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La société du XXIe siècle ? Balzac l’a déjà écrite

Dans la salle de réunion aseptisée d’un cabinet de conseil, interroger un spécialiste de l’évaluation des entreprises sur un romancier disparu depuis 170 ans pourrait paraître incongru. Mais Alexis Karklins-Marchay, directeur général délégué et associé du cabinet Eight Advisory, n’est pas un consultant comme les autres : esprit encyclopédique, il connaît aussi bien l’histoire de la pensée économique, à laquelle il a consacré des ouvrages, que la philosophie des Lumières ou les moralistes français du XVIIe siècle.

Cette fois, c’est en lisant un roman qu’il a eu une révélation, celle de l’étonnante modernité de La Comédie humaine, l’œuvre monumentale d’Honoré de Balzac. Pendant trois ans, il lui a consacré toutes ses soirées et week-ends, lisant les 91 romans qui la composent et en extrayant une passionnante synthèse, Notre monde selon Balzac (éd. Ellipses). Son lecteur sera impressionné par tout ce que le romancier annonce sur notre société actuelle : méfaits de la bureaucratie et de la centralisation, toute-puissance des banquiers, collusion de la presse avec les milieux d’affaires, élitisme du système éducatif, nécessaire émancipation des femmes…

Petit précis d’économie

« Il y a trois ans, je ne connaissais presque rien de Balzac, à part Le Père Goriot, que j’avais lu au collège et dont j’avais gardé un assez

nseil, interroger un spécialiste de l’évaluation des entreprises sur un romancier disparu depuis 170 ans pourrait paraître incongru. Mais Alexis Karklins-Marchay, directeur général délégué et associé du cabinet Eight Advisory, n’est pas un consultant comme les autres : esprit encyclopédique, il connaît aussi bien l’histoire de la pensée économique, à laquelle il a consacré des ouvrages, que la philosophie des Lumières ou les moralistes français du XVIIe siècle.

Cette fois, c’est en lisant un roman qu’il a eu une révélation, celle de l’étonnante modernité de La Comédie humaine, l’œuvre monumentale d’Honoré de Balzac. Pendant trois ans, il lui a consacré toutes ses soirées et week-ends, lisant les 91 romans qui la composent et en extrayant une passionnante synthèse, Notre monde selon Balzac (éd. Ellipses). Son lecteur sera impressionné par tout ce que le romancier annonce sur notre société actuelle : méfaits de la bureaucratie et de la centralisation, toute-puissance des banquiers, collusion de la presse avec les milieux d’affaires, élitisme du système éducatif, nécessaire émancipation des femmes…

Petit précis d’économie

« Il y a trois ans, je ne connaissais presque rien de Balzac, à part Le Père Goriot, que j’avais lu au collège et dont j’avais gardé un assez mauvais souvenir à cause de ses descriptions interminables, explique Alexis Karklins-Marchay. J’ai alors découvert Le Médecin de campagne après avoir lu quelques propos lumineux sur l’économie extraits de cet ouvrage. J’ai été sidéré. En racontant comment le docteur Benassis a réussi à redynamiser un misérable village du Dauphiné, non seulement Balzac écrit un formidable plaidoyer en faveur de la liberté du commerce, mais il donne aussi un mode d’emploi précis du développement d’un territoire : diversification, montée en gamme, ouverture à l’exportation… »

Naissance du marketing

L’associé d’Eight Advisory décide alors de lire « les 30 ou 40 romans qui comptent ». Il dévore Illusions perdues, « son plus grand chef-d’œuvre », savourant sa critique du journalisme et son analyse en profondeur d’un secteur économique, l’imprimerie. Enthousiaste, il poursuit avec César Birotteau, l’histoire d’un parfumeur parisien ruiné dans des spéculations immobilières. Ce « martyr de la probité commerciale » est aussi un entrepreneur de génie qui a l’idée, « l’oréalienne » avant l’heure, de faire approuver son « Huile céphalique » par l’Académie des sciences et de placarder dans Paris des milliers d’affiches pour la promouvoir. « Le lecteur a l’impression d’assister à la naissance du marketing et de la publicité », s’enthousiasme le spécialiste de l’évaluation des marques.

Au fil de ses lectures naît l’idée d’en tirer un livre. « Au départ, je voulais faire “Balzac à Bercy”, une anthologie qui se serait limitée à l’économie dans La Comédie humaine, explique le consultant. Mais je me suis dit qu’il serait dommage de passer à côté de toutes ses réflexions géniales sur les Français, leur obsession pour l’égalité, leur culte de l’apparence, leur problème avec l’autorité. J’aurais dû aussi passer sous silence ses réflexions sur la société, par exemple sur l’élitisme de notre système éducatif, qu’il juge néfaste, une problématique toujours actuelle. »

Pyramide de Ponzi

Après avoir lu tous ses romans supposés les plus importants, Alexis Karklins-Marchay décide d’aller jusqu’au bout, de lire La Comédie humaine en entier ! Car même les romans « mineurs » contiennent des pépites. Dans La Maison Nucingen, par exemple, le lecteur découvre les secrets de l’immense fortune d’un des personnages clés de l’œuvre, le baron Nucingen. Ce richissime banquier a notamment fait une faillite frauduleuse basée sur le principe de la « pyramide de Ponzi », mécanisme plus récemment remis au goût du jour par l’escroc américain Bernard Madoff. La critique de la « haute banque » y est impitoyable.

« Balzac exècre la finance spéculative, ce qui lui vaudra l’admiration d’Engels et des marxistes, mais il donne aussi dans d’autres récits une vision plus positive des banquiers, nuance Alexis Karklins-Marchay. Dans L’Envers de l’histoire contemporaine, il présente l’exemple d’une banque qui fait son métier avec intégrité, la maison Mongenod. A travers la société secrète des Frères de la consolation, qui prête aux pauvres sans intérêts, il y découvre même le microcrédit ! »

La lecture d’un autre roman méconnu, Les Employés, permet de comprendre les racines d’un « mal français », la bureaucratie, sujet dont Challenges a récemment fait sa couverture. Xavier Rabourdin, chef de bureau au ministère des Finances, y conçoit un plan audacieux pour rendre l’administration plus efficace, tout en réformant la fiscalité. « Pour lui, il devrait y avoir moins de fonctionnaires, mais mieux payés, ce qui reste une piste intéressante », s’amuse Karklins-Marchay. Aidé par une mémoire que l’on devine exceptionnelle, le consultant pourrait nous parler des heures de toutes les réformes imaginées par le romancier, de la justice, de la santé, des impôts…

Monde d’entrepreneures

« Comme le disait Baudelaire, Balzac était avant tout un visionnaire », assure-t-il. Parmi les nombreuses « visions » de l’écrivain, son féminisme étonne. Balzac défend l’indépendance de la femme et pourfend le patriarcat. Nombreuses sont dans La Comédie humaine les entrepreneures, à l’image d’Eve Séchard dans Illusions perdues, redressant l’imprimerie familiale.

« C’est dans un de ses romans les plus poignants, La Femme de trente ans, que l’on trouve l’expression la plus forte de ce féminisme, assure Karklins-Marchay. Dans une scène extraordinaire, face à un vieux curé qui l’exhorte à “ obéir à la société”, l’héroïne, Julie d’Aiglemont, mariée à un bel officier qui la brutalise, défend le droit des femmes à l’indépendance et au désir. Elle compare même le mariage à une prostitution légale ! » L’entretien se termine. Nous n’avons qu’une envie : lire ou relire La Comédie humaine. Balzac, à nous deux !

Making of
Signé Alexis Karklins-Marchay, associé du cabinet de conseil Eight Advisory, Notre monde selon Balzac vient de paraître (Ellipses, 520 pages, 25 euros). Rendez-vous est pris avec l’auteur, le 22 février, dans les locaux du cabinet, à Paris, non loin de la rue où l’écrivain mourut en 1850, aujourd’hui la rue Balzac.

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