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La pandémie de Covid-19, élément mobilisateur de la contestation au Sénégal

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Un partisan de l’opposant sénégalais Ousmane Sonko lors des manifestations demandant sa libération, à Dakar, le 8 mars 2021. Un partisan de l’opposant sénégalais Ousmane Sonko lors des manifestations demandant sa libération, à Dakar, le 8 mars 2021.

Le Sénégal vient-il d’ouvrir le bal des protestations politiques engendrées par la crise sanitaire ? Le raccourci est évidemment trop rapide, l’explication trop simpliste. Mais la pandémie de Covid-19 a cependant été un accélérateur de l’histoire.

Sur l’autoroute qui mène du nouvel aéroport Blaise-Diagne à Dakar, Abou a repris le chemin du travail. Une semaine plus tôt, il jetait des pierres pour exprimer sa colère contre « le recul de la démocratie, la mauvaise gestion de Macky Sall, sa soumission à la France et aux entreprises étrangères, sans bénéfice pour le Sénégalais lambda ». A 32 ans, avec deux enfants à charge et une deuxième année d’étude de géographie en pointillé, son travail de chauffeur est une nécessité. Depuis l’arrivée du coronavirus, il y a un an, l’économie s’est figée, le tourisme s’est effondré. Abou est passé d’une dizaine de courses par semaine à quatre par mois.

Cisko, Ibrahima et Ndiouga sont eux aussi partis manifester lorsque l’opposant Ousmane Sonko a été arrêté, le 3 mars, sur la route du palais de justice où il devait répondre à des accusations de viol. Aujourd’hui, les trois voisins âgés de 25 à 30 ans ne cherchent plus à converger vers la place de la Nation pour défendre une tradition démocratique que le Sénégal brandit fièrement, mais à joindre les deux bouts dans leur quartier de Parcelles assainies.

Ibrahima raconte sa « rage » d’habiter encore avec son père, ses frères et sœurs et de ne gagner quotidiennement que 5 000 francs CFA (7,60 euros) quand « on doit payer chaque mois un loyer de 115 000 francs CFA pour un trois-pièces ». Ses formations en infographie puis en restauration ne lui ont jamais permis de trouver un travail. « Pour ça, il faut être pistonné », pense-t-il. Alors il est devenu livreur, mais la période de couvre-feu ouverte le 23 mars 2020 a été fatale à ses revenus.

Un geste d’apaisement

Un an après avoir imposé de premières mesures restrictives, comme le monde entier ou presque, les autorités sénégalaises ont suspendu l’état d’urgence sanitaire, vendredi 19 mars à minuit. Dans un geste d’apaisement très politique, le président Macky Sall avait déjà ramené, le 8 mars, le couvre-feu de minuit à 5 heures.

Depuis le 6 janvier et l’apparition d’une seconde vague de contaminations, de nouvelles mesures avaient été imposées pour Dakar et Thiès, la deuxième ville du pays. Parmi elles, la fermeture des boutiques et de tous les commerces à 21 heures. Un drame pour les acteurs de l’économie informelle qui déjà avaient dû faire face à une première vague de restrictions du 23 mars au 30 juin 2020.

Ndiouga, licencié en droit mais qui a arrêté ses études pour s’occuper de sa fille, a ouvert un commerce d’accessoires de téléphonie et de transfert d’argent avec un associé. « Mais avec les frais, on gagne chacun à peine 150 000 francs CFA par mois, alors que nous travaillons sept jours sur sept, de 8 à 22 heures », se plaint-il. Car c’est la nuit venue que les petits boutiquiers et les vendeurs de brochettes font le gros de leur activité.

Le tout premier couvre-feu, au printemps 2020, avait été parfois contesté. La police avait fini par répliquer. Quelques récalcitrants ont été roués de coups par les forces de l’ordre. « Parmi les jeunes qui ont affronté la police après l’arrestation d’Ousmane Sonko, certains avaient envie d’une petite revanche », reconnaît Fadel Barro, l’une des figures de « Y en a marre », l’un des mouvements à la pointe de la mobilisation.

Les frustrations engendrées par l’épidémie ont été d’autant plus vivement ressenties qu’elles se sont nourries d’autres colères, plus politiques celles-là. La restriction progressive de l’espace démocratique après les condamnations d’opposants comme Karim Wade, le fils de l’ancien président, ou de Khalifa Sall, l’ex-maire de Dakar ; l’impression que la justice agit comme le bras armé d’un pouvoir qui traque ses opposants jusqu’au dernier ; le flou volontairement entretenu par le président sur l’éventualité d’un troisième mandat dans un pays attaché au jeu démocratique… ont été des éléments déterminants.

« Sonko a été l’étincelle »

Les violences ont fait treize morts selon l’opposition, dix selon la présidence. Lors des émeutes – qui se sont arrêtées le 8 mars –, des dizaines de magasins ont été pillés. « Ousmane Sonko a été l’étincelle, mais il a été dépassé par l’ampleur des manifestations. Il faut reconnaître que ces émeutes étaient aussi des émeutes de la faim. Le secteur privé est sinistré. Le deuxième confinement a été le coup de grâce pour beaucoup de commerçants et on a vu aussi dans des quartiers plus nantis des fonctionnaires participer aux pillages des supermarchés », explique Alioune Tine, à la tête du centre de réflexion Afrikajom Center.

La catastrophe sanitaire annoncée il y a un an ne s’est pas produite. Dans son communiqué du 19 mars, le ministère de la santé et de l’action sociale recensait, sur les 37 541 cas déclarés depuis le début de la pandémie, 1 003 décès, dont huit ce dernier jour. Mais le désastre économique est en revanche patent, selon l’économiste Demba Moussa Dembélé.

« Il y a un an, notre gouvernement a paniqué, a parlé comme en Europe de guerre, mais avec les interdictions de circuler entre régions, la fermeture des frontières et le couvre-feu, notre économie a été mis en congés, dit-il. Le président a fait adopter un plan de 1 000 milliards de francs CFA mais où 60 % des ressources devaient venir de l’extérieur. La diaspora, dont les versements représentent entre 10 et 12 % du PIB, fait aussi face à ses propres problèmes. Le monde rural, en dehors du secteur de l’arachide, a été sinistré, comme le tourisme. En septembre 2020, déjà 85 % des familles interrogées par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie expliquaient que leurs conditions de vie s’étaient dégradées. Rien que pour le premier semestre 2020, on a recensé 2 millions de pauvres supplémentaires et 40 000 personnes ont perdu leur emploi. »

Le chômage des jeunes, en particulier, est une bombe à retardement, toujours prête à exploser dans les rues ou à se noyer en mer. Du côté des autorités, si on explique à juste titre que la pandémie de Covid-19 a créé « un ébranlement collectif », on considère également qu’en dépit d’un taux de croissance ramené de 6 à 1,5 %, « les performances du Sénégal sont à saluer ». « La mobilisation s’est faite sur le mal-être d’une jeunesse qui voit son avenir s’inscrire en pointillé et vit un quotidien sans relief », estime Seydou Gueye, le porte-parole du gouvernement, avec la volonté de sortir ce mouvement de colère du champ politique. C’est là qu’il est peut-être le plus explosif.

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