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En Birmanie, les journalistes, cibles des forces de l’ordre, craignent pour leur vie

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Publié le : 04/03/2021 – 18:16Modifié le : 05/03/2021 – 13:46

Une vidéo diffusée en direct d’un journaliste birman se faisant tirer dessus à son domicile par des forces de l’ordre, dans la nuit du 1er mars, est devenue virale, alors que la junte militaire continue de réprimer violemment les manifestants anti-coup d’État. Les journalistes se sont retrouvés particulièrement ciblés : au moins neuf sont actuellement détenus, et au moins 30 ont été arrêtés depuis un mois.

Peu après le couvre-feu de 20 heures le 1er mars, le journaliste Kaung Myat Naing (a) Aung Kyaw du média indépendant “La voix démocratique de la Birmanie” (“Democratic Voice of Burma” en anglais) a commencé à diffuser en direct sur la page Facebook de son média une vidéo montrant la police encercler sa maison à Mergui, dans le sud de la Birmanie. On peut y voir la police tirer en sa direction alors qu’il se trouve sur son balcon. “Aidez-moi, s’il vous plaît, j’ai été blessé à la tête”, crie-t-il alors qu’on entend des coups de feu, sans qu’on puisse déterminer s’il s’agit de tirs à balle réelle. “Si vous me tirez dessus comme ça, comment voulez-vous que je descende ?”, ajoute-t-il.

Quelques heures plus tard, Democratic Voice of Burma a publié un communiqué sur Twitter expliquant que la police birmane avait arrêté Kaung Myat Naing (a) Aung Kyaw et le détenait dans un lieu inconnu. Le journaliste couvrait quotidiennement les manifestations anti-coup d’État depuis le début du mois de février et documentait la répression militaire contre les manifestations à Mergui.

D’autres journalistes ont été arrêtés. Le 26 février, une vidéo postée sur Twitter permet de voir le journaliste indépendant japonais Yuki Kitazumi en train d’être arrêté, alors que la police dispersait une manifestation à Rangoun. Il est le premier journaliste étranger à avoir été détenu depuis le coup d’État militaire en Birmanie. Il a depuis été libéré de sa garde à vue selon le Japan Times.

La légende indique : “Un journaliste indépendant japonais a été arrêté lorsque la police a dispersé vendredi une manifestation à Rangoun. Le journaliste a été identifié comme étant Yuki Kitazumi, un ancien reporter du quotidien économique “Nikkei” basé à Tokyo. Voici la vidéo de son arrestation.”

Le 27 février, une autre vidéo postée sur Twitter dévoile l’arrestation du journaliste de l’agence Associated Press Thein Zaw à Rangoun. Les autorités l’ont accusé, ainsi que cinq de ses confrères, d’avoir violé la loi sur la sédition et d’avoir “fait peur au public, propagé sciemment de fausses informations ou pousser à la rébellion directement ou indirectement des fonctionnaires”, selon Associated Press. Ces journalistes risquent jusqu’à trois ans de prison.

Parmi les journalistes inculpés et détenus figure aussi Now Kay Zon Nway, de l’agence Myanmar Now, qui a filmé en direct sur Facebook les derniers moments précédant son arrestation. Dans les deux dernières minutes, on voit des policiers poursuivre la journaliste juste avant de l’arrêter. Le 2 mars, le compte Twitter de Myanmar Now a confirmé que Kay Zon Nway était détenue à la prison d’Insein, à Rangoun, et s’était vue refuser l’accès à son avocat.

Salai David, journaliste au Chinland Post, et Min Nyo, reporter pour le DVB, sont également détenus par la police.

“Des journalistes doivent se cacher et ne rentrent pas chez eux après avoir couvert les manifestations”

La rédaction des Observateurs de France 24 s’est entretenue avec “Sam” (son nom a été changé pour des raisons de sécurité), journaliste pour un média indépendant en Birmanie :

Actuellement, être sur le terrain est dangereux, car l’armée cible les journalistes, les frappe et les arrête. Normalement, quand nous travaillons, nous mettons un logo “Presse” sur notre casque ou notre veste pour que la police puisse identifier que nous sommes des professionnels des médias, mais actuellement, nous évitons de le faire. Par exemple, si un policier voit un journaliste en direct, il va intervenir pour stopper ce direct, voire même parfois l’arrêter.

Les journalistes doivent également faire très attention aux informateurs de la police qui sont souvent déguisés, notamment quand ils rentrent chez eux. Certains chauffeurs de taxi sont par exemple des informateurs, et quand ils voient qu’ils transportent un journaliste, ils peuvent le mener directement à la police. Il y a aussi des informateurs de la police déguisés en manifestants. Je dis donc toujours à mes équipes d’être vigilants et de se protéger. Des journalistes doivent se cacher et ne rentrent pas chez eux : après avoir couvert les manifestations. 

Le 26 février, le journaliste Sit Htet Aung a publié sur Facebook une photo d’un policier courant vers lui avec sa matraque. « Un policier a essayé de me frapper », lit-on dans sa légende.

De nombreux journalistes souffrent de traumatismes à cause des violences lors des manifestations. Bien que le coup d’État ait mis la presse en danger, je pense qu’il dénonce aussi les vrais journalistes qui continuent à couvrir le soulèvement. C’est un moment important dans la politique de notre pays, et les gens ont plus que jamais besoin d’informations vérifiées.

Bien sûr, les journalistes ne sont pas les seuls à être visés par l’armée, et ce sont les gens ordinaires de tous les horizons qui sont battus et tués. Pour nous, ce ne sont même plus des militaires birmans, ce sont des terroristes. Nous ne pouvons faire appel à aucun membre des forces de l’ordre, ni à la police, ni aux militaires, pour nous protéger.”

Depuis le 28 février, les forces de sécurité ont lancé des mesures de répression plus violentes contre les manifestant. L’armée a été mobilisée dans plusieurs grandes villes du pays comme à Rangoun, Dawei et Mandalay, et a utilisé des gaz lacrymogènes, des lance-pierres et même des balles réelles contre des manifestants. Des centaines de personnes sont actuellement détenues, et au 4 mars, au moins une cinquantaine de personnes avait été tuée selon les Nations-Unies, dont 38 pour la seule journée du 3 mars.

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