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Guatemala : des enfants adoptés de la guerre civile unissent leurs forces

Coline, Marie-Laure et Pattie-Maëlle sont toutes les trois nées au Guatemala et ont été adoptées en Europe. Mais les deux premières ont été volées à leur famille biologique, et la dernière a grandi avec un faux nom de mère sur son dossier. Pour aider les personnes dans une situation similaire à faire la lumière sur leur histoire, elles ont créé la fondation Racines perdues.

Aider les personnes adoptées nées au Guatemala à retrouver leur famille : c’est le but principal de Racines perdues. La fondation a vu le jour début 2021, créée par des personnes elles-mêmes nées dans ce petit pays d’Amérique latine et adoptées en Europe.

Certaines d’entre elles ont été victimes d’un trafic d’enfants lors du conflit armé guatémaltèque (1960-1996). C’est le cas de Coline, née Mariela au Guatemala en 1986, et adoptée en Belgique alors qu’elle avait onze mois. Lorsqu’elle devient maman, elle commence une quête de ses origines pour répondre aux questions de sa fille. 

À de nombreuses reprises dans sa vie, elle avait essayé de trouver des réponses, sans succès. « Il n’existait aucune structure pour effectuer des recherches, donc ça tournait un peu en recherche sauvage », explique-t-elle. 

Un trafic d’enfants impliquant l’ex-belle-sœur du dictateur Oscar Mejia Victores

En cherchant sur Internet, Coline remarque l’article du journaliste Sebastián Escalón, qui mentionne un nom familier : Ofelia de Gamas. Le nom de cette femme apparaît également dans son dossier d’adoption.

Elle contacte le journaliste, qui accepte de l’aider dans ses recherches. Grâce à lui, elle retrouve le profil Facebook de sa mère biologique et lui envoie un message. Pour sa mère, c’est le choc : elle pensait sa fille décédée. 

Deux jours après sa naissance, Coline avait été emmenée en pédiatrie et le personnel médical avait indiqué à sa mère biologique qu’elle était morte. En réalité, elle avait été kidnappée dans le cadre d’un vaste trafic d’enfants. 

Au cœur de l’affaire, Ofelia de Gamas, l’ancienne belle-sœur du président de l’époque, Oscar Mejia Victores. Sur le dossier de Coline, il est indiqué qu’elle est le témoin de sa mère biologique pour l’acte d’abandon, un faux.

C’est Ofelia de Gamas elle-même qui reçoit ses futurs parents belges pour l’adoption. Le couple ignore alors qu’elle a été volée à sa famille. 

Le nom d’Ofelia de Gamas revient dans de nombreux dossiers, dont celui de Marie-Laure, également adoptée en Belgique. Elle a toujours su que son dossier d’adoption était irrégulier et que des données officielles, comme les noms de ses parents, étaient fausses. Mais pendant son enfance, sa famille adoptive lui raconte une fausse histoire  pour expliquer cela : « On m’a fait croire que ma maman était très jeune, décédée en couches, et que j’étais le fruit d’un viol de guerre, se souvient Marie-Laure. Quand on grandit avec ces images-là… on n’est pas très bien. »

En 2018, elle entend parler de l’histoire de Coline. La jeune maman était de retour du Guatemala, où elle venait de rencontrer sa famille biologique. Marie-Laure, qui avait déjà fait une recherche infructueuse un peu plus tôt, décide de la contacter sur les réseaux sociaux. 

Coline l’aide dans son enquête : elle venait de créer Racines perdues sous forme de collectif, et en collaboration avec une organisation au Guatemala, Liga Guatemalteca de Higiene Mental, elle entame des démarches.

Grâce à ce travail d’équipe, Marie-Laure découvre le profil Facebook de son oncle et entre en contact avec lui. Elle apprend aussi qu’elle n’est pas née d’un viol. Mais les nouvelles qu’il lui raconte ensuite sont dures à encaisser. 

Ses parents biologiques sont tous les deux décédés. Lorsqu’elle était bébé, sa famille, aisée, a été ciblée par des criminels intéressés par son argent. Plusieurs membres ont été enlevés puis assassinés, dont sa mère, son père et son grand-père. Les survivants décident de se disperser pour survivre. Parmi eux, son oncle, qui fuit au Mexique. Avant leur départ, ils confient Marie-Laure à sa marraine. Ils apprennent trop tard qu’elle était proche de la fameuse Ofelia de Gamas. 

À son retour du Mexique, son oncle découvre que Marie-Laure n’est plus chez sa marraine : elle est en Belgique, où elle a été adoptée par une nouvelle famille. « Il est devenu fou. Pendant une quinzaine de jours, il a insisté pour pouvoir être reçu auprès d’Ofelia de Gamas. Il a fini par être accueilli de manière très particulière dans son bureau. Ma marraine l’a accompagné… et ils ont eu une conversation téléphonique avec ma famille en Belgique. Ça, je l’ai découvert il y a un mois peut-être, c’est tout récent. »

La famille adoptive de Marie-Laure décide de la garder, assurant à son oncle qu’elle vivrait mieux en Belgique. 

Marie-Laure découvre aussi que les noms sur son dossier sont ceux de ses grands-parents paternels. Son oncle lui explique que ces actes sont sûrement des faux, car sa grand-mère avait déjà fui le pays et son grand-père était lui porté disparu. 

Aujourd’hui, Ofelia de Gamas est morte, selon des documents officiels. Mais Marie-Laure rappelle que les documents sont facilement falsifiables au Guatemala. 

Des milliers d’enfants auraient été volés et vendus pendant le conflit armé. Parmi eux, au moins une centaine l’ont été par cette femme, qui était le point de contact d’Hacer Puente. L’association fait aujourd’hui l’objet d’une instruction judiciaire dirigée par le Parquet fédéral belge pour trafic d’êtres humains. Marie-Laure est victime présumée dans ce dossier, ainsi que Coline, qui est également partie civile. Ses parents biologiques et adoptifs sont tous les quatre victimes présumées.

Marie-Laure a décidé de s’engager à son tour dans la fondation Racines perdues. Elle espère que l’accumulation de dossiers pourra aider les personnes adoptées à démêler le vrai du faux plus facilement.

Un faux nom sur un dossier : « On m’a dit que c’était absolument impossible »

Certaines personnes n’ont pas été victimes de kidnapping, mais on tout de même été achetées. C’est par exemple le cas de Pattie-Maëlle, adoptée en France. Sa mère biologique a consenti à son adoption, mais son dossier contenait aussi des informations fausses : le nom de sa mère n’était pas le bon. 

Peu avant ses 20 ans, elle décide de partir au Guatemala avec sa sœur adoptive dans l’optique de découvrir le pays de ses origines. « On est tombées sur un jeune couple qui a été absolument merveilleux avec nous, se souvient Pattie-Maëlle. Il m’a aidé à trouver mon histoire. À remettre en place les pièces du puzzle. »

S’ensuit une longue chaîne de solidarité : et à peine une semaine plus tard, une rencontre avec sa mère biologique est organisée. « C’était très émouvant parce qu’on avait vraiment beaucoup de personnes du village qui étaient autour de nous. Et puis des retrouvailles, dignes… Je sais pas comment dire. Dignes d’un film », se souvient Pattie-Maëlle.

Elle lui raconte ce qu’il s’est passé. « Elle avait eu un premier enfant à 14 ans et sa propre mère, ma grand-mère, a été absolument contre. Et elle l’a menacée. Elle lui a dit ‘si tu en as un autre, je te tue et je tue l’enfant’. Elle a donc caché sa deuxième grossesse, quand elle avait 17 ans, et elle est partie dans une autre ville du pays. Puis elle est revenue et elle a demandé à son amie de me mettre à l’adoption. »

Après son retour en France, Pattie-Maëlle demande des explications à l’association qui a permis son adoption : « Je ne comprenais pas comment ça avait pu être possible, une chose pareille, qu’on puisse mettre le nom d’une femme alors que c’est pas elle sur des dossiers qui ont été validés par l’État et par le gouvernement au Guatemala, en France, et signés. On m’a fermé la porte au nez en me disant que c’était absolument impossible. Et qu’aucun document n’avait été falsifié. Mais les faits sont là. Cette femme n’est pas ma mère… Ce qui est encore plus perturbant, c’est qu’à l’époque, je pensais avoir une demi-sœur en France, parce qu’on avait la même mère sur les papiers. Donc je pensais avoir une demi-sœur et une fois arrivée dans le pays, au Guatemala, j’ai compris que la mère qui était sur les papiers était bien la mère de ma demi-sœur, mais pas la mienne. »

Artiste, elle prépare désormais un stand-up sur le thème de l’adoption, et fait également partie de l’équipe de la fondation Racines perdues.

Les membres du collectif travaillent jusqu’ici avec leurs fonds personnels, mais en appellent aux dons. Leur travail consiste à rechercher les familles, en collaboration avec l’association Liga Guatemalteca de Higiene Mental au Guatemala, offrir un soutien moral à ceux qui leur ont confié leur dossier, permettre des rencontres entre personnes d’origine guatémaltèque, et leur présenter des projets artistiques, culinaires, linguistiques, autour de la culture du Guatemala.

Pour avancer, la fondation attend un geste de la part des gouvernements sous lesquels ces trafics ont eu lieu. « La Suisse vient de reconnaître la responsabilité de l’État et a présenté ses excuses aux personnes adoptées du Sri Lanka, souligne Coline. La Hollande vient d’en faire de même pour toute une liste de pays. Je pense que c’est aussi une demande qui doit être faite au niveau de l’État français et au niveau de l’État belge. Parce qu’aujourd’hui, les institutions nous ferment la porte, en niant ce qui s’est passé. Mais c’est arrivé, on est les preuves vivantes que ça a existé. Ne nous fermez pas la porte parce que les papiers, on peut les effacer, mais nous, on ne peut pas nous effacer. »

Une pétition en ligne a été lancée pour faire réagir le gouvernement belge. 

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