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« Mon dessin montre la dévastation. La Syrie est détruite, plus rien n’y est à sa place »

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Publié aujourd’hui à 13h44

Dix ans après le début de la guerre, accéder à la Syrie est devenu difficile pour les journalistes et les photographes. A la censure imposée par le régime et son allié russe, se sont greffées des restrictions aux frontières contrôlées par la Turquie et l’Irak. La peur qui bâillonne les Syriens est un autre obstacle quasi infranchissable. Comment, dès lors, montrer la Syrie ; provoquer la rencontre nécessaire au reportage, à l’enquête ?

A défaut d’enclencher le dialogue sur le terrain du réel, nous avons décidé de publier des dessins d’enfants originaires de Deraa, de Rakka, d’Alep ou d’ailleurs. Les partager, c’est rendre à la jeunesse un peu de son droit à l’expression – liberté qu’elle avait revendiquée avec panache, en 2011 – et explorer sa version de l’histoire.

Jamal a fui Alep quand il avait « 5 ou 6 ans ». C’est en canot pneumatique qu’il arrive en Grèce, où il est désormais demandeur d’asile. Il a 12 ans, en 2020, quand il réalise ce dessin « sur la guerre » avec l’aide d’un autre enfant, Ahmad, « ami palestinien » du camp : « Mon dessin montre la dévastation. La Syrie est détruite ; plus rien n’y est à sa place, comme les couleurs dans ce dessin. »Jamal a fui Alep quand il avait « 5 ou 6 ans ». C’est en canot pneumatique qu’il arrive en Grèce, où il est désormais demandeur d’asile. Il a 12 ans, en 2020, quand il réalise ce dessin « sur la guerre » avec l’aide d’un autre enfant, Ahmad, « ami palestinien » du camp : « Mon dessin montre la dévastation. La Syrie est détruite ; plus rien n’y est à sa place, comme les couleurs dans ce dessin. »

Durant ce conflit, aucune des violences (bombardements, combats, détention, torture…) infligées aux adultes n’a été épargnée aux enfants. Les plus jeunes ont été la cible de massacres de représailles à caractère ethnique, de kidnappings et de détention pour rançonner ou faire plier leurs aînés.

Leur rôle ne se limite pas à celui de victime. En inscrivant sur le mur d’une école le premier slogan révolutionnaire, ils furent des initiateurs du soulèvement populaire, des acteurs dans les manifestations, des enfants-soldats. Partout et toujours, les témoins directs de la guerre et de l’exil.

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Ces dessins, réalisés entre 2012 et 2020 dans des écoles syriennes ou dans des camps de réfugiés en Jordanie, en Turquie ou en Grèce, ont rejoint le corpus de « Déflagrations », un projet qui a pour mission de sauvegarder et de montrer ces regards uniques, portés sur les conflits en Syrie et dans le monde depuis la première guerre mondiale. Une partie de ces archives est actuellement exposée au Mucem, à Marseille, et publiée dans le catalogue « Dessins d’enfants et violences de masses », sous la direction de Zérane S. Girardeau (coédition Mucem-Lienart, 2021). En s’exprimant, les enfants syriens – au même titre que les adultes – encourent toutes sortes de châtiments. Leur anonymat a donc été préservé.

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Mystérieux ou remarquablement précis, leurs traits de crayon mêlent des éléments aussi disparates qu’une fleur et une scène de décapitation. Des atrocités connues, mais la question n’est pas là. Chaque parent le sait : l’enfant ne conserve qu’exceptionnellement son dessin. Celui-ci est offert, confié, ou déposé à qui voudra bien le regarder. Ce que ces dessins interrogent, c’est notre réceptivité, notre responsabilité, une fois dépositaires de leur mémoire.

Dessin réalisé en 2012 par une enfant syrienne (son âge exact n’est pas connu) dans un camp de réfugiés situé à Antakya, ville turque proche de la frontière avec la Syrie. A droite de la mosquée détruite, la bannière des personnages qui font face à la mitraille porte la mention manuscrite : « Le peuple veut la chute du régime ».Dessin réalisé en 2012 par une enfant syrienne (son âge exact n’est pas connu) dans un camp de réfugiés situé à Antakya, ville turque proche de la frontière avec la Syrie. A droite de la mosquée détruite, la bannière des personnages qui font face à la mitraille porte la mention manuscrite : « Le peuple veut la chute du régime ».
Ce dessin a été réalisé par une adolescente de 17 ans, dans un atelier situé dans l’est d’Alep, en 2014. A cette époque, les quartiers orientaux de la ville, sous contrôle de l’opposition, sont la cible de bombardements quotidiens des avions et hélicoptères du régime.Ce dessin a été réalisé par une adolescente de 17 ans, dans un atelier situé dans l’est d’Alep, en 2014. A cette époque, les quartiers orientaux de la ville, sous contrôle de l’opposition, sont la cible de bombardements quotidiens des avions et hélicoptères du régime.
Dessin réalisé par une fille de 14 ans, dans un atelier d’expression graphique, à Alep, au cours de l’été 2013. C’est au cours de cette période que les forces armées de l’opposition se lancent à l’assaut de la ville. Mal équipés, les rebelles parviennent néanmoins à s’imposer en quelques jours dans les quartiers de l’est et du centre de la ville, détruisant ou s’emparant au passage de plusieurs chars du régime.Dessin réalisé par une fille de 14 ans, dans un atelier d’expression graphique, à Alep, au cours de l’été 2013. C’est au cours de cette période que les forces armées de l’opposition se lancent à l’assaut de la ville. Mal équipés, les rebelles parviennent néanmoins à s’imposer en quelques jours dans les quartiers de l’est et du centre de la ville, détruisant ou s’emparant au passage de plusieurs chars du régime.
Haïdar a réalisé ce dessin en 2012 à Rakka. Il est alors âgé de 11 ans et sa ville, à l’image de nombreuses cités de Syrie, est le théâtre de manifestations que le régime réprime à coup de « bombes-barils », larguées par des hélicoptères militaires. En entrant en collision, ces barriques rouillées, pleines d’explosifs, de clous, de verre et de shrapnels provoquent des carnages parmi les civils. L’une d’elle est tombée sur la maison d’Haïdar, le tuant avec un frère, une sœur, sa mère enceinte, un oncle, une tante et leurs deux enfants. Son père, Moussa, et l’un de ses frères, absents ce jour-là, ont survécu et sont restés à Rakka. En 2014, la ville tombait aux mains de l’Etat islamique. Moussa, artiste, n’a plus eu le droit de peindre. Daech a détruit tous ses tableaux.Haïdar a réalisé ce dessin en 2012 à Rakka. Il est alors âgé de 11 ans et sa ville, à l’image de nombreuses cités de Syrie, est le théâtre de manifestations que le régime réprime à coup de « bombes-barils », larguées par des hélicoptères militaires. En entrant en collision, ces barriques rouillées, pleines d’explosifs, de clous, de verre et de shrapnels provoquent des carnages parmi les civils. L’une d’elle est tombée sur la maison d’Haïdar, le tuant avec un frère, une sœur, sa mère enceinte, un oncle, une tante et leurs deux enfants. Son père, Moussa, et l’un de ses frères, absents ce jour-là, ont survécu et sont restés à Rakka. En 2014, la ville tombait aux mains de l’Etat islamique. Moussa, artiste, n’a plus eu le droit de peindre. Daech a détruit tous ses tableaux.
C’est dans une école d’Alep qu’un jeune garçon (son âge exact est inconnu) a réalisé ce dessin, en 2013, année qui voit le destin de la métropole basculer irrémédiablement. Elle débute avec le massacre, en janvier, de 147 civils retrouvés mains liées et une balle dans la tête sur les berges du Qoueiq, qui traverse la ville. Avec les manifestations, les funérailles se multiplient. A l’été, la ville est scindée en deux, de part et d’autre du fleuve. La rive est passée sous le contrôle de l’opposition jusqu’à sa défaite, en décembre 2016.C’est dans une école d’Alep qu’un jeune garçon (son âge exact est inconnu) a réalisé ce dessin, en 2013, année qui voit le destin de la métropole basculer irrémédiablement. Elle débute avec le massacre, en janvier, de 147 civils retrouvés mains liées et une balle dans la tête sur les berges du Qoueiq, qui traverse la ville. Avec les manifestations, les funérailles se multiplient. A l’été, la ville est scindée en deux, de part et d’autre du fleuve. La rive est passée sous le contrôle de l’opposition jusqu’à sa défaite, en décembre 2016.
Dessin réalisé, en 2015, par un garçon de 13 ans, dans une école d’Alep située en zone contrôlée par l’opposition. L’uniforme du soldat arbore le drapeau syrien du régime, inspiré du nationalisme arabe (deux étoiles entre les bandes rouge et noir). Quant aux révolutionnaires, ils se sont réapproprié le drapeau national d’avant le coup d’Etat militaire du parti Baas, en 1963, qui marqua l’avènement de la dynastie des Assad.Dessin réalisé, en 2015, par un garçon de 13 ans, dans une école d’Alep située en zone contrôlée par l’opposition. L’uniforme du soldat arbore le drapeau syrien du régime, inspiré du nationalisme arabe (deux étoiles entre les bandes rouge et noir). Quant aux révolutionnaires, ils se sont réapproprié le drapeau national d’avant le coup d’Etat militaire du parti Baas, en 1963, qui marqua l’avènement de la dynastie des Assad.
Ce personnage à la tête rouge, qui brandit le sabre en montant la garde devant une fenêtre grillagée a été dessiné par un garçon de 11 ans, dans une école d’Alep située dans un quartier contrôlé par l’opposition, en 2015.  Après la défaite des forces du régime, à l’été 2012, l’est de la cité vit sous les bombardements quotidiens et les menaces  de l’organisation Etat islamique (EI) qui tentent de s’y implanter. Les kidnappings et l’exécution de civils, notamment des jeunes activistes de la révolution, se multiplient. Les djihadistes seront finalement chassés au terme d’une semaine de combats acharnés, menés par une coalition de brigades rebelles. Dans le QG abandonné par l’EI dans sa fuite seront retrouvés les cadavres de 70 habitants d’Alep.Ce personnage à la tête rouge, qui brandit le sabre en montant la garde devant une fenêtre grillagée a été dessiné par un garçon de 11 ans, dans une école d’Alep située dans un quartier contrôlé par l’opposition, en 2015.  Après la défaite des forces du régime, à l’été 2012, l’est de la cité vit sous les bombardements quotidiens et les menaces  de l’organisation Etat islamique (EI) qui tentent de s’y implanter. Les kidnappings et l’exécution de civils, notamment des jeunes activistes de la révolution, se multiplient. Les djihadistes seront finalement chassés au terme d’une semaine de combats acharnés, menés par une coalition de brigades rebelles. Dans le QG abandonné par l’EI dans sa fuite seront retrouvés les cadavres de 70 habitants d’Alep.
« Des filles sont mortes. On coupe nos têtes », peut-on lire sous la traînée bleue du ciel. Ce dessin est l’œuvre d’une fille de 8 ans, originaire de Deraa, dans le sud de la Syrie. Il a été réalisé, en 2016, dans un camp de réfugiés en Jordanie. Beaucoup d’enfants syriens aujourd’hui réfugiés, rappelle Médecins Sans Frontières, ont assisté « aux décapitations de civils par les membres de Daech ».« Des filles sont mortes. On coupe nos têtes », peut-on lire sous la traînée bleue du ciel. Ce dessin est l’œuvre d’une fille de 8 ans, originaire de Deraa, dans le sud de la Syrie. Il a été réalisé, en 2016, dans un camp de réfugiés en Jordanie. Beaucoup d’enfants syriens aujourd’hui réfugiés, rappelle Médecins Sans Frontières, ont assisté « aux décapitations de civils par les membres de Daech ».
Dessin réalisée par Ayah, enfant syrienne dont l’âge exact n’est pas connu, dans la ville turque de Gaziantep, en 2014, où elle a trouvé refuge. L’impuissance et l’effroi s’incarnent dans une silhouette, privée de parole et aux yeux exorbités, tournant le dos à une maison sans porte, seulement dotée de fenêtres grillagées de rouge. Et une fleur…Dessin réalisée par Ayah, enfant syrienne dont l’âge exact n’est pas connu, dans la ville turque de Gaziantep, en 2014, où elle a trouvé refuge. L’impuissance et l’effroi s’incarnent dans une silhouette, privée de parole et aux yeux exorbités, tournant le dos à une maison sans porte, seulement dotée de fenêtres grillagées de rouge. Et une fleur…
Cette description de Rakka, capitale syrienne de l’organisation Etat islamique (EI) de 2013 à 2017, a été dessinée, en 2019, par une de ses habitante, âgée de 12 ans. Sous l’avion qui crache des bombes, à droite, est représentée la place Al-Naïm, où se tenaient les exécutions publiques et où étaient exposées les têtes coupées, ainsi que les drapeaux noirs de l’EI. Au centre, le véhicule porte sur son flanc l’inscription manuscrite « police des mœurs ».Cette description de Rakka, capitale syrienne de l’organisation Etat islamique (EI) de 2013 à 2017, a été dessinée, en 2019, par une de ses habitante, âgée de 12 ans. Sous l’avion qui crache des bombes, à droite, est représentée la place Al-Naïm, où se tenaient les exécutions publiques et où étaient exposées les têtes coupées, ainsi que les drapeaux noirs de l’EI. Au centre, le véhicule porte sur son flanc l’inscription manuscrite « police des mœurs ».
« Les détenus dans la prison » a écrit sur son dessin un garçon d’Alep, âgé de 11 ou 12 ans. Jusqu’à la prise de l’est de la ville, à l’été 2012, par les forces de l’opposition, les manifestants sont arrêtés en masse. La torture quasi systématique est alors érigée par le régime en arme stratégique pour insuffler la terreur parmi les habitants. Les empreintes sanglantes représentées ici évoquent le supplice de la falaqa, bastonnade de la plante des pieds. Dessin collecté en 2014 dans un atelier.« Les détenus dans la prison » a écrit sur son dessin un garçon d’Alep, âgé de 11 ou 12 ans. Jusqu’à la prise de l’est de la ville, à l’été 2012, par les forces de l’opposition, les manifestants sont arrêtés en masse. La torture quasi systématique est alors érigée par le régime en arme stratégique pour insuffler la terreur parmi les habitants. Les empreintes sanglantes représentées ici évoquent le supplice de la falaqa, bastonnade de la plante des pieds. Dessin collecté en 2014 dans un atelier.
Dernier né d’une fratrie de huit, l’auteur de ce dessin a fui la Syrie avec sa famille, en 2012, en Jordanie. Admis dans le centre de santé mentale d’Irbid, il est âgé de 8 ans, en 2017, quand une équipe de Médecins Sans Frontières lui propose de dessiner « un rêve ». L’enfant a acquiescé, puis saisi ses crayons. Une fois le dessin fini, voici ce qu’il leur a dit : « C’est une porte et une voiture. Nous revenons dans notre pays. Je me souviens de la porte. Elle était bleue. Je suis dans la voiture, avec toute ma famille. »Dernier né d’une fratrie de huit, l’auteur de ce dessin a fui la Syrie avec sa famille, en 2012, en Jordanie. Admis dans le centre de santé mentale d’Irbid, il est âgé de 8 ans, en 2017, quand une équipe de Médecins Sans Frontières lui propose de dessiner « un rêve ». L’enfant a acquiescé, puis saisi ses crayons. Une fois le dessin fini, voici ce qu’il leur a dit : « C’est une porte et une voiture. Nous revenons dans notre pays. Je me souviens de la porte. Elle était bleue. Je suis dans la voiture, avec toute ma famille. »

Animation d’un dessin réalisé en 2012 par un garçon syrien âgé de 8 ans, réfugié en Turquie.

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