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Au Cameroun, les régions anglophones « restent enfermées dans un cycle de violence meurtrière »

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Des forces de sécurité encadrent une manifestation d’écoliers, de parents d’élèves et d’enseignants après une tuerie dans une école à Kumba, dans la région du Sud-Ouest, au Cameroun, le 25 octobre 2020. Des forces de sécurité encadrent une manifestation d’écoliers, de parents d’élèves et d’enseignants après une tuerie dans une école à Kumba, dans la région du Sud-Ouest, au Cameroun, le 25 octobre 2020.

La guerre s’enlise au Cameroun anglophone, dans les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest, où des groupes séparatistes continuent de s’opposer aux forces de défense et de sécurité camerounaises. Massacres dans les écoles, villages incendiés, kidnappings, viols : ces derniers mois ont été marqués par une recrudescence des violences.

Les civils sont les principales victimes de cette crise qui a débuté en 2016 par des revendications corporatistes d’enseignants et d’avocats. Plus de 3 500 personnes ont déjà été tuées et plus de 700 000 autres ont été contraintes de prendre la fuite vers le Nigeria ou les provinces francophones du pays.

Pour mettre un terme à cette spirale meurtrière, Ilaria Allegrozzi, chercheuse au sein de l’ONG Human Rights Watch pour l’Afrique centrale et de l’Ouest, exhorte la communauté internationale à « prendre ses responsabilités » et préconise « des sanctions ciblées » contre les séparatistes et les militaires camerounais coupables d’exactions.

Quelle est la situation actuelle dans les deux régions anglophones du Cameroun ?

Elles restent enfermées dans un cycle de violence meurtrière. La crise s’est aggravée et la situation humanitaire est préoccupante. Les ONG humanitaires ont un accès limité aux zones les plus affectées. Les violences continuent avec des attaques régulières tant de la part des séparatistes que des forces de sécurité dans les zones rurales et urbaines. Pour résumer, il y a sur place beaucoup de souffrances, de destructions et la population est fatiguée et affaiblie par quatre années de violence.

Pourquoi l’accès humanitaire est-il limité ?

Déjà, il y a les barrages routiers des séparatistes et les checkpoints des militaires qui compliquent l’accès. Surtout, le gouvernement craint toute observation et évaluation extérieure de ce qui se passe en zone anglophone. Les ONG humanitaires et de défense des droits humains pourraient être témoins des violences perpétrées par les séparatistes, mais aussi par les forces de sécurité, ainsi que du fait que la situation n’est pas sous contrôle. Le gouvernement n’a pas intérêt à laisser voir tout cela

Ce conflit n’est-il pas en train de générer une crise scolaire irréparable ? D’après l’Unicef, plus de 800 000 enfants sont privés d’éducation à cause de cette guerre depuis quatre ans…

C’est probablement le secteur le plus affecté par les violences, même s’il n’est pas le seul. Les séparatistes ont utilisé l’école comme une arme pour atteindre leur objectif politique [la crise a débuté en 2016 avec un appel au boycott des écoles et les établissements scolaires sont régulièrement la cible d’attaques]. Les enfants sont dans la rue, ils ne vont plus à l’école, ils sont privés de leur droit fondamental à l’éducation. Ils deviennent la proie des sécessionnistes, des criminels. Ils peuvent décider, pour soutenir leur famille, de combattre avec des séparatistes.

Au moins deux enseignants kidnappés par les séparatistes en 2018 et 2019 m’ont dit qu’ils avaient été amenés dans deux camps dans la brousse, dans le Sud-Ouest. Ils ont remarqué que, parmi leurs kidnappeurs, il y avait des jeunes hommes qui avaient l’air d’avoir moins de 18 ans.

D’autres enseignants m’ont parlé d’une multiplication des grossesses précoces. Toute une génération est en train d’être sacrifiée. Un enseignant m’a dit une phrase qui m’a frappée : « Ces quatre ans ont fait perdre aux enfants plus de dix ans d’éducation. » J’ai également discuté avec une dizaine d’enseignants qui ont perdu leur travail. Leurs écoles ont été brûlées, détruites. Certains ont dû fuir à cause des menaces dont ils ont fait l’objet.

Les ONG nationales et internationales dénoncent l’impunité dont bénéficient les auteurs – séparatistes ou membres de forces de sécurité – des exactions. En 2020, le procès de trois militaires accusés d’avoir tué une vingtaine de civils à Ngarbuh s’est ouvert à Yaoundé. Une première depuis le début de ce conflit. Est-ce suffisant ?

Ce procès [toujours en cours] est extrêmement important et emblématique, car le gouvernement avait d’abord nié la responsabilité de l’armée, préférant se lancer dans une campagne de diffamation et de dénigrement des médias et des ONG qui avaient dénoncé le massacre. Maintenant qu’il a fait demi-tour, il doit considérer que les médias, les organisations de défense des droits humains, la société civile, ne sont pas des ennemis mais des alliés.

Pour faire en sorte que cette avancée soit réelle, il faut s’assurer que ce procès soit équitable, ouvert au public, que tous les participants (avocats, victimes, familles) soient convaincus que leur sécurité sera garantie. Il faut ensuite que les responsables de ces meurtres, y compris ceux qui ont ordonné le massacre, soient condamnés, parce que les conclusions de l’enquête gouvernementale n’établissent pas les responsabilités de manière suffisante. Elles n’incriminent que des soldats de rang inférieur et omettent que ces derniers ont agi sous les ordres de leur hiérarchie.

Ngarbuh n’est pas un cas isolé. Il y a beaucoup d’autres victimes d’abus, de la part des militaires mais aussi des séparatistes. Ce procès représente un progrès substantiel, mais il ne suffit pas. Il s’agit juste d’un premier pas dans la lutte contre l’impunité.

Que faire pour stopper cette spirale de la violence et mettre fin à ce conflit ?

Le gouvernement ne s’est engagé que de manière superficielle pour trouver une solution durable et inclusive à cette crise. Les leaders des groupes séparatistes ont eu des positions très radicales et n’ont pas voulu négocier. Les initiatives de dialogue de la Suisse n’ont pas abouti à des résultats concrets et c’est pourquoi, aujourd’hui, on reste coincé dans ce cycle de violence.

Il est vraiment temps pour la communauté internationale de prendre ses responsabilités pour affronter la crise, en reconnaître l’ampleur et s’engager à la résoudre. L’Union africaine, jusqu’à présent, a globalement gardé le silence. Il faut des sanctions ciblées : des gels d’avoirs, l’interdiction de voyager tant pour les leaders des groupes séparatistes que pour les membres des forces de défense et sécurité et les autorités camerounaises qui sont responsables de crimes.

La communauté internationale devrait comprendre qu’un Cameroun instable est néfaste pour toute la région. D’autant que les pays voisins sont eux aussi minés par l’instabilité, entre la guerre en Centrafrique et les violences de Boko Haram qui ébranlent le bassin du lac Tchad (Nigeria, Tchad).

Source

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