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Covid-19 : comment l’Inde s’est retrouvée à court d’oxygène

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Face à l’explosion du nombre de cas de Covid-19, l’Inde se retrouve à court de l’une des plus précieuses ressources pour sauver les patients les plus gravement atteints par la maladie : l’oxygène. Pourtant, il y a un peu plus d’une semaine encore, les autorités assuraient pouvoir facilement faire face. Récit d’une situation qui a dégénéré en quelques jours seulement.

Recherche oxygène désespérément. L’Inde ne se bat pas seulement contre une deuxième vague très virulente de Covid-19 – le pays a enregistré 353 000 nouvelles contaminations au coronavirus sur la seule journée de dimanche 25 avril – mais doit aussi faire face à une grave pénurie d’oxygène en milieu hospitalier, ce qui aggrave d’autant plus la crise sanitaire, notamment pour ceux en détresse respiratoire aiguë.

« Vendredi, 25 familles de New Delhi ont appris qu’un de leurs proches était mort du Covid-19 à l’hôpital Sir Ganga Ram, probablement parce qu’il n’y avait plus suffisamment d’oxygène [pour les maintenir en état de respiration artificielle] », racontait samedi la chaîne britannique BBC.

À la limite des capacités de production

Plusieurs hôpitaux de l’Uttar Pradesh, une province du nord du pays, ont affiché un panneau à l’entrée de l’établissement indiquant qu’ils n’avaient plus assez d’oxygène pour traiter de nouveaux patients contaminés par le virus Sars-CoV-2. Un centre où on peut recharger des bonbonnes d’oxygène à Hyderabad, une ville du sud de l’Inde, s’est résolu à engager des videurs pour contenir la foule.

Les régions se livrent aussi à une vive bataille pour avoir accès à la précieuse ressource. Delhi a ainsi accusé les États voisins du Haryana et de l’Uttar Pradesh d’avoir bloqué ou détourné les camions censés transporter de l’oxygène vers la capitale indienne.

La situation est devenue si critique que plusieurs pays – dont la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni – ont promis, ce week-end, de faire acheminer en urgence de l’oxygène vers l’Inde. Et les premières cargaisons d’aide médicale britannique, dont 100 ventilateurs et 95 concentrateurs d’oxygène, sont arrivées mardi matin en Inde, a annoncé le ministère indien des Affaires étrangères.

Arindam Bagchi se réjouit des livraisons britanniques


Pourtant, il y a un peu plus d’une semaine, les autorités indiennes assuraient avoir la situation parfaitement sous contrôle. L’Inde ne consommait alors qu’un peu moins de 60 % de sa production journalière d’oxygène, qui s’élève à un peu plus de 7 200 tonnes, pour traiter les malades les plus gravement atteints par le Covid-19. Le pays disposait en outre d’un confortable filet de sécurité de 55 000 tonnes métriques de réserves d’oxygène, ajoutait le gouvernement.

Mais tout a changé en quelques jours alors que le virus s’est propagé beaucoup plus vite qu’anticipé par le gouvernement. Mercredi, la demande quotidienne atteignait les 8 000 tonnes, ont reconnu les autorités devant la Cour suprême de Delhi, qui a enjoint le Premier ministre indien, Narendra Modi, de mettre en place un plan d’urgence pour faire face à la pénurie.

« Les réserves nationales d’oxygène s’épuiseront en seulement deux mois si elles sont intégralement utilisées pour combler la différence entre la production et la demande », a calculé le site indien d’investigation Scroll.in. Une estimation qui ne vaut, en outre, que si l’Inde réussit, par miracle, à stabiliser du jour au lendemain le nombre quotidien de nouveaux cas journaliers de contamination et d’admissions à l’hôpital.

Cauchemar logistique

Mais « la production n’est qu’une partie du problème. Transporter l’oxygène depuis les usines de fabrication jusqu’aux lits d’hôpitaux est un défi encore plus grand », souligne Saket Tiku, directeur de l’All India Industrial Gases Manufacturers’ Association (l’union indienne des producteurs de gaz), interrogé par le quotidien The Indian Express.

D’abord parce que certaines des provinces les plus touchées par la pandémie, comme Delhi, Bihar ou Madhya Pradesh, n’ont que peu de capacités propres de production d’oxygène. Elles dépendent d’usines situées parfois à des milliers de kilomètres pour leur approvisionnement quotidien.

Et c’est là que le bât blesse. Le pays ne dispose, officiellement, que de 1 172 camions équipés pour acheminer l’oxygène liquide à bon port. C’était largement suffisant pour les besoins d’avant la pandémie, lorsque « la demande quotidienne d’oxygène médical plafonnait entre 300 et 400 tonnes, mais avec la hausse des besoins, le nombre de conteneurs doit être fortement revu à la hausse et ça ne se fait pas du jour au lendemain », affirme un industriel du secteur, sous couvert d’anonymat, au site Scroll.in.

Le gouvernement a commencé à reconvertir des camions utilisés pour transporter d’autres gaz, comme l’argon ou le nitrogène, afin de leur permettre d’acheminer de l’oxygène. Mais cela prend du temps. Et le temps est une denrée dont les hôpitaux manquent presque autant que d’oxygène.

Depuis le 22 avril, des trains – baptisés « Oxygen Express » – transportent également des conteneurs d’oxygène pour éviter les ralentissements liés à la circulation sur les routes indiennes. Des avions de l’armée ont aussi été mis à contribution pour transporter les camions vides et leur faire rejoindre au plus vite les sites de production d’oxygène, raconte la BBC.


En désespoir de cause, certains États se sont résolus à des solutions radicales. Ainsi, des hôpitaux de fortune doivent voir le jour dans la province de Maharashtra à proximité de six centrales thermiques qui produisent de l’oxygène. Ces centres de soins temporaires seront directement reliés aux usines pour récupérer l’oxygène, a assuré le ministère de la Santé de cet État de l’ouest du pays.

Où sont les générateurs d’oxygène promis ?

Mais même lorsque l’oxygène arrive à destination, ce n’est pas la fin des problèmes. Tous les hôpitaux du pays ne sont, en effet, pas suffisamment équipés pour stocker tout l’oxygène dont ils ont besoin chaque jour.

Le gouvernement s’est attiré de vives critiques pour ne pas avoir mieux anticipé ce problème. Il y avait pourtant déjà eu des pénuries en oxygène lors de la première vague, rappelle la BBC. À l’époque, les autorités avaient annoncé un ambitieux programme de création de petits générateurs d’oxygène qui devaient être accolés aux hôpitaux du pays. Mais l’attribution des contrats pour les construire a traîné en longueur. À tel point que seuls 33 de ces générateurs sur plus de 160 promis ont été construits, a reconnu le gouvernement la semaine dernière.

Ces installations n’auraient probablement pas suffi pour faire face à la pénurie actuelle d’oxygène. Mais le fait qu’elles n’existent presque pas et que Narendra Modi en soit réduit à accepter une aide d’urgence d’autres pays pour lui fournir de l’oxygène est un cinglant aveu d’échec pour un homme politique qui avait fait du « made in India » le principal mantra de son action politique.

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