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Avec la Chine, Joe Biden marche dans les pas de Donald Trump, sauf pour la méthode

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Si les relations sino-américaines se sont nettement dégradées sous la présidence de Donald Trump, la rencontre entre le nouveau secrétaire d’État américain Antony Blinken et son homologue chinois ne devrait pas désamorcer les tensions. Comme sous l’ancienne administration, l’équipe de Joe Biden lie étroitement la stratégie vis-à-vis de la Chine à la politique intérieure américaine.

Américains et Chinois réunis autour de la même table. Le tête-à-tête était attendu. Il s’agit de la première rencontre d’importance entre les deux premières puissances économiques depuis la prise de fonction de Joe Biden. Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, et le conseiller de la Maison Blanche pour la sécurité nationale, Jake Sullivan, doivent échanger jeudi 18 mars avec le plus haut responsable du Parti communiste chinois (PCC) pour la diplomatie, Yang Jiechi, et le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi.

La rencontre intervient dans un contexte de vives tensions bilatérales entre Pékin et Washington sur plusieurs points, parmi lesquels la situation à Hong Kong, les droits de l’Homme, la rivalité technologique et l’espionnage, ou encore le traitement de la minorité ouïghoure au Xinjiang.

À quelques heures du grand rendez-vous, Pékin a assuré que « tous les sujets ser[aie]nt mis sur la table », tout en prévenant qu’elle « ne fera[it] aucun compromis sur des sujets concernant sa souveraineté, sa sécurité et ses intérêts ».

En tournée en Asie depuis mardi, Antony Blinken a affiché, quant à lui, sa fermeté face à Pékin, douchant l’espoir d’une réconciliation soudaine avec les Chinois. Avant de quitter Tokyo pour Séoul, il a accusé la Chine de se montrer de plus en plus répressive sur son sol, et « de plus en plus agressive à l’étranger ».

Pour Maya Kandel, spécialiste des États-Unis et chercheuse associée à l’Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, les États-Unis sous l’ère Biden comptent bien se donner les moyens de remporter la compétition dans laquelle ils sont engagés avec la Chine. En cela, la politique étrangère du nouveau président américain est dans la droite ligne de celle de Donald Trump, renvoyant à des enjeux de politique intérieure américaine. Mais la méthode diffère.

France 24 : Quelle stratégie de l’administration Biden se profile à travers ces premières déclarations du secrétaire d’État américain et sa tournée dans la région (Japon, Corée du Sud) ?

Maya Kandel : Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a qualifié la compétition avec la Chine de « plus grand défi géopolitique du XXIe siècle ». Lors de son audition au Congrès le 19 janvier, puis à nouveau lors de son premier discours de politique étrangère le 3 mars, Antony Blinken précisait que la Chine est le seul pays en compétition avec les États-Unis dans tous les domaines à la fois, diplomatique, militaire, économique et technologique. Pékin ne cesse d’affirmer que Washington (et l’Occident en général, l’Europe incluse) sont en déclin. La réponse de l’administration Biden est que les États-Unis entendent gagner cette compétition, et donc s’en donner les moyens.

Le premier sommet du Quad indopacifique (États-Unis, Inde, Australie, Japon) [qui s’est tenu le 12 mars] est aussi un symbole fort de la volonté de la nouvelle administration d’aborder avec les alliés régionaux les défis posés par la Chine dans la région, de la coercition économique chinoise sur l’Australie aux tensions frontalières avec l’Inde, mais aussi les incursions chinoises dans les eaux japonaises, et le comportement de Pékin vis-à-vis de Taïwan, de Hong Kong, et de la région du Xinjiang. Sur le plan stratégique, l’inquiétude principale concerne Taïwan et plus largement une rupture du statu quo régional à l’initiative de Pékin. D’où la volonté américaine de renforcer les alliances dans le Pacifique, et l’importance du Japon, allié numéro un en Indopacfique, qui a eu droit à la première visite officielle de Washington [le 16 mars].

La réunion en Alaska aujourd’hui, proposée par Washington, est la première à un niveau aussi élevé sous la présidence Biden : il s’agit de montrer que les États-Unis entendent bien continuer à jouer un rôle de premier plan dans la région, en coordination avec le Quad. Il s’agit aussi de rétablir des mécanismes de dialogue formels et de « stabiliser la compétition » selon l’expression de Blinken, après la période Trump et ses tweets parfois peu coordonnés voire contradictoires avec la stratégie de son administration.

Les attaques politiques de la nouvelle administration américaine ne cachent-elles pas les enjeux économiques avec la Chine ? Voire d’autres domaines de rivalité ?

Il n’y a rien de caché ici, et les déclarations de la nouvelle administration sont avant tout une réponse aux affirmations chinoises d’un déclin des États-Unis et de l’Occident en général. La rivalité économique et technologique est une dimension essentielle de la compétition entre les États-Unis et la Chine.

Il y a une volonté de répondre par une stratégie « géoéconomique » américaine aux pratiques chinoises. Comme sous la présidence Trump, la sécurité économique est considérée comme de la sécurité nationale. Cela doit s’entendre à deux niveaux : autonomie et leadership des industries américaines pour certains domaines clés ; relocalisation ou protection des emplois industriels américains, dont beaucoup ont disparu depuis deux décennies, en particulier dans les États clés pour la présidentielle américaine. D’où l’idée, après le plan de relance Covid, d’une autre loi très ambitieuse qui viserait à contrer la Chine en renforçant la compétitivité américaine par des investissements massifs dans les secteurs technologiques clés, des semi-conducteurs à la 5G et 6G, en passant par les technologies vertes.

Tout cela découle du mot d’ordre de Biden et de son conseiller à la sécurité nationale, qui est de faire une « politique étrangère pour les classes moyennes ». Les stratèges démocrates qui peuplent l’administration Biden sont marqués par le choc de l’élection de Trump et celui de l’ascension chinoise. Ils considèrent que le néolibéralisme, qui a accéléré la montée en puissance de la Chine sur la scène internationale et nui aux emplois industriels des classes moyennes et populaires américaines, a aussi causé l’élection de Donald Trump.

En quoi la stratégie de Joe Biden dans la région est-elle finalement différente de celle de son prédécesseur Donald Trump ?

Le tournant de la politique américaine sous Donald Trump se serait sans doute produit avec n’importe quelle administration américaine, car il résulte avant tout d’un tournant de la politique chinoise depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping. C’est pourquoi, dans ce domaine, la continuité sur la tonalité générale de la politique chinoise de Washington l’emporte entre l’administration Biden et celle de son prédécesseur. Mais il y a aussi une importante différence de méthode.

L’administration Biden souhaite renforcer la position américaine dans cette compétition par des mesures intérieures fortes, notamment de politique industrielle et technologique. Autre grand principe qui diffère de Trump : travailler avec les alliés et partenaires asiatiques et européens des États-Unis, sur le plan stratégique, mais aussi plus largement pour réinvestir les organisations internationales, où le vide créé par Trump a été souvent comblé ces quatre dernières années par la Chine. L’administration Biden entend bien utiliser et illustrer le principal avantage des États-Unis sur la Chine, leur réseau d’alliances et de partenaires, considérés comme les principaux « multiplicateurs de puissance » à l’international. Au-delà, il s’agit aussi de sortir de la vision trumpienne d’un jeu à somme nulle, qui reposait sur l’unilatéralisme, pour proposer une alternative économique, technologique et stratégique à l’expansionnisme chinois. Ce que propose désormais Washington va plus loin, c’est une politique asiatique, indopacifique, et pas seulement chinoise.

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