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Reconnaissance de l’assassinat d’Ali Boumendjel par la France : en Algérie, beaucoup d’autres familles « attendent la vérité sur leurs enfants disparus »

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A Alger, le 4 mars 2021. A Alger, le 4 mars 2021.

« L’audace d’un président » , « Un petit pas dans la bonne direction ». Jeudi 4 mars, la presse francophone algérienne saluait « le nouveau geste » d’Emmanuel Macron après la reconnaissance, la veille, de la responsabilité de la France dans l’assassinat du militant nationaliste Ali Boumendjel le 23 mars 1957. « Jamais un président français n’a été aussi loin dans le dossier mémoriel », reconnaît le journal L’Expression.

« C’est un immense soulagement », a déclaré de son côté au quotidien Liberté, Farid Boumendjel, fils de l’avocat assassiné, qui souhaite voir cette reconnaissance s’étendre « à d’autres familles algériennes qui attendent la vérité sur leurs enfants disparus, torturés et assassinés ». Dans les colonnes d’El Watan, l’historien Fouad Soufi appelle à faire des listes des « martyrs » dans chaque ville et village. « Maintenant, c’est à nous de faire le travail (…) C’est à nous d’établir qui ils ont tué et dans quelles conditions ils ont commis ces crimes », détaille l’universitaire, qui appelle régulièrement à ouvrir les archives en France comme en Algérie.

Moins de deux mois après la publication du rapport de l’historien Benjamin Stora, qui recommandait un certain nombre de gestes mémoriels dont la reconnaissance par la France de l’assassinat d’Ali Boumendjel, l’annonce faite par l’Elysée mardi a été plutôt mieux accueillie en Algérie que le rapport lui-même. Elle relance surtout l’exigence de vérité pour les autres victimes dont la disparition n’a jamais été élucidée.

« En cette même année 1957, des centaines d’autres Algériens ont subi le même sort qu’Ali Boumendjel, certes ils n’étaient ni avocats, ni ami de René Capitant (juriste et homme politique, ancien professeur de droit d’Ali Boumendjel) et leur disparition n’a pas fait la une des journaux », écrit le chercheur en histoire, Hosni Kitouni. « Seraient-ils moins dignes de reconnaissance, leurs cas ne relèvent-ils pas des mêmes pratiques et des mêmes horreurs coloniales ? », questionne celui dont le père a été abattu par l’armée française le 17 octobre 1957, dans la région du Constantinois.

« Spéculations et aberrations »

Parmi les dossiers souvent évoqués figure le sort réservé à Larbi Ben M’hidi, militant nationaliste dont la mort, dans la nuit du 3 au 4 mars 1957, a elle aussi été maquillée en suicide, comme l’avait confirmé le général français Paul Aussaresses dans un livre paru en 2001. Dans son communiqué du 2 mars, l’Elysée précise que « ce geste de reconnaissance » n’est pas « un acte isolé ». « Avec Maurice Audin et aujourd’hui Ali Boumendjel, je pense que nous sommes au début d’un processus de reconnaissance des crimes de guerre, en tout cas je l’espère », avance l’historien Amar Mohand Amer.

En septembre 2018, Emmanuel Macron admettait que Maurice Audin, jeune militant communiste pour l’indépendance algérienne avait été assassiné par des soldats français en 1957, au plus fort de la bataille d’Alger. A l’époque, le président français avait remis une déclaration à sa veuve, Josette Audin, reconnaissant que son époux était « mort sous la torture du fait du système institué alors en Algérie par la France » et demandé « pardon ».

« Cette décision est importante sur le plan politique et symbolique dans le sens où la France officielle, par la voix de son président, reconnaît deux choses importantes. Premièrement que la torture et les assassinats politiques ont existé et surtout que c’est l’armée française d’occupation qui a fait cela », juge Amar Mohand Amer qui poursuit : [cette décision] mettra peut-être fin aux spéculations et aux aberrations au sujet d’un prétendu bienfait de la colonisation. »

Car nombreux sont ceux à pointer la dimension de politique intérieure portée par ce geste d’Emmanuel Macron. Même si « les Algériens peuvent s’en réjouir à titre individuel », la reconnaissance de l’assassinat d’Ali Boumendjel s’inscrit surtout dans un débat « franco-français » sur la question mémorielle entre l’Algérie et la France, estime Lahouari Addi, professeur émérite de sociologie à l’Institut d’études politiques de Lyon. « Macron cherche le compromis entre deux positions. Il y a un courant d’opinion français qui ne veut pas parler de repentance ni de pardon et il en tient compte », poursuit le sociologue. A un an de l’élection présidentielle française et du soixantenaire de l’indépendance algérienne, la décision d’Emmanuel Macron « a surtout pour but de réveiller le corps électoral français d’origine algérienne et maghrébine qui a voté pour lui », estime-t-il.

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