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L’occupation du théâtre de l’Odéon, un combat d’artistes “pour faire converger les luttes”

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Une quarantaine d’artistes occupent depuis dix jours le théâtre de l’Odéon à Paris pour réclamer notamment le retrait de la réforme de l’assurance-chômage. Au-delà de leur combat pour la culture, leur but est de fédérer d’autres luttes sociales. Reportage.

« Ça n’arrête pas ! » Un nouveau lieu vient d’être ajouté sur le tableau listant les salles occupées en France, et la quarantaine d’artistes qui occupent le théâtre de l’Odéon à Paris depuis le 4 mars semblent avoir du mal à y croire. Déjà 24 autres salles de spectacle ou théâtres sont occupés, en ce samedi 13 mars, à travers la France. Un chiffre qui gonfle d’heure en heure, signe d’un mouvement qui essaime.

« C’est bien que d’autres suivent. Voir qu’il y a un effet boule de neige nous aide à tenir et nous pousse à continuer la lutte, estime Jennifer Catelain, une comédienne de 35 ans. Les conditions de vie sont un peu précaires ici et le rythme est hyper fatiguant, donc c’est important d’être soutenus. »

À l’image de ses camarades, cette comédienne mère de deux enfants n’a pas hésité à se joindre au mouvement lorsque l’idée d’occuper l’Odéon a été lancée. « Même si ce n’est pas facile car j’ai des enfants et une vie de famille, c’est important de se mobiliser pour la culture et surtout pour les jeunes, qui n’ont pas encore de statut et sont exclus des aides. »

Touché de plein fouet par la pandémie de Covid-19, le monde de la culture reste sans perspective de jours meilleurs. Les occupants de l’Odéon réclament notamment le retrait de la réforme de l’assurance-chômage, la prolongation de l’année blanche – qui correspond à l’allongement des droits d’indemnisation jusqu’au 31 août 2021 pour les intermittents arrivant en fin de droits entre le 1er mars 2020 et le 31 août 2021 – et la réouverture des lieux culturels.

Leur organisation est faite pour durer. Les artistes ont pris possession du « foyer du public » le temps de l’occupation. Des commissions – communication, logistique, ravitaillement, banderoles, etc. – ont été créées. Des stocks de nourriture, de produits d’hygiène et de vêtements, achetés grâce à une cagnotte en ligne, sont répartis sur des tables. Les tours de garde pour les nuits à venir sont affichés au bar. De même que les règles de vie commune, en particulier celles concernant les horaires des douches. En face, les statues de Racine et Corneille sont affublées de drapeaux syndicaux : la première porte celui de l’Union nationale des syndicats d’artistes musiciens de France (Snam), la seconde celui du Syndicat national des professionnels du théâtre et des activités culturelles (Synptac).

« Notre mouvement est directement lié à la crise sanitaire, mais plus encore que la réouverture des salles, notre revendication première, c’est le retrait de la réforme de l’assurance-chômage qui va couper les aides aux plus précaires alors qu’ils n’ont pas pu travailler depuis un an », explique Joachim Salinger, comédien de 42 ans, représentant syndical de la CGT Spectacle.

« Il faut bien comprendre que ce théâtre vit grâce aux intermittents du spectacle, mais aussi grâce aux non-permanents qui assurent son fonctionnement, abonde Farida Taher, 52 ans, documentariste à Radio France sous le statut d’intermittent. Il y a des agents de sécurité, des femmes de ménage, des serveurs pour la restauration… De nombreuses personnes dont le travail est précaire et lié à la culture. Or, elles seront directement affectées par cette réforme de l’assurance-chômage. »

« Créer un mouvement spectaculaire »

La direction du théâtre de l’Odéon n’a pas souhaité faire expulser les occupants. Ceux-ci sont tolérés dans une partie du théâtre, permettant au metteur en scène Christophe Honoré et à ses comédiens de poursuivre les répétitions de leur spectacle, « Le Ciel de Nantes ». En attendant que celui-ci puisse être joué, c’est à l’extérieur que se trouve désormais la scène.

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« Tous les jours, à partir de 14 h, nous tenons une agora, raconte Joachim Salinger. C’est l’occasion d’échanger avec le public qui se masse sur la place. Nous parlons de notre combat et nous invitons les représentants d’autres luttes à s’exprimer. Occuper l’Odéon nous donne non seulement la capacité de créer un mouvement spectaculaire, mais aussi de fédérer. »

Ces défenseurs de la culture jouent ainsi la carte de la convergence des luttes. « Dans le sillage de l’occupation des ronds-points, nous occupons l’Odéon ! », lance au micro, face aux 200 personnes présentes ce samedi, la principale animatrice de cette agora, en référence au mouvement des Gilets jaunes. Suivent de nombreuses interventions. Les Rosies, notamment, qui se sont fait connaître durant les grèves contre la réforme des retraites, expriment leur soutien et font leur chorégraphie sur la chanson « À cause de Macron ». Il y a aussi Fatou Dieng, la sœur de Lamine Dieng, mort en 2007 à la suite d’un plaquage ventral effectué dans un fourgon de police à Paris. Elle parle des violences policières, de son collectif, Vies volées, de son combat pour que justice soit rendue, de l’État qui, selon elle, a fini par reconnaître sa responsabilité en indemnisant sa famille en 2020.

Observant l’agora depuis la fenêtre du foyer qui surplombe la place de l’Odéon, tout en tenant à jour la liste des lieux occupés, Lean retrouve un parfum de Nuit debout. Ce mouvement était né place de la République lors des manifestations contre la loi Travail en 2016. Ses initiateurs voulaient alors imaginer un nouveau modèle de société.

« Il y a chaque jour des dizaines d’associations qui viennent prendre la parole. On utilise le théâtre pour faire converger les luttes et on voit que cela fonctionne. Le mouvement a pris avec une telle force que j’espère qu’on va finir par se faire gentiment déborder », témoigne ce pianiste d’une trentaine d’années.

« Pousser un cri de révolte »

Mais l’agora, c’est aussi l’occasion de chanter, de danser et même de vibrer, lorsque le comédien Matthieu Marie, 47 ans, s’adresse à la foule depuis la terrasse située au dernier étage du théâtre. Sans micro, les cheveux dans le vent, il fait l’éloge du combat en cours : « Rarement peut-être les théâtres auront été aussi ouverts », clame-t-il, avant de descendre sur la place pour lire un texte d’Antonin Artaud, « Le théâtre et la Peste ».

« C’est un texte qui résonne bien avec la pandémie que nous vivons, explique-t-il. Antonin Artaud y fait le récit d’une longue peste au Moyen-Âge durant laquelle les gens cessent de respecter les cadres, notamment de la morale. Il fait un parallèle avec les interdictions répétées, à travers l’Histoire, du théâtre, coupable d’atteinte aux mœurs. Les poètes n’expliquent pas, ne donnent pas de réponse, mais ils parviennent à faire écho à ce que l’on vit, à toucher du doigt des questions que nous ne parvenons pas à formuler. »

Depuis un an, Matthieu Marie vit dans l’attente, se préparant pour de futurs projets qui ne cessent d’être reportés. « Comme je travaille surtout au théâtre, je suis passé de beaucoup de travail la saison précédente à pas de travail du tout, déplore-t-il. Cette pandémie met en évidence et accentue les inégalités et les aberrations d’un système qui s’est emballé tout seul. Comme toujours, les plus fragiles sortiront encore plus fragiles de cette crise. Nous sommes là pour pousser un cri de révolte car il y a un lien profond de précarité sociale et humaine entre les artistes et les plus précaires de nos sociétés capitalistes. »

Le public, resté en nombre malgré la pluie, savoure. Il y a des Parisiens de passage dans le quartier, curieux de toute cette agitation, mais aussi et surtout d’autres artistes qui soutiennent le mouvement depuis l’extérieur, et en particulier de nombreux jeunes.

« Aujourd’hui, je n’ai aucune perspective et j’ai l’impression de m’être engagé dans une voie qui n’est pas prise au sérieux. C’est très violent de se rendre compte que la culture n’est pas si importante dans la société que ce que je pensais », se désole Matthias, 24 ans, qui a terminé sa formation de comédien au printemps dernier et qui vit depuis un an de « petits jobs ».

Dix jours après le début de l’occupation du théâtre de l’Odéon et alors que 32 lieux de culture étaient occupés à travers le pays, dimanche 14 mars en milieu de journée, le gouvernement ne semble pas prêt à bouger, en particulier sur la réforme de l’assurance-chômage.

La ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, qui a jugé « inutiles » et « dangereuses » ces occupations, a débloqué jeudi 20 millions d’euros supplémentaires d’aides. Pas suffisant, selon le syndicaliste Joachim Salinger, pour qui le mouvement doit continuer à prendre de l’ampleur.

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