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Est-ce parce qu’Angus Deaton avait reçu, cette année-là, le prix Nobel d’économie pour ses travaux antérieurs sur l’extraordinaire enrichissement de l’Occident au XIXe siècle (La Grande Evasion, PUF, 2015) ? Toujours est-il que l’article qu’il publie avec sa collègue à l’université de Princeton, Anne Case, le 8 décembre 2015, dans la prestigieuse revue scientifique de l’Académie nationale des sciences américaines attirera tant d’attention qu’il engendrera − ce n’est pas si fréquent pour une publication académique − un scandale politique, puis judiciaire.
Une plongée dans les statistiques de santé leur permettait en effet de démontrer que le taux de mortalité des Américains blancs « non hispaniques » âgés de 45 à 54 ans était en hausse constante depuis 1999, à l’inverse de celui des autres catégories de population. La cause la plus massive − mais pas la seule − de cet inquiétant phénomène était la prescription massive par les médecins d’antalgiques contenant des substances addictives − les opioïdes ou opiacés.
Reportages et témoignages se multiplient alors dans les médias, et les plaintes en justice des particuliers, des municipalités et des Etats commencent à pleuvoir contre les laboratoires pharmaceutiques suspectés d’avoir promu en connaissance de cause des médicaments à terme mortels. C’est le plus grand scandale sanitaire de l’histoire américaine.
Mise sur la sellette pour son laxisme, la Food and Drug Administration (FDA) vire de bord et commence à interdire certains médicaments, en juin 2017. En mai 2018, le Congrès auditionne les labos. En 2019, Purdue, fabricant de l’OxyContin, verse 270 millions de dollars (225 millions d’euros) à l’Etat d’Oklahoma pour éteindre les poursuites, mais Johnson & Johnson est condamné à payer 572 millions de dollars à ce même Etat. Les feuilletons judiciaires sont loin d’être terminés.
Paru en 2020 aux Etats-Unis, Deaths of Despair and the Future of Capitalism (Morts de désespoir. L’avenir du capitalisme, PUF, 2021, 412 pages, 25 euros) résume et élargit les travaux qu’Angus Deaton et Anne Case ont publiés.
Votre livre explique les causes de la forte hausse de la mortalité d’une partie de la population américaine à partir de 1999, que vous qualifiez d’« épidémie de morts de désespoir », bien avant l’épidémie actuelle de Covid-19. Quelles sont la nature et l’ampleur de ce phénomène ? Qui en sont les victimes ?
Nous définissons comme « morts de désespoir » les décès par suicide, maladie alcoolique du foie et overdose accidentelle de drogue. L’essentiel de la hausse des décès s’est produit après que la FDA a autorisé l’usage de l’OxyContin, et qu’après celui-ci, d’autres opiacés ont commencé à être prescrits massivement comme antalgiques. A une époque, on prescrivait tellement d’opiacés que chaque Américain adulte aurait pu se traiter pendant un mois.
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L’article Angus Deaton : « Le Covid-19 disparaîtra mais l’épidémie de “morts de désespoir” va sans doute continuer » est apparu en premier sur zimo news.