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Le Sertao, « polygone de la sécheresse » et royaume des damnés de la terre du Brésil

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Par Bruno Meyerfeld

Publié aujourd’hui à 00h29

Dans le Nordeste, la misère a une couleur et une texture : celles de la boue. Les murs de la maison de torchis de Jasinta Helena Gomes da Silva, cernée de poubelles et de broussailles, en sont recouverts. Ici, la pluie s’infiltre par le toit, des serpents se faufilent parfois sous les lits défaits, la résignation sue le long des parois humides, renforcées de branches de bois. « J’ai vécu là-dedans toute ma vie », soupire la maîtresse des lieux, âgée de 73 ans.

Jacinta Helena Gomes da Silva (73 ans), dans sa maison de terre à Cuixabeira, une colonie pauvre de quilombola près de la municipalité de Mirandiba, Etat de Pernambouc, le 24 février 2021.Jacinta Helena Gomes da Silva (73 ans), dans sa maison de terre à Cuixabeira, une colonie pauvre de quilombola près de la municipalité de Mirandiba, Etat de Pernambouc, le 24 février 2021.

Le dénuement a toujours fait partie du quotidien dans sa communauté de Quixabeira Helena, fondée par des descendants d’esclaves sur une colline voisine d’une décharge publique. L’endroit compte une centaine d’habitants. Tous vivent sous le seuil de pauvreté, une large majorité est analphabète.

Mais ces temps-ci, la situation ne cesse d’empirer. « Ça fait huit mois que je n’ai pas touché ma retraite, poursuit Jasinta. Ma fille de 31 ans habite toujours chez moi, avec deux enfants à charge. Elle n’arrive pas à obtenir la Bolsa Familia [“bourse famille”, une aide d’Etat à destination des plus démunis], les programmes de construction de logements neufs sont à l’arrêt… » La crise sanitaire a asséché le peu de travail disponible. Il a fallu couper dans le maigre budget, renoncer à la viande rouge et au goûter des enfants. « Il faut se battre à nouveau pour mettre à manger sur la table », déplore la Nordestine.

La maison de terre (casa de taipa) de Jacinta Helena Gomes da Silva à Cuixabeira, le 24 février 2021.La maison de terre (casa de taipa) de Jacinta Helena Gomes da Silva à Cuixabeira, le 24 février 2021.
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A l’image de Quixabeira Helena, c’est tout le Sertao, cette vaste zone semi-aride du Nordeste, qui souffre et angoisse. La région endure tout à la fois la crise économique, accentuée par le Covid-19, et la politique du président Jair Bolsonaro. Des années durant, du temps du Parti des travailleurs (PT), elle fut pourtant choyée par le pouvoir : le Sertao est le fief et le berceau de l’ancien chef de l’Etat Luiz Inacio Lula da Silva, désormais plus que probable candidat au scrutin de 2022 après l’annulation de l’ensemble de ses condamnations en justice.

Le malheur, le Sertao y est certes habitué. Dans ce « polygone de la sécheresse », grand comme deux fois la France – il traverse huit Etats, du Ceara à Bahia en passant par le Pernambouc –, le Brésil des côtes, gras et humide, paraît bien loin. A la forêt tropicale succède la caatinga, cette rêche et ingrate « forêt blanche », en langue indigène tupi-guarani, où le long des pistes poussiéreuses tout brûle, tout pique, tout rappelle la mort. Les broussailles sont couleur de cendres, les cactus géants ont des airs de gibets.

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