deux journalistes dans un pick-up au milieu du convoi. Les combats auraient duré environ trois heures. « Les assaillants nous ont encerclés, ils ont même pris un de nos pick-up pour nous mitrailler, on a commencé à manquer de munitions », poursuit cette même source. « Les Occidentaux sont sortis du véhicule pour tenter de fuir dans la forêt, c’est là qu’on les a perdus », indique ce dernier, ajoutant qu’un Suisse faisait également partie de la mission. Plusieurs sources sécuritaires affirment qu’il aurait été retrouvé blessé.

Ce tragique événement rappelle la dégradation de la situation sécuritaire dans toute la région de l’est du Burkina Faso, « formellement déconseillée » par les ambassades occidentales. Depuis 2018, les embuscades et les attaques à l’engin explosif s’y multiplient. Des portions entières de territoire échappent désormais au contrôle de l’Etat et les groupes armés contrôleraient l’accès à certains axes. « C’est une zone vaste, isolée et où le couvert végétal permet de se cacher facilement, l’endroit rêvé des trafiquants, des orpailleurs illégaux et des terroristes », explique une source sécuritaire.

« La zone est un nid de djihadistes, c’était connu, plus aucun homme de tenue ne prend l’axe Fada-Pama depuis plus d’un an », confie un policier local, sous couvert de l’anonymat, qui dit être obligé de « cacher son uniforme » et de prendre des routes alternatives pour se rendre dans la capitale, Ouagadougou.

« Il y a eu une mauvaise analyse des risques »

Chengeta Wildlife faisait partie d’un consortium d’ONG de préservation de l’environnement censé appuyer la création d’une unité de lutte antibraconnage impliquant des agents des eaux et forêts et l’armée burkinabée. Pour Sergio Lopez, le fondateur de Wildlife Angel, une ONG qui a formé « une cinquantaine d’éco gardes » dans l’est du Burkina Faso en 2017 et 2018, « il y a eu une mauvaise analyse des risques ». Lui-même a préféré mettre fin à son activité dans la région « à cause de la menace terroriste ».

D’abord concentrées dans le nord du Burkina Faso, frontalier du Mali et du Niger, les exactions des groupes terroristes, certains affiliés au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et à l’organisation Etat islamique au grand Sahara (EIGS), ont ensuite visé la capitale, avant de s’étendre à l’est, au nord-ouest et au centre-nord du pays. Depuis 2015, les violences djihadistes ont fait plusieurs milliers de morts et plus d’un million de déplacés. Mardi, le gouvernement a indiqué qu’une série d’attaques menées contre des villages du nord du pays dans la nuit de lundi à mardi, avaient fait une dizaine de morts.

Au Sahel, les prises d’otages d’Occidentaux sont récurrentes. En 2019, deux touristes français avaient été enlevés dans le parc de la Pendjari, à la frontière du Burkina Faso, avant d’être libérés lors d’une opération qui a coûté la vie à deux militaires français. En 2016, un couple d’Australiens avait été pris en otage à Djibo, dans le nord du pays. Jocelyn Eliot avait été remise aux autorités nigériennes un mois après son enlèvement, mais son mari est toujours porté disparu.

« On nous a promis des blindés qui ne sont jamais arrivés »

Sur son lit d’hôpital, au camp militaire Général-Aboubakar-Sangoulé-Lamizana, à Ouagadougou, un des soldats rescapés de l’attaque de lundi, est amer. « Nous avions informé à plusieurs reprises notre chef que les moyens manquaient, que nos pick-up n’étaient pas suffisants, on nous a promis des blindés qui ne sont jamais arrivés », fustige-t-il, avant de souffler : « Ce qui me fait le plus souffrir, c’est de me dire qu’avec plus de matériel, on aurait peut-être pu sauver nos frères blancs. »

David Beriain et Roberto Fraile étaient deux reporters très respectés en Espagne et particulièrement dans le cercle des correspondants de guerre. Comme journalistes indépendants, ils avaient couvert plusieurs conflits armés, en Irak, en Libye ou en Syrie, où Roberto Fraile avait d’ailleurs été blessé en 2012 à Alep. En 2018, ils avaient participé au documentaire Morir para contar (« Mourir pour raconter ») sur le travail de journaliste de guerre, diffusé sur Netflix.

Dans un communiqué publié mardi, Reporters sans frontières a dénoncé « une nouvelle tragédie pour le journalisme, dernier rappel des risques considérables auxquels sont exposés celles et ceux qui tentent d’informer dans le Sahel ».

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