Une bataille russe
La bataille acharnée entre la Russie et l’Association cultuelle orthodoxe russe (ACOR) de Nice ne date pas d’hier. En 2011, la cour d’appel d’Aix-en-Provence puis le tribunal de Nice contraignent l’ACOR à rendre aux envoyés de Vladimir Poutine les clés de la cathédrale Saint-Nicolas qu’elle gérait depuis près d’un siècle. Quelques années plus tard, une seconde injonction oblige le prince Alexis Obolensky, vice-président de l’ACOR et ancien administrateur laïc de Saint-Nicolas, à restituer trois reliques du tsar Alexandre II. Une chemise ensanglantée, une veste d’uniforme, un gilet, fiertés de sa paroisse depuis les années 1920.
Le dernier procès, dont l’audience s’est tenue le 17 novembre 2020, concerne l’église Saint-Nicolas-et-Sainte-Alexandra, le cimetière de Caucade et quelques terrains bordant la cathédrale. Le jugement du troisième round de ce conflit déséquilibré, rendu le 25 février, estime que l’ACOR est propriétaire au titre de la « prescription acquisitive ». La justice considère ainsi que l’association s’est comportée en propriétaire de manière publique et sans équivoque depuis un siècle.
La « sœur » aînée
On l’appelle la « vieille église russe » pour la différencier de la cathédrale Saint-Nicolas. Consacrée en janvier 1860, cinquante ans avant sa célèbre cadette, Saint-Nicolas-et-Sainte-Alexandra se situe en plein cœur des quartiers chics de Nice, rue Longchamp. Elle cache sa coupole orthodoxe derrière une façade presque classique. A l’époque, Nice appartient au royaume de Piémont-Sardaigne, où la construction d’édifices religieux autres que catholiques romains n’est guère goûtée.
C’est l’impératrice Alexandra, veuve du tsar Nicolas Ier, qui lance son financement. Elle veut permettre aux nombreux membres de l’aristocratie russe qui hivernent sur la Côte d’Azur de suivre les rituels. C’est elle, également, qui importe l’iconostase fabriquée à Saint-Pétersbourg. Des fonds impériaux qui permettent aujourd’hui à la Russie de considérer l’église comme un bien d’Etat.
L’œil de Moscou
Si Alexis Obolensky voit dans l’offensive russe « une volonté brutale » du Kremlin de récupérer des biens symboliques et un « acharnement sur [sa] personne », certains membres de la communauté orthodoxe niçoise applaudissent des deux mains. Nikita Ionnikoff, petit-fils d’une dame d’honneur de la cour impériale, trésorier de l’Association des amis de la cathédrale russe (ACRN), y lit un juste retour des choses après la fin de l’URSS : « Les communistes partis, il n’y avait plus de raison de ne pas rejoindre le patriarcat de Moscou. A la cathédrale, on perdait le culte russe, il y avait beaucoup de Serbes, de Roumains… »
Aujourd’hui, la cathédrale est retournée dans le giron moscovite, mais la « vieille église » s’est rattachée au patriarcat de Roumanie. Ses offices attirent des Niçois d’origine russe, mais aussi bon nombre de Géorgiens et de Moldaves arrivés plus récemment.
Des enjeux immobiliers
Derrière le dossier de l’église Saint-Nicolas-et-Sainte-Alexandra se cachent aussi des questions immobilières, dans une ville où le foncier est un bien presque aussi précieux qu’une relique impériale. Le tribunal judiciaire de Nice doit dire à qui appartient le cimetière de Caucade, à l’ouest de la ville, dont les terres achetées par la communauté en 1867 accueillent les tombeaux de milliers de Russes blancs. Mais aussi ce qu’il en est des trois terrains situés aux abords de la cathédrale Saint-Nicolas. Sur l’un d’entre eux, l’association ACOR imaginait déjà la construction d’un parking souterrain. La ville de Nice, qui a financé avec les autres collectivités locales la rénovation de Saint-Nicolas-et-Sainte-Alexandra en 2013, reste, elle, prudemment en dehors de cette querelle très orthodoxe.
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