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Dans le nord de la Bosnie, la police évacue régulièrement les squats de la ville de Bihac pour envoyer les migrants qui y vivent un peu plus loin, à Lipa. Mais très peu veulent rester dans ce camp provisoire isolé et surpeuplé.
Le bout de route qui mène à l’usine désaffectée de Krajina Metal, à Bihac, dans le nord de la Bosnie, résonne des aboiements d’une horde de chiens errants qui en a fait son territoire. À l’écart du centre-ville, ils partagent ici la vie des centaines de personnes migrantes qui ont trouvé refuge dans cet ensemble de bâtiments abandonnés.
Sur le sol du vaste site, les ordures se mêlent à la boue. Toutes les fenêtres des bâtiments ont disparu et le toit de certains d’entre eux s’est effondré.
Les exilés se sont installés dans les parties les moins abîmées. Les plus grands espaces leur servent à se réunir autour d’un feu, les plus petits à dormir. Dans l’obscurité de la petite pièce qu’il partage avec neuf autres personnes, Abdullah, 26 ans, explique que l’humidité et la fumée le font beaucoup souffrir. Ce jeune Afghan qui vit en Bosnie depuis six mois a conservé des poumons fragiles malgré trois opérations subies en Afghanistan.
Les quatre fenêtres de la pièce où il dort ont été bouchées par des bâches et le sol est recouvert d’un tapis sale et de vêtements abandonnés. Au fond de cette chambre de fortune, une petite tente permet à certains d’avoir un petit plus chaud la nuit. « La vie ici est infernale », décrit laconiquement le jeune homme au regard doux. À ses côtés, Gholestan estime que les exilés vivent « comme des animaux ».
« Nous nous sommes mis en marche dès notre descente du bus »
Pourtant, lorsque la police a, une nouvelle fois, évacué le squat il y a deux semaines pour emmener ses résidents dans le camp de Lipa, à une trentaine de kilomètres de Bihac, les deux jeunes Afghans ont préféré revenir ici. « Nous nous sommes mis en marche pour revenir à Bihac dès que nous sommes descendus du bus », raconte Abdullah.
Pour les 8 000 migrants qui vivent en Bosnie, ce pays pauvre des Balkans n’est qu’une étape sur la route vers l’Europe de l’ouest. Le plus important pour eux est de rester le plus proche possible de la frontière croate pour tenter le « game » – le passage vers la Croatie – autant de fois que nécessaire.
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Le camp de Lipa, situé sur une plaine ventée en haut d’une colline qui surplombe la vallée de Bihac, les éloigne un peu de leur but, de la frontière. Le 17 mars, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a dénombré 935 migrants dans ce camp géré par les autorités bosniennes. Mais le nombre de résidents évolue sans cesse, prévient l’association No Name Kitchen. Entre Bihac et le camp, les allers-retours sont constants.
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La route en lacets qui permet de rejoindre Lipa depuis Bihac est d’ailleurs bordée de petits groupes d’hommes qui marchent en files indiennes, enroulés dans des couvertures ou des serviettes de toilette. À pied, le trajet prend près de cinq heures. Ils partent à Bihac tenter le passage, ou bien ils en reviennent après un nouvel échec.
Nouveau centre en juin
Avec les récentes chutes de neige, les grandes tentes blanches de la Croix-Rouge installées à l’entrée du camp de Lipa se fondent dans la plaine immaculée. La camionnette de police stationnée à l’entrée du camp tient à l’écart les journalistes qui voudraient y pénétrer. L’autorisation d’entrée est délivrée par le ministère des Affaires des étrangers mais les réponses positives aux demandes d’accès sont rares.
Incendié le 23 décembre dernier après l’annonce de sa fermeture, le camp a hébergé pendant plusieurs semaines des centaines de migrants dans le dénuement le plus total. Alors que l’OIM et l’Union européenne réclamaient l’ouverture d’un nouveau camp adapté aux conditions hivernales, des désaccords au sein de la classe politique bosnienne ont empêché le relogement des migrants.
Le gouvernement a finalement opté pour la construction d’un centre en dur sur le site du camp actuel. « Les travaux devrait débuter début avril et nous espérons qu’il puisse être ouvert début juin », a affirmé Laura Lungarotti, cheffe de mission de l’OIM en Bosnie, à InfoMigrants.
« Plusieurs jours sans chauffage »
Pour le moment, les conditions de vie restent extrêmement précaires dans le camp qui n’est pas relié aux réseaux d’eau et d’électricité.
L’armée bosnienne a installé en janvier des tentes chauffées mais les radiateurs dépendent de l’alimentation en essence d’un générateur. « Parfois nous restons plusieurs jours sans chauffage », affirme Bagram, un Afghan de 24 ans qui vit depuis huit mois à Lipa.
Dans sa tente, il dort avec plus de 30 autres personnes et, même serrés ainsi, la place manque dans le camp. Rencontré sur l’une des routes qui mènent à Lipa, Bagram raconte que des personnes ont été autorisées à dormir dans la mosquée la plus proche.
Pourtant, pour lui, les problèmes de nourriture et d’accès à l’eau potable sont les plus difficiles. « Nous ne recevons pas assez d’eau potable, nous devons boire de l’eau non potable et après nous sommes tous malades », confie le jeune homme dont le visage disparaît derrière le masque sanitaire et les bords de sa cagoule.
Bagram retourne à Lipa. Quelques instants plus tard, deux hommes enroulés dans des couvertures rose et blanche, eux, quittent le camp en marchant côte à côte. Wajid et son ami d’enfance ont été renvoyés en Bosnie par la police croate après six jours de marche. Après une nuit à Lipa, ils repartent de nouveau à pied pour Bihac retrouver le squat où ils avaient l’habitude de dormir avant leur départ. « Dans 15 jours, si le temps est meilleur, nous essayerons encore de passer », assure Wajid.
Sur le bord de la route, leurs silhouettes rapetissent puis disparaissent dans le paysage blanc. Dans cinq heures environ, ils seront à Bihac.
Julia Dumont, envoyée spéciale à Bihac.
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